FRAL - Programme franco-allemand en SHS

Aux limites de la psychiatrie. Une histoire et une sociologie des psychoses précoces et phénomènes apparentés depuis l'après guerre en France et en Allemagne – PSYFRING

Aux limites de la psychiatrie

Socio-histoire de la psychose émergente et autres phénomènes apparentés en France et en Allemagne depuis l'après guerre

Zones grises: comprendre le mode de constitution et les effets de catégories aux frontières du normal et du pathologiques

Le terme psychose précoce (early psychosis) est largement utilisé aujourd’hui pour qualifier des états qui, sans relever de la psychopathologie, sont supposés avoir une forte probabilité de se développer en maladie mentale grave. La psychose précoce constitue ainsi un espace de liminalité ou, selon le terme que nous introduisons dans ce projet, une zone grise entre la pathologie et la santé, la maladie et la non-maladie, dont la constitution traduit l’émergence d’un assemblage nouveau de tests psychologiques, méthodes épidémiologiques, analyse de risque, combinée avec des mesures de dépistage et de prévention. Ce projet vise à explorer les façons dont cet assemblage s’est déployé comme un aspect du processus contemporain de biomédicalisation de nos sociétés autant que ses effets sur les pratiques psychiatriques et pour les personnes concernés. Précisément nous retraçons l’émergence et l’élaboration de la psychose précoce au cours des cinquante dernières années et la façon dont elle est mise en jeu aujourd’hui dans les pratiques en France en Allemagne. Si la multiplication de ces zones grises dans la biomédecine contemporaine est liée à l’élaboration contemporaine des notions de risque, prévention, traitement, et chronicité, nous soutenons qu’elles forment des tiers espaces constitutifs, qui jouent un rôle stabilisateur pour une série de dichotomies centrales pour les pratiques sociales et les formes culturelles du contemporain. Le projet vise ainsi à proposer une analyse des transformations des façons dont la psychiatrie aborde actuellement sur le plan théorique ses objets et, à travers sa localisation en France et en Allemagne, à esquisser un cadre analytique pour mettre en lumière le jeu entre les processus locaux et globaux dans la construction des pratiques et savoirs de la psychiatrie. Finalement il contribuera à la littérature actuelle en études sociales de la psychiatrie.

Pour atteindre ces objectifs, le projet repose sur une méthodologie comparative et sera entrepris par une équipe interdisciplinaire d’historiens, de sociologues, de psychologues et d’anthropologues. Il est divisé en deux parties qui partagent la même préoccupation methodologique: analyser et comprendre la production, la circulation et l'utilisation des savoirs psychiatriques comme des pratiques. La partie A du projet s’appuie sur une analyse de dossiers hospitaliers de patients et d’autres sources archivistiques dans des hôpitaux psychiatriques et des institutions de recherche français et allemands, sur le dépouillement de journaux psychiatriques, et sur de l’histoire orale. Elle vise à analyser l’élaboration des idées sur la psychose précoce autant que leur implication pour la clinique pratique depuis la seconde guerre mondiale. La partie B explore la manière dont la psychose précoce acquiert un caractère d’objet dans la pratique quotidienne des consultations spécialisées et ce qu’elle signifie pour les acteurs de ces consultations. Elle repose sur une ethnographie réalisée dans des services psychiatriques en France et en Allemagne spécialisés dans le diagnostic et la prise en charge de personnes affectées de psychose précoce. Précisément, le travail consiste en des observations de consultations et de réunions de staff et en des entretiens avec des professionnels, des patients et des familles. L’ensemble des analyses pour les deux parties reposent sur la mise en œuvre de méthodes inductives dérivées de la grounded theory d’Anselm Strauss.

Avec ce projet nous espérons constituer l’histoire de la psychose précoce depuis l’après guerre et montrer quelle est sa vie sociale aujourd’hui en France et en Allemagne. Nous mettrons ainsi particulièrement en évidence les façons spécifiques de produire des connaissances sur les phénomènes sous-jacents dans des contextes historiques et sociaux différents. Nous montrerons aussi comment dans ces mêmes contextes les cliniciens élaborent et mettent en forme des jugements cliniques dans une situation – le diagnostic précoce de pathologies mentales graves – marquée par de profondes incertitudes épistémiques autant que des tensions éthiques. Nous montrerons enfin comment cliniciens et patients interprètent ces diagnostics pour mettre en œuvre des traitements ou repenser des identités personnelles et collectives. Avec ce travail nous pourrons ainsi mettre en évidence quelques uns des mécanismes à l’œuvre derrière le processus de biomédicalisation, entendu comme une diversification des sources de la normalisation dans la biomédecine contemporaine. Nous nous attachons particulièrement à tester l’hypothèse suivante : si la littérature internationale sur ces objets a insisté sur un déclin de la normativité de la clinique, nous pensons plutôt que la clinique reste au cœur du processus de production de la médecine aujourd’hui, même si elle est dans une position nouvelle face à un ensemble de nouvelles normes issues des sciences biologiques, de l’industrie, de l’administration et de la société en générale.

