News
04/20/2023

Sécurité globale : des outils en appui à la gestion de crise et à la résilience

Catastrophes naturelles, cybercriminalité … Face aux risques évolutifs et aux nouvelles menaces, les scientifiques élaborent des solutions en collaboration avec des acteurs variés pour accompagner la gestion de crise et renforcer la résilience des individus, des territoires et des infrastructures critiques. Le point sur des avancées scientifiques récentes, à l’occasion du Workshop Interdisciplinaire sur la Sécurité Globale (WISG) qui a réuni près de 250 acteurs du domaine les 21 et 22 mars 2023 à Marseille.

L’accompagnement des premiers intervenants (pompiers, SAMU, …) dans la gestion de crise fut l’une des principales thématiques du workshop WISG, évoquée à travers plusieurs travaux de recherche dont le projet européen INTREPID1.

Lors d’une catastrophe d’origine naturelle ou anthropique, les premiers intervenants doivent faire face à de nombreux défis : « comprendre la nature de l’événement, accéder à la zone complexe, localiser et identifier les menaces et les victimes, et décider rapidement avec des informations limitées, parfois non confirmées » explique Julien Sevé, membre du Bataillon de marins-pompiers de Marseille (BMPM) et du projet. Afin d’améliorer l’évaluation des zones sinistrées, la connaissance de la situation, et la capacité de prise de décision, les partenaires développent une plateforme dédiée.

Elle repose sur la mise en œuvre de drones in et outdoor et de robots équipés de capteurs pour scanner, numériser et évaluer une zone. Les données sont implémentées dans un logiciel de gestion de crise pour réaliser des cartographies 3D ou de la reconnaissance d’objets à partir des images acquises. Le système permet d’optimiser le cheminement des intervenants vers la zone sinistrée et de proposer des recommandations d’action. Ces outils ont été testés lors d’un exercice d’inondation dans le métro de Stockholm fin 2021 et une simulation d’un accident industriel à Marseille fin 2022. Un scénario d’explosion d’origine terroriste dans un hôpital à Madrid est prévu en juin 2023 en vue de leur validation finale.

Les premiers intervenants sont également au cœur du projet DEFERM2 qui vise à évaluer l’efficacité de méthodes de décontamination suite à la libération intentionnelle ou non de virus comme le virus du Monkeypox, très proche du virus dévastateur de la variole éradiqué, le SARS-CoV-2, le virus de la fièvre de la vallée du Rift, ou un virus de grippe aviaire. Pour étudier la persistance de ces virus dans l’environnement, les partenaires ont déterminé deux substituts sans danger pour l’homme, les bactériophages (virus infectant les bactéries) Phi 6 et MS2. Différentes formules chimiques, notamment du peroxyde d’hydrogène (H2O2) ont été étudiées selon plusieurs conditions de température et d’humidité pour la décontamination sur des surfaces en acier, verre et polyéthylène. Des matériaux divers comme les intérieurs et les extérieurs de toiles de tente utilisées par la sécurité civile allemande sont en cours de tests. Les premiers résultats de décontamination en laboratoire P3 montrent une inactivation du MS2, du Monkeypox et du virus de la fièvre de la vallée du Rift après traitement par H2O2 sur des surfaces en polyéthylène, acier, et verre. Les travaux se poursuivent dans le cadre d’exercices de terrain.

En parallèle des recherches menées pour aider à la conduite des opérations, les échanges du workshop ont porté sur la pluralité des acteurs (santé, énergie, communication, transport, ...) impliqués dans les crises. Comment renforcer le lien entre ces opérateurs pour une meilleure coordination, et pas seulement une juxtaposition de leurs actions respectives ?

L’apport essentiel des sciences humaines et sociales

Valérie November, directrice de recherche au CNRS, précise que cette coordination est un élément crucial pour gérer la crise et accroître la résilience. Un exercice de simulation d’une crue de la Seine organisé en 2016 par la Préfecture de Police, auquel le projet EURIDICE a été associé, a révélé un besoin de dialogue entre les opérateurs. Les scientifiques ont alors mis en place des ateliers de discussion afin de mieux identifier qui doit agir, quand et comment, sans entraver des actions vitales. À ce titre, les sciences humaines et sociales (SHS) « peuvent jouer un rôle en aidant à faire émerger, par différentes méthodologies, les points de convergence entre opérateurs notamment en identifiant les moments clés de coordination » indique-t-elle.

