Quand l’environnement précoce affecte la santé mentale future
"La santé mentale est un droit humain fondamental" - Dossier
À paraître :
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Qu’entend-on par environnement précoce ? Comment en êtes-vous venue à travailler sur les fonctions cérébrales et la vulnérabilité aux maladies neuropsychiatriques chez la descendance ?
Muriel Darnaudery : Du fait de son immaturité à la naissance, le nouveau-né est totalement dépendant des soins parentaux pour sa survie et pour son développement cérébral. Sur le plan clinique, on sait depuis longtemps, en particulier grâce aux travaux pionniers de John Bowlby, le père de la théorie de l’attachement, que l’environnement affectif durant l’enfance est crucial pour la santé mentale. De nombreux travaux montrent effectivement que cet environnement, notamment l’adversité précoce - comme des négligences parentales, des abus sexuels, physiques ou psychologiques - affecte le développement de régions cérébrales impliquées dans les processus émotionnels et la cognition comme l’hippocampe, le cortex préfrontal et l’amygdale. Cette adversité augmente le risque de développer certaines pathologies psychiatriques à l’âge adulte telles que la dépression, les troubles anxieux, ou l’abus de substances.
L’environnement de stress pendant la grossesse joue également un rôle crucial dans la maturation cérébrale. Au-delà des stress précoces, des données croissantes de la littérature en neurosciences suggèrent aussi que de nombreux facteurs pendant la vie prénatale pourraient influencer à long terme le fonctionnement cérébral et la vulnérabilité à certaines pathologies : par exemple des médicaments comme les antiépileptiques (le valproate), la nutrition ou le statut métabolique. Mon travail et le projet MADAM s’inscrivent ainsi dans le cadre de l’hypothèse des origines développementales de la santé et des maladies de l’adulte. Plus précisément, nous nous sommes intéressés dans ce projet à l’environnement diabétique in utero, un environnement hyperglycémique, stressant, et suspecté d’influencer la maturation des circuits cérébraux chez la descendance.
Comment êtes-vous parvenue plus précisément à identifier un lien entre diabète maternel et vulnérabilité psychiatrique chez la progéniture ? Quelle méthodologie avez-vous mis en place pour le projet MADAM ?
M. D. : On sait qu’il existe une comorbidité entre diabète et certaines pathologies comme la dépression ou les troubles anxieux, même si la relation de causalité reste complexe à établir ; ces troubles s’observent en effet souvent en comorbidité avec d’autres pathologies. Aussi, dans les sociétés occidentales, de plus en plus de femmes en âge de procréer consomment des aliments riches en graisses et en sucres, sont en surpoids, ou souffrent de troubles métaboliques. Certaines études suggèrent que cela pourrait avoir un impact sur le cerveau en développement. Dans ce projet, nous avons mené des approches expérimentales pour tenter de mieux comprendre l’effet du diabète sur le cerveau en développement et les mécanismes à l'œuvre. Nous nous sommes intéressés à une lignée de rats diabétiques de type 2 (non-insulino-dépendant, qui se caractérise par un excès chronique de sucre dans le sang - une hyperglycémie) mais sans surpoids. Nous avons croisé ces rats entre eux pour obtenir notre modèle préclinique avec une composante génétique (lignée diabétique de type 2) et une composante environnementale périnatale dans le mesure où les mères gestantes souffrent de diabète (diabète gestationnel).
Quels sont vos principaux résultats ?
M. D. : Nos résultats indiquent que les descendants de ces mères diabétiques présentent des altérations neuroendocrines - en particulier une hyper-réactivité de l’axe neuroendocrine du stress ; des altérations structurales des neurones du cortex préfrontal - moins d’épines dendritiques ainsi qu’une diminution de l’arbre dendritique des neurones ; et des perturbations comportementales, notamment une augmentation des comportements de type anxieux et de type dépressif. Les mécanismes sous-jacents restent à être explorés. En plus des aspects génétiques, des modulations épigénétiques pourraient être à l’œuvre. En effet, l’épigénétique, rend compte de comment l’environnement influence durablement le fonctionnement de l’organisme en régulant l’activité des gènes, c’est-à-dire l’expression des gènes, mais pas la séquence de l’ADN. Des stress précoces ont des effets à long terme et sont susceptibles de se transmettre sur plusieurs générations via des processus épigénétiques. Les mécanismes épigénétiques pourront être explorés par exemple en étudiant les conséquences de transferts d’embryons diabétiques chez des mères non diabétiques ou d’adoption de ratons issus de mères diabétiques par des femelles non diabétiques. Ces travaux nous interrogent sur la mémoire de notre organisme par rapport à notre environnement précoce, déterminant sur la physiologie et le fonctionnement cérébral de l’organisme en développement. Enfin, ils soulignent l’importance de la prise en charge psychologique du stress associé au diabète maternel pour la santé du futur enfant sur le plan de son développement cérébral, d’apporter des aides, et de favoriser un bon environnement.
Plus largement, comment lutter contre les stéréotypes, les discriminations ou encore la stigmatisation qui touchent les personnes atteintes de pathologie mentale ?
M. D. : Ce devrait être un droit universel que d’être pris en charge et aidé sur le plan de la santé mentale. La lutte contre les stéréotypes, les discriminations ou encore la stigmatisation est fondamentale. C’est une question particulièrement délicate que de souligner le côté primordial de l’environnement précoce pour la santé du cerveau ; il est crucial de veiller à ne pas stigmatiser pour éviter les graves erreurs du passé qui ont si souvent pointé du doigt les mères comme responsables de la survenue de certaines psychopathologies chez leur enfant. De mon point de vue, cela passe par plus d’investissement dans les politiques de santé en matière de santé mentale afin d’aider les patients et les professionnels qui les accompagnent, mais aussi un effort pour l’enseignement et la recherche en santé mentale pour une meilleure compréhension de ces pathologies. Enfin, concernant ma thématique de recherche plus particulièrement, il est nécessaire de renforcer la prévention par des interventions précoces afin de réduire les stress auxquels sont exposés de nombreux enfants et leurs mères lors de leur grossesse. La santé mentale est fluctuante par nature, et nous concerne tous. C’est pourquoi il est nécessaire de mieux la comprendre et de chercher à remonter aux origines des troubles qui peuvent tous nous affecter, tout au long de la vie.
En savoir plus
Sur le site de l’OMS : La santé mentale est un droit humain universel