Façonner l'IA du XXIe siècle – SHAPING AI ES-T01069X-1

Les débats concernant "l'intelligence artificielle" (IA) abondent. Politiciens, experts et start-upers expliquent que l'IA va changer nos modes de vie. Véhicules autonomes, détection des maladies, filtrage automatisé des fausses nouvelles et des discours haineux: à l'IA semble revenir la tâche de résoudre des problèmes fondamentaux de notre société. Parallèlement, des inquiétudes naissent, faisant craindre que ces développements renforcent les inégalités sociales et économiques, exacerbent l'opacité des prises de décision, et, remettent en cause l'autonomie humaine. De plus, les choix auxquels la recherche scientifique doit faire face sont eux-mêmes sujets à contestation, avec les leaders des techniques de machine learning exprimant publiquement leur désaccord sur l'importance d'approches différentes pour développer ces agents artificiels.

Cette conjonction entre la dynamique de développements technologiques et de controverses fondamentales installe le décor idéal pour une étude comparative et longitudinale de l'IA, en tant que phénomène sociotechnique. Malgré les précédents pics d'intérêts pour l'IA, celle du 21ème siècle est dans une phase de constitution et d'instabilité dans le débat public, mais aussi dans les communautés expertes des politiques publiques et de la recherche. L’avancée du “machine learning” a depuis longtemps pris la forme d'"expérimentations", mais celles-ci prennent aujourd'hui place dans notre environnement quotidien; il s'agit bien du sous-texte implicite entourant la publication prolifique d'enquêtes de cabinets de conseil, de “whitepapers” sur l'éthique, de stratégies nationales pour l'IA, et de la redistribution importante des financements de recherche.

Le présent projet tente de contraster les trajectoires régionales et globales dans quatre pays clés: le Canada, la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne. Au sein et entre ces pays, le projet compare et met en relation - en utilisant les méthodes historiques, ethnographiques et computationnelles adaptées à chaque cas d'étude - les discours et développements autour de la "révolution du deep learning" de l'IA, au cours de 10 années de constitution (2012 à 2021), dans trois domaines : la presse, les politiques publiques et la communauté de recherche.

L'analyse des médias s'intéressera aux débats sur l'IA dans les principaux journaux, les sites web spécialisés, et les conversations dans les médias sociaux. L'analyse des politiques publiques s’intéressera aux initiatives existantes, aux “whitepapers” et aux régulations dans chaque pays, avec une attention particulière à leur justification. Elle recourra aux interviews d'experts et aux conversations dans les médias sociaux pour contextualiser les mises en place de politiques publiques. L'analyse de la recherche cartographiera les publications et communautés scientifiques, et expérimentera via l'observation ethnographique participante durant des conférences où l'IA rencontre les questions sociales (par exemple sur la propagande en ligne, ou sur les biais dans les modèles de “machine learning”). Le projet étudiera les modes de participation du public dans l’IA, et concevra des formats d'engagement en organisant des ateliers participatifs pour débattre sur l’IA et re-négocier des alternatives.

Le design particulier de cette recherche, inspirée par la cartographie de controverses, permettra au projet de retracer comment l'IA du XXIème siècle a été bâtie, à la fois problème et solution; comment les cultures de l'IA naviguent les controverses et leur (apparente) résolution sans que le p?rimètre de l'"IA" soit entièrement défini. Cette étude internationale, comparative, et pluri-méthodologique, avec un engagement fort vers la co-production de connaissance et la participation du public, souhaite étendre et redistribuer la variété des expertises pertinentes permettant d’assurer que l'IA à venir soit réellement façonnée pour le bien commun.