« Nous avons besoins des SHS non pas tant pour faire de l’acceptabilité, comme on appuierait sur un bouton pour faire accepter des décisions, mais bien pour comprendre les mécanismes individuels et collectifs qui permettront de garantir la résilience des personnes et au-delà la résilience du territoire, des fonctions économiques et des infrastructures », témoigne Magali Reghezza-Zitt, maîtresse de conférences en géographie à l’École normale supérieure.

La participation des citoyens dans la prévention des risques est également un enjeu clé pour accroître la résilience. (Pour en savoir plus sur la notion de résilience en sécurité).

Visibilite

Zoom sur l’implication citoyenne dans la prévention des risques majeurs en France

Comment les Français perçoivent-ils les risques et quels sont les freins et les leviers à leur implication dans la prévention ? C’est la question que s’est posée l’AFPCNT, Association Française pour la Prévention des Catastrophes Naturelles et Technologiques dans le cadre de son action pour le développement de la culture du risque en France. Pour y répondre, l’association a conduit avec l’IFOP une enquête menée de janvier à mars 2023 auprès de 10 000 Français.

Les résultats de cette étude révèlent que près de 80% des individus interrogés déclarent ne pas être assez sensibilisés à la gestion des risques et à la prévention des catastrophes ; et environ 50% pensent que les actions préventives ont peu d’effet.

Cette enquête montre une conscience du risque plus forte en Outre-Mer et une sous-estimation en métropole. En effet, 23% des français des territoires ultramarins interrogés ont mis en place des actions préventives (ex : kit d’urgence, réduction de la vulnérabilité de leur habitation, débroussaillage…) contre 12% seulement en métropole. Enfin, en matière d’engagement citoyen, 7% des répondants sont impliqués dans une institution ou dans des actions au niveau local pour prévenir les risques majeurs. Parmi les incitations à agir, on retrouve notamment la connaissance avérée d’un risque à proximité de son domicile, l’octroi d’une aide financière ou encore d’un accompagnement technique dédié.

Vers une résilience participative

La culture du risque ne suffit pas à garantir la sécurité des populations en cas de danger ou de menace. Un accompagnement dans le domaine de la prévention et la mise à disposition d’outils d’alerte sont aussi des éléments indispensables. C’est sur ce deuxième point que le projet ANR CAP’4-MULTI-CAN’ALERT3 (2020-2021) a travaillé, questionnant le développement d’une solution d’alerte multicanale adaptée au contexte français.

Ce projet visait à harmoniser les canaux d’alerte nationaux autour d’un protocole standard international libre, le Protocole d'Alerte Commun (CAP). La comparaison du CAP à une échelle internationale a montré une grande diversité d’événements retenus (météorologiques, activités criminelles, enfant perdu, etc.) ce qui, en cas d’événements transfrontaliers telle que la tempête Alex en 2020, compliquerait l’interopérabilité entre les différents pays, et donc l’alerte. Pour la France, 64 types d’événement susceptibles de porter atteinte à l’intégrité physique des biens ou des personnes, regroupés en 8 catégories, ont été retenus par les autorités.

Une fois les cas d’usage validés, le prototype imaginé visait à interfacer différents canaux et à en mesurer l’efficacité, telle que la diffusion cellulaire qui consiste à émettre une notification sur les téléphones des individus avec un son spécifique. « Alors que les sirènes couvrent 28% des résidents en France métropolitaine, le potentiel de la diffusion cellulaire est considérable car elle permettrait d’alerter 80% des individus en considérant la zone de couverture 4G/5G, l’âge et le taux de possession des smartphones » explique Johnny Douvinet, professeur à l’université d’Avignon et coordinateur du projet. Elle sera effective en cas de congestion sur les réseaux téléphoniques puisqu’elle repose sur un canal spécifique. Les partenaires ont mis en évidence l’importance de considérer 6 variables pour structurer le message d’alerte « idéal ».

