Flash Info

MaHeWa : vagues de chaleur et ondes de choc dans les écosystèmes marins du Pacifique Sud

Par Gabrielle Lacombe

Lecture  min.

Mis à jour le 12/06/2025

Actu
27/05/2025

MaHeWa : vagues de chaleur et ondes de choc dans les écosystèmes marins du Pacifique Sud

Lancé en novembre 2024, le projet MaHeWa ( Marine HeatWaves ) se concentre sur les canicules marines dans les territoires français ultramarins - Nouvelle Calédonie, Wallis et Futuna et Polynésie Française. Lauréat du programme prioritaire de recherche « Océan et climat » de France 2030, le projet couvre à la fois des recherches sur la compréhension des phénomènes de réchauffement de l’océan mais également l’impact de celui-ci sur les socio-écosystèmes, en particulier la manière dont les populations ont su, par le passé, négocier avec ces épisodes. Focus avec Sophie Cravatte, physicienne océanographe, directrice de recherche à l’IRD, qui codirige le projet depuis Nouméa avec Catherine Sabinot (anthropologue à l’IRD) et Guillaume Mitta (biologiste marin) pour l’IFREMER.

Si le grand public est désormais tristement accoutumé aux canicules « terrestres », estivales, et leurs cortèges d’aléas – incendies, mises en danger des personnes vulnérables - on sait encore peu de choses sur celles qui se trament sous l’océan. Notamment parce qu’elles concernent des variations de températures moins décelables à l’échelle humaine. Les canicules marines (CM) se définissent pourtant par des périodes de hausses de température très au-dessus des normales saisonnières à la surface des mers, de manière ininterrompue sur a minima cinq jours d’affilée, bien que certains épisodes puissent s’étendre sur plusieurs mois. Et cela est amplement suffisant pour déclencher une réaction en chaine de phénomènes physiques perturbant la vie marine. Le blanchissement massif des coraux, le déplacement ou la mortalité d’espèces côtières, ou encore la prolifération d'algues toxiques en sont quelques sinistres exemples.

Le projet Mahewa, porté par l’IRD et démarré en novembre 2024, s’attèle à une recherche transdisciplinaire sur ces canicules marines au sein des territoires français ultramarins ( Nouvelle Calédonie, Wallis et Futuna et Polynésie Française). Ces régions étaient particulièrement ciblées par l’appel à projets « Un océan de solutions » du PPR Océan et Climat, piloté par le CNRS et l’IFREMER dans le cadre de France 2030, dont MaHeWa est lauréat.

Comment ces phénomènes, passés et futurs, interagissent avec les milieux ? Comment est-il possible de prévoir, quantifier leur survenue et mesurer leurs impacts à des échelles variées : écologiques, socio-écologiques, économiques, socio-culturelles ? Ce socle de connaissances « scientifiques » des phénomènes devra ensuite permettre aux chercheurs impliqués dans le projet de penser et co-construire des solutions d’adaptation et d’atténuation des effets de ces épisodes, en lien direct avec les nombreux acteurs territoriaux concertés. La Province des Iles, la Province Nord, la Province Sud, la Direction des affaires sanitaires et sociales (DASS-NC) de la Nouvelle-Calédonie, la Direction des Ressources marines (DRM) en Polynésie Française, l’Agence de développement de la Nouvelle-Calédonie (ADECAL), Météo-France ainsi que des entreprises et des associations des territoires sont d’ailleurs signataires du contrat de Gouvernance du projet. De fait, ces épisodes vont voir leur fréquence et leur intensité augmenter de façon significative au cours des prochaines décennies, dans des territoires dont les populations sont par ailleurs extrêmement dépendantes de l’activité et des ressources marines, à divers niveaux (alimentaire, économique, touristique). 

Un océan en surchauffe et des écosystèmes marins sous pression

Les canicules marines peuvent être générées par des phénomènes variés, naturels : elles peuvent être expliquées par des modes climatiques naturels comme El Niño, par des modifications des courants marins, ou des conditions atmosphériques anormales. Le réchauffement climatique d’origine anthropique explique par contre l’augmentation drastique de leur fréquence, de leur intensité, et tend à intensifier leurs manifestations.

