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17/05/2023

Résilience face aux changements environnementaux : ce que les sociétés anciennes nous apprennent

Changement climatique, déclin de la biodiversité, … Les changements globaux actuels interrogent la vulnérabilité et la résilience des sociétés humaines contemporaines, et plus largement, des civilisations anciennes. Dans quelles mesures ont-elles pu s’adapter aux modifications de leurs environnements ? Quels enseignements en tirer pour l’avenir ? L’ANR a dévoilé un nouveau cahier thématique, « Paléoenvironnements et sociétés humaines », lors d’un colloque dédié le mardi 23 mai 2023 à Paris. A cette occasion, entretien avec Matthieu Ghilardi, chargé de recherche CNRS, président-référent de comités d’évaluation à l’ANR et co-coordinateur scientifique du cahier avec Mélanie Pateau, chargée de projets scientifiques à l’ANR.

PupitreOrateur

Colloque du 23 mai 2023

Retrouvez l'intégralité du colloque en 5 vidéos chapitrées :

  • Présentation de projets
  • Tables rondes
  • Annonce du cahier ANR "Paléoenvironnements et sociétés humaines"
  • Présentation du livre blanc "Paléoclimats et paléoenvironnements"

La playlist du colloque

Tables rondes :

La playlist du colloque sur YouTube

Le cahier ANR n°15 "Paléoenvironnements et sociétés humaines" 

Quel est le point de départ de cette analyse des recherches sur les interactions sociétés humaines – paléoenvironnements ?

Matthieu Ghilardi : L’étude des rapports entre les sociétés humaines et les environnements du passé (les paléoenvironnements) est une thématique d’intérêt majeur car elle permet d’éclairer à des moments précis de l’histoire, en certains lieux, les impacts des civilisations anciennes sur l’environnement et la façon dont elles ont su s’adapter ou non aux changements environnementaux. Cette recherche fondamentale tournée vers le passé rejoint ainsi des préoccupations contemporaines et favorise une analogie avec les évolutions des sociétés actuelles dans un contexte de changement climatique.

L’analyse menée et restituée dans ce cahier thématique1 vise à mettre en lumière les principales problématiques, les méthodes et les résultats majeurs issus des projets de recherche soutenus par l’ANR depuis sa création en 2005. Elle couvre de manière quasi intégrale la période du Quaternaire de -2,6 millions d’années à nos jours, marquée par la diffusion des préhumains, puis de l’espèce humaine sur la surface de la Terre.

Quelles sont les méthodes mobilisées au sein des projets pour reconstituer les environnements du passé et étudier ces interactions ?

Matthieu Ghilardi : Ces travaux sont par essence interdisciplinaires. Ils associent des scientifiques en sciences humaines et sociales tels que des archéologues ou des historiens, et des spécialistes de l’environnement : géographes, paléoécologues, paléoclimatologues, géochimistes, …, autour d’une problématique commune, à savoir comment les sociétés anciennes ont pu s’adapter ou non à l’aridification du climat notamment ? Pour reconstituer les climats du passé, les scientifiques mobilisent des techniques et des méthodes variées reposant sur la réalisation de fouilles archéologiques ; l’étude d’archives écrites ; le prélèvement de sédiments par carottage dans des lacs, des marais ou encore des lagunes ; l’analyse de bioindicateurs conservés dans des sédiments comme des grains de pollen ou des charbons ; ainsi que des méthodes de datation (par radiocarbone, …). 

Les variables climatiques telles que les températures ou les précipitations du passé, sont ensuite reconstruites à l’aide de calibrations et de validations par rapport au climat actuel. L’un des enjeux étant d’évaluer l’impact des variations des climats du passé sur le fonctionnement des sociétés humaines aux périodes observées, comme le projet HADoC qui étudie les effets des changements climatiques sur les trajectoires de diffusion des ancêtres de l’homme en Afrique. Le passage d’une échelle intra-site, où l’humain est extrêmement présent, à une approche plus large, c’est-à-dire à l’échelle du bassin versant, de la plaine ou du lac, est de plus essentielle pour éviter une surreprésentation des activités humaines dans l’étude des interactions sociétés du passé – environnements.