Ce projet contribuera à éclairer les débats contemporains sur les notions de risque, de pré-maladie, de dépistage et de prise en charge précoce, en psychiatrie autant que certains enjeux sociaux de la clinique des adolescents et jeunes adultes. La multiplication des recherches autant que des institutions de prise en charge dirigées vers ces problèmes rend la compréhension de leur fonctionnement et leurs conséquences tant pour les personnes que pour la société plus largement particulièrement importante. L’éclairage que nous apporterons sur certains enjeux sociaux et moraux derrière ces pratiques – comme : quels sont les enjeux du jugement clinique en situation d’incertitude, comment les personnes construisent leur identité sur des catégories aussi instables - sera ainsi une contribution importante non seulement à la réflexion des cliniciens eux-mêmes mais plus largement au débat sociétal sur les transformations de la psychiatrie. A l’intérieur des sciences sociales, enfin, notre recherche participe au renouveau des études sociales de la psychiatrie centrées non plus sur la compréhension des processus qui contribuent au façonnement des identités des personnes atteintes de pathologique psychiatrique grave mais bien sur l’analyse des processus de production de la psychiatrie contemporaine prise comme un système culturel et social.

Ce projet aboutira à une série d'articles dans des revues à comité de lecture en psychiatrie et en sciences sociales ainsi qu'à une conférence internationale et interdisciplinaire en octobre 2014.

Le terme de psychose précoce est utilisé aujourd’hui pour qualifier des états qui, sans relever de la maladie, sont supposés avoir une forte probabilité de se développer en maladie mentale grave. La psychose précoce constitue un espace de liminalité ou, selon le terme que nous introduisons dans ce projet, une zone grise entre la pathologie et la santé, la maladie et la non-maladie. Ce projet vise à analyser la construction de cette zone grise comme manière de négocier les frontières entre le normal et le pathologique dans les sociétés contemporaines.
La constitution de la catégorie de psychose précoce s’appuie sur un assemblage de tests psychologiques, méthodes épidémiologiques, analyse de risque, combinée avec des mesures de dépistage et de prévention. Comment cet assemblage se déploie et comment il reflète les processus contemporains de biomédicalisation, telles sont les principales questions de ce projet, dans lequel nous retraçons l’émergence et l’élaboration de la psychose précoce au cours des cinquante dernières années. La recherche permettra de comprendre les conséquences de cet assemblage à la fois pour les pratiques psychiatriques et pour les individus concernés, confrontés à des conditions qui échappent à la normalité sans avoir atteint un nouveau normal. Si l’importance de ces zones grises aujourd’hui est liée à l’élaboration contemporaine des notions de risque, prévention, traitement, et chronicité, nous soutenons qu’elles forment des tiers espaces constitutifs, qui stabilisent les dichotomies dans les pratiques sociales et dans les formes culturelles du contemporain. Bien que de telles zones grises aient été analysées dans d’autres secteurs de la pratique médicale en dehors de la psychiatrie, cette dernière n’a jamais été analysée sous cet angle. La psychose précoce donne ainsi une opportunité de développer une analyse des frontières mouvantes des pratiques et catégories psychiatriques dans les sociétés contemporaines.
Le projet se donne quatre objectifs principaux : 1. proposer une analyse des transformations dans la manière dont la psychiatrie aborde actuellement sur le plan théorique ses objets ; 2. développer une analyse et une discussion des processus de biomédicalisation à l’œuvre en psychiatrie aujourd’hui ; 3. esquisser un cadre analytique pour mettre en lumière le jeu entre les processus locaux et globaux dans la construction des pratiques et savoirs de la psychiatrie ; et 4. contribuer à la littérature actuelle en études sociales de la psychiatrie. Pour atteindre ces objectifs, le projet repose sur une méthodologie comparative et sera entrepris par une équipe interdisciplinaire d’historiens, de sociologues, de psychologues et d’anthropologues. Il est divisé en deux parties : la partie A reposera sur une analyse de dossiers hospitaliers de patients et d’autres sources archivistiques dans des hôpitaux psychiatriques et des institutions de recherche, sur le dépouillement de journaux psychiatriques, et sur de l’histoire orale. Elle vise à analyser l’élaboration des idées sur la psychose précoce autant que leur implication pour la clinique pratique depuis la seconde guerre mondiale. La partie B explorera la manière dont la psychose précoce acquiert un caractère d’objet dans la pratique quotidienne des consultations spécialisées et ce qu’elle signifie pour les acteurs de ces consultations. Elle reposera sur une ethnographie réalisée dans des services psychiatriques à Paris et à Berlin qui consistera en des observations de consultations et de réunions de staff et en des entretiens avec des professionnels, des patients et des familles. Au total, la recherche est divisée en 11 ensembles de tâches, dont deux sont communs aux deux parties. Parmi les résultats du projet figurent deux conférences internationales et interdisciplinaires, dont une sera organisée en collaboration avec des cliniciens, de même qu’une série de publications dans des revues à comité de lecture.

Coordination du projet

Nicolas HENCKES (INSTITUT NATIONAL DE LA SANTE ET DE LA RECHERCHE MEDICALE - DELEGATION REGIONALE PARIS XI) – henckes@vjf.cnrs.fr

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

CERMES3 INSTITUT NATIONAL DE LA SANTE ET DE LA RECHERCHE MEDICALE - DELEGATION REGIONALE PARIS XI

Aide de l'ANR 249 267 euros
Début et durée du projet scientifique : décembre 2011 - 36 Mois

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