Ils ont accompagné à travers une vingtaine d’exercices le déploiement du nouveau système d’alerte national FR-ALERT déployé depuis juin 2022. Il combine deux canaux, les sirènes et la diffusion cellulaire, et intégrera des SMS géolocalisés en 2023 et l’alerte par satellite en 2024. Ce projet a donné lieu à une collaboration avec la Direction du Numérique du ministère de l’Intérieur en 2022, et ce fut l’occasion pour l’équipe d’analyser les réactions de la population via une enquête en ligne suscitant plus de 10 000 réponses. Les résultats montrent une forte surprise et de la curiosité, mais aussi un stress plus élevé chez les jeunes à l’égard de l’alerte reçue.

Ce projet illustre une problématique commune aux travaux de recherche en sécurité, à savoir comment trouver cette « ligne de crête » entre l’efficacité technologique et la protection des libertés individuelles, soulevée en introduction du workshop par le préfet Nicolas de Maistre, directeur de la protection et de la sécurité de l’État au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). La contribution des SHS est une fois de plus essentielle.

Au-delà de la résilience des individus et des territoires, la résilience des entités critiques (réseaux énergétiques, hôpitaux, …) qui fournissent des services indispensables au fonctionnement de nos sociétés, fut également au cœur des échanges.

Renforcer la résilience des infrastructures critiques

Suite au sabotage des gazoducs Nordstream en Mer du Nord et face à la guerre en Ukraine, la Commission européenne a réaffirmé la nécessité de renforcer la résilience des entités critiques par l’adoption d’une directive fin 2022. Cet enjeu de politique publique se décline au sein de recherches menées avec les opérateurs d’importance vitale.

Le projet SAFECARE4, financé par la Commission européenne, visait à renforcer la résilience des hôpitaux face à une menace polymorphe, avec une interconnexion possible entre des attaques physiques et cyber, et une réaction en chaîne complexe à identifier. Afin d’anticiper celle-ci et de contribuer à une réponse coordonnée des acteurs de la sécurité qui opèrent souvent en silos, l’équipe a développé un outil d’aide au pilotage de la gestion de crise. Il repose sur les données issues des systèmes de supervision existants (vidéo protection, détection d’incendies, etc.) en vue de pallier à leur défaut, un fonctionnement isolé. Les partenaires ont agrégé et combiné différentes méthodes (EBIOS, BowTie) et modélisé des scénarios d’attaques physiques, cyber et mixtes tel que le vol de données des patients, en vue d’établir une arborescence des menaces et des impacts potentiels associés, et de définir la probabilité de ces impacts. Cet outil vise à offrir une cartographie en temps réel de l’état du risque pour un hôpital dédié, ou un groupe hospitalier. L’équipe a démontré à Marseille que la remontée des informations aux personnes concernées était de 5 secondes, contre quelques minutes en moyenne.

Dans un contexte de tensions sur les ressources, la résilience des réseaux de distribution d’eau potable et de leurs données face aux attaques cyber, physiques et aux contaminations intentionnelles, est d’autant plus cruciale. Les partenaires du projet ResiWater (2015-1018) soutenu par l’ANR, ont conçu plusieurs outils dans le cadre de scénarios de crise définis par les trois services des eaux impliqués : la ville de Berlin, Eurométropole Strasbourg et le réseau du SEDIF opéré par Veolia (VEDIF). Ils ont notamment développé un réseau de capteurs et une méthode d’intelligence artificielle pour lever une alarme à partir de mesures de la quantité et de la qualité de l’eau ; ainsi qu’un simulateur d’entraînement en vue d’identifier des solutions de contournement en cas d’évènements extrêmes à partir des prédictions de modèles hydrauliques. Les recherches se poursuivent au sein du projet ANR coRREau5 (2023-2027) en vue d’élaborer, sur la base d’un modèle hydraulique du réseau d’eau et d’un modèle du système informatique, un jumeau numérique connecté en temps-réel aux données et une ombre numérique, afin de détecter des anomalies et d’explorer différentes pistes pour adapter le réseau d’eau, voire améliorer sa conception (ajout de nouveaux capteurs, fermeture de vannes, etc.).