Que nous apprennent ces travaux concernant les impacts des sociétés humaines du passé sur l’environnement ?

Matthieu Ghilardi : Ces travaux montrent une forte emprise des sociétés humaines sur la biodiversité terrestre, tel le projet BigGame qui s’intéresse à la disparition des grands herbivores en contexte de Néandertal en France septentrionale, mais aussi sur la biodiversité marine. Le projet PALEOCET nous montre par exemple que les baleines étaient déjà chassées par Homo sapiens dans le Golfe de Gascogne il y a environ 20 000 ans, et que les espèces exploitées révélaient une biodiversité insoupçonnée à cette période.
La durabilité des environnements et des ressources exposés aux actions des sociétés sur le temps long a toutefois été peu étudiée au sein des projets du corpus d’analyse et nécessite de futures recherches pour mieux quantifier les impacts sur la biodiversité ou sur les sols ou en matière d’émissions de gaz à effets de serre, avec notamment la pratique de la culture sur brûlis ainsi que le développement de l’élevage et de l’agriculture.

Environnement

Stratégies d’adaptation face aux changements environnementaux : quelques exemples de projets soutenus par l’ANR

Face à des phases d’aridification du climat et à la raréfaction des ressources en eau, des sociétés anciennes ont mis au place des stratégies d’adaptation. Le projet GEZIRA révèle le déplacement de populations du Sahara vers le delta du Nil il y environ 6 000 ans en raison d’une aridification importante du climat. Elles se sont installées sur des gezira (monticules naturels, réminiscences des longues levées sableuses du fleuve Nil formées durant le Pléistocène moyen), des îles dont la partie supérieure est émergée, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas menacées par les eaux du Nil en période de hautes crues. Ces sociétés connaissaient l’aléa environnemental et se sont installées dans les endroits les plus propices à la pérennité de leur installation.

Autre exemple, les projets AQUATYR, PARADISE et GEOMAR portent sur des stratégies d’aménagements hydrauliques de type canaux, aqueducs, qanats, pour alimenter en eau des cités situées au sein de bassins versants soumis à des phénomènes importants et récurrents d’aridité. Ces projets recouvrent le Liban de l’âge du Fer au Moyen Âge pour AQUATYR ; la région d’Alexandrie en Égypte depuis l’Antiquité et la fondation de la cité pour GEOMAR, et les sites achéménides au Moyen-Orient (VIe-IVe siècles avant notre ère) pour PARADISE. Les enjeux sont majeurs : approvisionnement en eau potable des populations, développement de l’agriculture. Ces projets témoignent ainsi d’une forme de résilience de ces sociétés passées au regard des variations de la ressource hydrique.

Les sociétés exposées à des phases d’aridification du climat dans le golfe arabo-persique à l’Holocène vers – 6 000 ont par ailleurs développé des stratégies d’irrigation dans les zones de piémont, attestées au sein du projet SOPHOCLE. Toutefois, le projet observe un fort impact des changements climatiques sur les dynamiques d’occupation humaine avec le déplacement de ces sociétés vers d’autres sites, face à un appauvrissement de la ressource hydrique.

Le projet NeoArabia atteste également de stratégies d’adaptation face à des phases de forte aridification du climat au sein des sociétés situées le long du littoral omanais, du Néolithique à l’Holocène moyen. Ces sociétés ont modifié leurs pratiques vivrières et adapté leurs réseaux d’échanges de ressources alimentaires alors que la montée du niveau marin menaçait leurs sources primaires d’approvisionnement, en l’occurrence les zones humides littorales (lagunes). La mobilité géographique vers des milieux moins exposés à ces phénomènes d’aridité a pu être une solution pour ces populations littorales.

Dans quelles mesures ces travaux peuvent-ils éclairer le futur ?

