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27/09/2023

Rencontres Recherche et Création : scientifiques et artistes explorent la fabrique des sociétés

Fruit d’une longue complicité entre l’Agence nationale de la recherche (ANR) et le Festival d’Avignon, la 10ème édition des Rencontres Recherche et Création, organisée les 10 et 11 juillet 2023, poursuivait l’ambition de nous aider à mieux comprendre les sociétés, leurs origines, leurs histoires, leurs évolutions et leurs transformations. Retrouvez les interventions et interviews vidéo des scientifiques et artistes.

En croisant les savoirs et les expériences des artistes et des scientifiques, les Rencontres Recherche et Création montrent une nouvelle fois combien la création et la recherche se nourrissent mutuellement. Les scientifiques ont en commun avec les artistes une inlassable curiosité et une soif de partage. La force du dialogue entre la recherche et l’art dans ses différentes formes est de permettre de changer notre regard, de déjouer les évidences, de montrer la complexité du monde et de contribuer à son intelligibilité. À la rigueur de l’observation, de l’analyse des sources, de l’expérimentation, de la comparaison, s’ajoute ainsi l’intelligence sensible et la puissance de l’imaginaire. Au diapason de la fonction première du théâtre et du festival comme Assemblée, ces rencontres suscitent une proximité avec le public propice à l’échange d’idées et à la pensée en commun.
Depuis 2014, plus de 200 scientifiques et 75 artistes de 18 pays du monde ont ainsi partagé leur réflexion avec le public passionné du Festival.

Une programmation en écho à 4 spectacles du Festival pour explorer la « fabrique des sociétés »

En ouverture de cette édition anniversaire, Tiago Rodrigues, directeur du Festival d’Avignon, a rappelé combien comprendre le monde est absolument essentiel dans l’aventure humaine et combien ces Rencontres s’inscrivent dans cette exigence et dans cette liberté de poser ensemble des questions. Thierry Damerval, président directeur général de l’ANR, a insisté de son côté, sur les principes et valeurs qui guident la démarche scientifique et la démarche artistique. Dans les deux cas, il s’agit d’explorer de nouveaux territoires, d’aller là où d’autres ne sont jamais aller, d’oser la nouveauté.

Les échanges se sont poursuivis dans le cadre de quatre sessions thématiques, chacune en lien avec une œuvre présentée au Festival.

Raconter les origines 

Inspirée de la biographie du prix Nobel Svante Paboo, la pièce Neandertal de David Gesselson, met en scène un groupe de scientifiques qui décident d’écrire une nouvelle histoire de l’origine de l’homme. Portés par l’espoir d’abolir les hiérarchies entre les peuples, l‘ADN est pour eux une encyclopédie vivante.

Si les récits des origines traversent toutes les civilisations, la science permet des explorations inédites. Les avancées de la biologie moléculaire et les techniques de séquençage de l’ADN ancien couplés à l’analyse des traces archéologiques, proposent une nouvelle approche de l’évolution humaine. Pour Jean-Jacques Hublin, l’apparition de l’homme moderne a été un processus long et très foisonnant, marqué par de multiples métissages et l’émergence de structures sociales plus complexes.

L’étude de la Mésopotamie ancienne ouvre aussi de nouvelles perspectives pour comprendre l’invention des premières écritures et l’émergence des premières formes urbaines. Les tablettes d’argile, découvertes en Irak et en Syrie, datant de plus de trois millénaires avant notre ère, témoignent des signes graphiques qui racontent les paroles et les gestes des rituels, les mythes et les actions des dieux (Anne-Caroline Rendu-Loisel). Hervé Reculeau nous rappelle l’importance des observations et des données de terrain pour repérer l’apparition des premières villes, ainsi que les nouvelles organisations sociales, la concentration des pouvoirs et l’accumulation de richesses qui l’on accompagnée. Les travaux du projet Histogènes financés par l’ERC (Conseil Européen de la Recherche), présentés par Patrick Geary, mettent en évidence la complexité de l’émergence de la société européenne du Moyen Âge en retraçant la diversité des populations, des formes de parenté et des organisations politiques.

Vidéo. Rencontre avec Patrick Geary sur les apports de la génétique à la recherche historique. Une interview menée par Emmanuel Laurentin

Conscience, perception et écriture de soi  

Notre vie mentale nous apparaît comme un flux souvent tumultueux de perceptions, de pensées, d’émotions… Pour Virginia Woolf, seul le langage permet de ne pas être emporté par l’instabilité du courant de la conscience et d’inscrire l’existence dans une forme de continuité. Le spectacle Ecrire sa vie, de Pauline Bayle, inspiré d’un des ouvrages majeurs de l’autrice anglaise, se nourrit de cette prééminence accordée à l’expérience sensible et à la communication avec autrui.

