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12/02/2015

L'atmosphère déjà "polluée" au temps des Incas

Jusqu'à présent, la communauté scientifique s'accordait à penser que la pollution de l'air par l'homme dans l'hémisphère Sud commençait avec la période industrielle, il y a donc moins d'un siècle. Elle remonterait, en réalité, aux civilisations précolombiennes et en particulier aux Incas qui exploitaient le cuivre et l'argent dans les sous-sols des Andes. C'est la découverte étonnante qu'a fait l'équipe de chercheurs porteuse du projet PARAD, financé par l'ANR en 2011 dans le cadre de son instrument Jeunes Chercheuses et Jeunes Chercheurs (JCJC).

Mené par François De Vleeschouwer, du Laboratoire Ecologie fonctionnelle et Environnement – EcoLab (CNRS / Université de Toulouse), le projet PARAD se fonde sur l'étude de la chimie des poussières dans les tourbières du Chili et d'Argentine. Constituées en moyenne il y a 10 000 ans, les tourbières se forment par l'accumulation de matières organiques dans un milieu acide, saturé en eau et en l'absence d'oxygène. Cette composition très spécifique permet à la matière organique et aux végétaux qui s'y trouvent de se décomposer très lentement. Au cours du temps, la matière organique piège les poussières provenant de l'atmosphère, tandis que les conditions particulières de la tourbière permettent de les conserver. Un carottage dans la tourbe, reflet de la composition des atmosphères passées, permet de remonter dans le temps. Selon les sites étudiés, les tourbières couvrent ainsi de 10 à 15 000 ans.

8000 années passées à la loupe

Le projet PARAD a eu pour chantier spécifique la Patagonie et la Terre de Feu. Les tourbières de cette zone n'ont pas connu d'activité humaine avant le XIXe siècle, époque de la ruée vers l'or et le charbon. Dans le parc naturel de Karukinka au Chili, l'équipe a ainsi foré jusqu'à 4,5 mètres de profondeur pour obtenir une carotte de tourbe renfermant des poussières déposées là pendant les 8 000 dernières années. Les teneurs en métaux de la carotte ont ensuite été analysées grâce à des techniques de spectrométrie de masse. Les isotopes du plomb, véritables signatures de l'origine du métal (origine naturelle ou liée à l'activité humaine) ont notamment été analysés. Cette étude a permis d'identifier la présence d'éléments métalliques remontant à l'époque des civilisations précolombiennes, civilisations qui se sont développées dès le XIIIe siècle au Nord des Andes.

Reconstituer l'histoire des vents et des flux de poussières

Afin d'identifier la provenance de ces poussières métalliques et de reconstituer leur trajet, l'équipe du projet PARAD a analysé les données météorologiques de ces cinquante dernières années et a modélisé les probabilités de trajectoires des particules sur l'ensemble de l'Amérique du Sud.

En Amérique latine, les vents dominants viennent de l'Ouest entrainant donc la majorité des particules vers l'Est. Les travaux réalisés ont montré que l'essentiel des trajectoires se fait effectivement d'Ouest en Est, cependant dans 5 à 10 % des cas, les flux partent du Nord des Andes et vont jusqu'en Terre de Feu. Les poussières retrouvées dans la tourbière chilienne auraient ainsi été émises dans l'atmosphère par les Incas qui exploitaient le cuivre, le plomb et l'étain du sous-sol jusqu'au début du XVIe siècle. Ces émissions se seraient déplacées sur plus de 4 000 kilomètres, d'où leur présence en Terre de Feu. C'est la première fois qu'une équipe de scientifiques démontre un tel transport longue distance de métaux en Amérique du Sud.


F. De Veeschouwer and colleagues open a peat core containing several thousands of years of information about past metal and dust deposition, climate and environment.
Photo Courtesy G. Le Roux

 

En savoir plus :

 


Photo d'illustration : A partial view of the Karukinka peat bog complexe. Photo Courtesy J-Y De Vleeschouwer

Mis à jour le 21 mars 2019
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