Matthieu Ghilardi : Pour reprendre les termes de Victor Hugo, « l’avenir est une porte, le passé en est la clef ». Ce sont grâce à ces exemples ponctuels apportés par les recherches fondamentales sur les environnements du passé que l’on peut éclairer la place des sociétés humaines dans leurs milieux, et contribuer aux logiques d’aménagement du territoire. En effet, la pression urbaine actuelle peut favoriser l’aménagement dans des zones potentiellement dangereuses, à proximité des cours d’eau, sur les traits de côtes, voire dans les zones sismiques ou volcaniques. Ces recherches offrent des connaissances utiles pour la définition de schémas d’aménagement en vue de mieux prendre en compte l’aléa environnemental dans le cadre des Plans de Prévention des Risques, en renseignant par exemple sur la récurrence, l’intensité et l’envergure des crues sur le temps long, en complément des modélisations des ingénieurs.

Elles peuvent également fournir des référentiels environnementaux dans le cadre des solutions fondées sur la nature, pour la réhabilitation paysagère et de la restauration écologique des zones humides et des cours d’eau qui ont été modifiés depuis plusieurs décennies ou siècles. La reconstitution des variations de la végétation passée à partir de l’analyse des bioindicateurs contenus dans des sédiments prélevés permet par exemple de proposer un référentiel précis des espèces à intégrer, ou au contraire des espèces invasives à supprimer. Enfin, elles contribuent également à renseigner les habitants sur ce patrimoine, à raconter comment nos ancêtres vivaient dans leurs environnements à une échelle locale.

Quels sont les apports de ces recherches pour la modélisation des changements globaux actuels et futurs, notamment climatiques ?

Matthieu Ghilardi : L’approche empirique adoptée par l’ensemble des projets permet tout d’abord d’obtenir des données primaires qui seront modélisées sur le temps long. Ensuite, ces résultats seront comparés et combinés avec les modélisations actuelles afin de fournir des analogies dans le temps. Les travaux du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) montrent que les températures augmentent en raison des activités humaines, dans des proportions très importantes menaçant directement le système Terre. Par le passé, des augmentations similaires ont pu avoir lieu en certains endroits du globe et il est intéressant de voir quels en furent les impacts sur le fonctionnement des sociétés humaines, alors qu’elles ne disposaient d’aucun moyen pour lutter contre ces modifications du climat.

A quels acteurs s’adresse le colloque « Les sociétés humaines face aux changements environnementaux » et quelles retombées attendez-vous de cette journée ?

Matthieu Ghilardi : Ce colloque s’adresse à l’ensemble des scientifiques investis sur la thématique des interactions humains/environnements et aux établissements de recherche. Il vise à sensibiliser le grand public sur les bouleversements que notre lignée humaine a connu depuis plusieurs millions d’années et le rôle joué par l’homme sur ces environnements. Enfin, il s’agit d’échanger avec les décideurs et les aménageurs du territoire sur les apports d’une telle recherche pour répondre aux enjeux des changements globaux, et sur la nécessité de prendre en compte les résultats de recherches scientifiques dans les schémas d’aménagement et de développement pour mieux appréhender les relations des sociétés humaines face à leur environnement en perpétuelle mobilité.

Le cahier thématique fut dévoilé lors du colloque "Les sociétés humaines face aux changements environnementaux : le passé pour éclairer le futur" organisé le mardi 23 mai 2023 de 9h à 18h à la Maison de la RATP à Paris, et en ligne.

En savoir plus :

Le site internet de l’événement

Consultez le cahier n°15 de l’ANR « Paléoenvironnements et sociétés humaines »

 

Matthieu Ghilardi est président-référent des comités d’évaluation scientifique « Interactions Humains -environnement » puis « Sciences de la durabilité » de l’Appel à projets générique de l’Agence nationale de la recherche (ANR).

1 Ce corpus d’analyse couvre 97 projets de recherche du Plan d’action sur les interactions entre les sociétés humaines du passé et leur environnement, soutenus par l’Agence depuis sa création en 2005 pour un financement ANR global de 35,5 millions d’euros ainsi que 8 Laboratoires d’excellence (LabEx) et Ecoles universitaires de recherche (EUR) au sein de France 2030.

Mis à jour le 12 juillet 2023
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