L’apport des études littéraires, de l’histoire des sensibilités, de la psychologie du développement et des neurosciences cognitives se conjugue à celui de la littérature pour renouveler la compréhension du rôle des émotions, du fonctionnement de la conscience ou du rapport à autrui. Thomas Dodman montre comment les rôles des émotions et des sentiments varient selon les époques. Les recherches en psychologie cognitive, évoquées par Edouard Gentaz, mettent en évidence combien les émotions morales (honte, culpabilité, gratitude…) sont essentielles pour permettre des comportements sociaux adaptatifs et pour développer le sens de l’empathie – autant de qualités nécessaires à la cohésion des sociétés. L’analyse des stimuli suscités par l’information sensorielle grâce à des techniques d’enregistrement de l’activité cérébrale, fait apparaitre la part réciproque du traitement automatique (ou non conscient) et du traitement conscient (Claire Sergent). L’analyse littéraire décrypte l’ancrage social et historique de l’écriture de Virginia Woolf et les tensions entre identité individuelle et conscience commune qui la traverse (Naomi Toth). L’étude de la transformation de la place du récit de vie dans la littérature reflète les métamorphoses de la construction de la subjectivité individuelle (Antoine Compagnon).

Vidéo. Interview d’Edouard Gentaz par Dominique Leglu, Sciences et Avenir – La recherche : lien intime entre les émotions et l'apprentissage

Les métamorphoses du commun

En décembre 1973, Frédérick Wiseman a filmé durant quatre semaines l’activité d’une permanence d’urgence d’un centre d’aide sociale à New York. Les sans-abris, les mères célibataires, les apatrides doivent faire le récit de leur vie pour quelques repas, un chèque pour payer un logement, pour voir un médecin. Les travailleurs sociaux sont tiraillés entre les singularités des situations et les règlements. Ces parcours de vie font la trame de la pièce de Welfare mise en scène par Julie Deliquet.

La prise en compte collective des risques de la vie est, avec le statut de citoyenneté, un principe majeur de l’organisation des sociétés. Les analyses historiques, sociologiques mettent en évidence les permanences et les transformations dans l’aide aux plus démunis et dans la protection sociale. L’analyse des conditions d’appartenance à la communauté politique au Moyen Âge en Occident montre que la citoyenneté n’existe pas comme statut abstrait fondé sur des droits communs à chaque individu, mais dépend de conditions sociales, économiques et personnelles (Giacomo Todeschini). La transformation des formes de protection collective face à la vulnérabilité met en évidence que si le système de protection de sécurité sociale français a été inventé en 1945, il est aussi le fruit d’une histoire longue qui remonte à l’Antiquité (Paul-André Rosental). L’analyse de l’évolution des administrations et de leurs liens avec les classes populaires renseignent sur les conditions d’accession aux services (Vincent Dubois). Le cinéma italien a, dès son émergence en 1896, représenté la pauvreté - images d’ouvriers travaillant à la chaine ou d’enfants dans les usines du début de l’industrialisation, héros ou héroïnes victimes d’un destin tragique – témoignant des crises sociales. Les archives cinématographiques constituent une source privilégiée pour l’histoire des représentations de la pauvreté et des conditions d’existence des plus démunis (Céline Gailleurd).

Vidéo. Rencontre avec Paul-André Rosental : les origines du système de sécurité sociale français.

Penser l’émancipation

En 1740, en Nouvelle France, Marguerite Duplessis, fille naturelle d’un père français et d’une mère autochtone libre, est considérée comme un objet par la loi. Dans une requête auprès de l’intendant de justice du Roi de France, elle conteste être une esclave, revendique de devenir sujet et défend sa liberté. La mise en scène de Marguerite, le feu, est pour Emilie Monnet une manière, à la fois de contribuer à l’histoire de l’esclavage et d’évoquer la condition des femmes autochtones d’aujourd’hui.