« Notre approche consiste à augmenter la résilience des réseaux d’eau à travers la mise en œuvre de scénarios d’intérêt pour l’opérateur afin que celui-ci puisse s’entrainer et apprendre des scénarios modélisés et des réponses possibles » souligne Olivier Piller, directeur de recherche à l’INRAE et coordinateur de ces projets.

A l’instar de la nécessaire coordination des actions entre opérateurs lors de la gestion de crises, la coordination et l’harmonisation des pratiques et des outils dédiés à la résilience des entités critiques sont fondamentales. 

Des opportunités de financement au niveau européen

Enfin, les intervenants ont souligné l’intérêt des financements européens en complémentarité des dispositifs nationaux, pour échanger avec leurs homologues sur leurs expériences et bonnes pratiques et bénéficier d’une opportunité d’innovation et d’un passage à l’échelle.  A ce titre, Jean-Florian Bacquey-Roullet, membre du point de contact national sécurité du programme Horizon Europe, encourage largement les établissements d’Enseignement supérieur et de Recherche (ESR) en France à répondre aux appels Sécurité d’Horizon Europe.

Charte

L’ANR et le SGDSN : un partenariat en soutien à la recherche en sécurité globale

En matière de sécurité globale, thématique d’importance pour les décideurs publics, l’Agence nationale de la recherche (ANR) a soutenu 250 projets de recherche depuis 2006 pour un budget d'environ 150 millions d’euros. Ce soutien s’inscrit au sein de son Appel à projets générique (AAPG) et d’appels à projets spécifiques tels que l’appel « Préparation et réponse rapide face aux menaces biologiques » lancé avec le Ministère Fédéral allemand de l’Education et de la Recherche (BMBF) et le SGDSN, ou l’appel Flash « Sécurité des jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 » également lancé avec le SGDSN.

Le partenariat entre l’ANR et le SGDSN contribue à la structuration d’une communauté de recherche sur la sécurité globale et au développement de la filière d’industrie de sécurité en valorisant les recherches. L’ANR organise ainsi chaque année le WISG en partenariat avec le SGDSN afin de renforcer les collaborations de recherche.

En savoir plus :

Les présentations du WISG

L’interview de Patrick Laclémence, responsable scientifique à l’ANR, sur la notion de résilience en sécurité globale

Le guide des appels Sécurité Horizon Europe

 

 

 

1 Le projet INTREPID (2020-2023) porté par CS group regroupe 16 partenaires issus de 7 pays européens, dont des centres de recherche, des entreprises et des utilisateurs finaux tel que le BMPM.
 
2 Le projet DEFERM (2021-2023), financé par l’ANR et le BMBF, et coordonné par Jean-Claude Manuguerra directeur de recherche à l’Institut Pasteur, regroupe 6 partenaires français et 7 allemands.
 
3 Le projet ANR CAP’4-MULTI-CAN’ALERT regroupait 4 partenaires dont deux acteurs privés, et deux laboratoires de recherche publique réunissant géographes et psychologues.
 
4 Le projet SAFECARE (2018-2021), coordonné par Philippe Tourron, responsable de la sécurité des systèmes d’information à l’Assistance Publique des hôpitaux de Marseille (AP-HM), associait 21 partenaires issus de 10 pays européens.
 
5 Le projet ANR coRREau regroupe 4 partenaires académiques et le service des eaux d’Eurométropole Strasbourg.
 
Légende photo : A gauche, les membres de l’équipe de sauvetage grecques HRTA reçoivent les informations de mission sur leurs portables dans le cadre de l’exercice 2 du projet INTREPID. Au centre : les pompiers de Stockholm (SSBF) simulant une mission « sauver une victime » lors du même exercice. A droite : une cartographie créée à partir du capteur Lidar.

Last updated on 27 April 2023
Sign up for the latest news:
Subscribe to our newsletter