Ecrire l’histoire enfouie de celles et de ceux qui ont été privés de droits, permet d’approcher leurs conditions d’existence et de mieux comprendre les régimes de domination des sociétés esclavagistes du XVIIIe siècle. Il existe très peu de sources permettant de reconstituer les récits de vie des personnes en situation d’esclavage. Les archives du tribunal d’inquisition de Lisbonne permettent de restituer la vie de l’esclave Pascoa, accusée de Bigamie en 1700 (Charlotte de Castelnau-L’Estoile). L’étude des archives des théâtres à Saint Domingue, contribue à la connaissance de la place des personnes esclavisées grâce aux informations recueillies sur les fonctions qu’elles occupaient (Julia Prest). Il existe peu de données sur l’ampleur actuelle de la traite d’êtres humains. L’observation des procès sur la traite à des fins d’exploitation sexuelle renseigne sur les conditions d’exercice de la justice et sur les représentations du statut de victime, de prévenu et de prévenue en fonction, notamment, de l’appartenance de genres (Mathilde Darley). Penser l’émancipation, implique à la fois d’analyser les luttes, qui se sont multipliées depuis le XIXe siècle, et les résistances qu’elles suscitent, notamment celles des régimes autoritaires et des courants fondamentalistes à l’égard des femmes (Abram de Swan). Si l’émancipation est le fruit des luttes et de l’acquisition de droits nouveaux, le concept de liberté développé par Simone de Beauvoir nous rappelle que l’imagination est le creuset des possibles et la condition d’une vie singulière (Kate Kirpatrick).

Mais les nouveaux défis sanitaires et climatiques auxquels l’espèce humaine est confrontée impliquent d’inventer de nouveaux principes d’action. Pour Souleymane Bachir Diagne, le concept de « politique d’humanité » trace une perspective pour échapper à la logique des humanités séparées et pour construire les bases d’un nouvel humanisme.

Vidéo. Rencontre avec Kate Kirkpatrick sur l’actualité du concept de liberté chez Simone de Beauvoir pour l’émancipation des femmes. Une interview menée par Cédric Enjalbert, Philosophie magazine

Découvrez aussi l’interview de Souleymane Bachir Diagne, sur la notion de politique de l’humanité, menée par Cédric Enjalbert, Philosophie magazine

3e Forum Travailler dans le spectacle : penser l’écosystème de la création et la culture comme bien public

Face aux transformations qui touchent les conditions de production et de diffusion des œuvres, les travaux de recherche en sociologie, gestion, économie, philosophie ou histoire, fournissent des ressources pour les différents acteurs de l’écosystème de la création, dont les savoir-faire et l’engagement sont essentiels au dynamisme de ce secteur d’activité.

Le 3e Forum « Travailler dans le spectacle ! », organisé par l’ANR et le Festival d’Avignon avec Thalie Santé et l’ONDA le 13 juillet dernier, a nourri une réflexion partagée entre les professionnelles et professionnels de la culture (syndicats d’employeurs publics et privés, de salariés, artistes, responsables d’institutions culturelles, institution de protection sociale, société d’autrices et d’auteurs…) et les chercheuses et les chercheurs. Il s’inscrivait pleinement dans le renforcement de la contribution de la recherche au développement culturel.

A partir des deux thèmes identifiés en liaison avec les professionnels, les échanges ont abordé : les coopérations entre les différents acteurs de l’écosystème qui permettent aux œuvres d’advenir, les conditions nécessaires à l’activité de création, la qualité du travail, le rôle des politiques publiques dans le soutien de l’activité, la protection de la liberté de création et dans le partage des œuvres avec les publics, la culture comme bien public.

En permettant d’articuler des points de vue multiples, les différentes disciplines scientifiques, les expériences des artistes, des professionnelles et professionnels de la culture, ces journées montrent combien les savoirs ne sont pas séparés. Si comme le rappelle Tiago Rodrigues, demain est aussi un exercice d’imagination, alors la recherche et la création doivent unir leurs forces pour inventer le futur.

Catherine Courtet, Responsable scientifique, ANR

 

Dans le prolongement de ces Rencontres Recherche et Création, découvrez les interviews de chercheurs et chercheuses lors de cette 10ème édition :

Rencontres Recherche et Création 2023 : les interviews

Retrouvez le replay des Rencontres Recherche et Création 2023

Consultez également le 8ème volume des Rencontres Recherche et Création, Contes, mondes et récits, sous la direction de Catherine Courtet, Mireille Besson, Françoise Lavocat, François Lecercle, paraîtra fin juin 2023 chez CNRS Editions, en libre accès.

L’ouvrage « Contes, mondes et récits », publié chez CNRS éditions

En savoir plus :

Le site internet des Rencontres Recherche et Création

La brochure de la 10ème édition des Rencontres Recherche et Création

Les partenaires de Rencontres Recherche et Création

Mis à jour le 24 octobre 2023
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