Ces enjeux multilatéraux ont naturellement appelé à la construction d’un consortium transdisciplinaire impliquant climatologues, océanographes, biologistes, anthropologues et économistes de renommée internationale, basés en métropole et au cœur des terrains concernés. Sophie Cravatte, qui travaille quant à elle à Nouméa, au LEGOS, nous informe : « Le terme de « canicule marine » est assez récent. Il a été utilisé pour la première fois en 2013 pour qualifier un épisode inédit à l’ouest de Australie. Pendant une période d’un mois ou deux, les températures ont été très chaudes, entraînant des impacts très importants sur les écosystèmes des régions et sur la mortalité des espèces, le blanchissement des coraux. Depuis, la communauté scientifique s’est largement emparée de ce concept, devenu quasiment « à la mode ». ». Et pour cause, ces phénomènes extrêmes ne connaissent pas de frontières et sont largement répandus à la surface du globe avec des conséquences rapportées à la fois sur les écosystèmes marins, les sociétés et les économies. Même en Europe. Sophie Cravatte évoque notamment « la hausse de sept degrés dans l’Atlantique nord à l’été 2024 et la récente série de canicules marines ayant eu lieu en Méditerranée, avec des effets dramatiques sur les coraux, en particulier les gorgones. »

Mieux comprendre et appréhender les risques que ces canicules représentent s’impose donc comme une nécessité, pour aujourd’hui et demain. Sophie Cravatte précise que « d’après les observations récentes dans le Pacifique Nord, ceux-ci peuvent impliquer des déplacements de populations de poissons, la mortalité d’oiseaux marins, des échouages de mammifères sur les côtes, des impacts néfastes sur l’aquaculture... » 

Tirer les leçons des canicules passées pour appréhender celles de demain

Comment s’articule l’ambition de MaHeWa ? Dans un premier temps, l’équipe s’attèle à identifier et comprendre la « physique » de ces épisodes au cours des trente dernières années, quels mécanismes les ont générés, dissipés ou maintenus. Cette compréhension se fait via des observations par satellites et des modèles numériques. Des modèles climatiques futurs vont ensuite tenter de déterminer de façon réaliste la typologie et la fréquence de survenue de nouveaux épisodes aux abords des régions du Pacifique sud, en vue de mieux évaluer les risques en matière de stress thermique. Sophie Cravatte évoque ainsi « un travail à grande échelle, au large de l’océan et à plus petite échelle, au sein des lagons, où l’on connait encore assez mal l’impact concret des canicules marines. Nous y déployons des capteurs pour documenter les liens entre l’impact des CM à l’intérieur des lagons, au plus proche des côtes et leur relation aux signaux relevés au grand large. »

Un deuxième axe du projet, porté par des écologues et biologistes, va porter sur plusieurs types d’impacts. D’abord, les experts vont étudier – en laboratoire et sur le terrain - la sensibilité et l’adaptabilité des coraux aux canicules marines, notamment les risques de blanchissement et le seuil de stress thermique « bascule » entraînant celui-ci. Mais également les facteurs, génétiques, métaboliques ou alimentaires favorisant la protection, la résilience et la régénération de certains coraux. Bien identifier les colonies de coraux résilients et d’autres plus vulnérables permet ainsi de cartographier les zones à risques, notamment pour que les gestionnaires adaptent leurs actions de conservation.

Une deuxième étude porte sur l’impact des CM sur les espèces exploitées en aquaculture mais aussi celles concernées par la pèche vivrière, c’est-à-dire destinée à une consommation locale et familiale. Sophie Cravatte poursuit : « Nous travaillons de manière hybride du terrain au laboratoire. En collectant des espèces, par exemple des espèces au stade larvaire et d’autres adultes auxquelles sont soumis des stress thermiques, nous observons les seuils au-delà desquels celles-ci sont affectées de manière notable, dans leur survie ou leur développement normal. En Polynésie, ces études vont concerner également les huitres perlières, vivier de l’économie locale, mais aussi des bénitiers cultivés pour leur consommation et divers types de poissons ». Une fois ces tests effectués en laboratoire, ceux-ci seront transposés en lagon dans des « mésocosmes », permettant d’étudier ces variations thermiques en milieux naturels semi-contrôlés.

Agenda

Canicules marines et coraux : des organismes chauffés à blanc

Les récifs coraliens sont les plus importantes structures terrestres fabriquées par des organismes vivants. Ils constituent le lieu de vie de 25 % de la biodiversité sous-marine. On estime que 500 millions de personnes en dépendent sous diverses formes (protection contre les submersions, ressources de pêche, économie, attractivité touristique etc.).

Sous stress thermique aigu et prolongé, ces organismes vivants constitués de polypes, expulsent les zooxanthelles symbiotiques, les algues à l’origine de leurs couleurs, qui leur fournissent de l’oxygène et des nutriments et avec lesquelles ils vivent en symbiose. Le blanchissement ne signe pas forcément la mort des coraux mais   provoque assurément leur affaiblissement, notamment face à d’autres aléas, le ralentissement de leurs croissance et reproduction. Cependant, le phénomène peut être inversé, en particulier par le retour des zooxanthelles en leur tissu. 

Au Printemps 2025, l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA) a confirmé que la Terre traverse un nouvel événement mondial de blanchissement des coraux qui s’avère être le quatrième depuis le début des relevés en 1985, et le deuxième depuis dix ans. Avec des zones affectées de manière globale. La NOAA informe ainsi : « Du 1er janvier 2023 au 20 mai 2025, un stress thermique de type blanchissement a touché 83,8 % de la superficie mondiale des récifs coralliens, et un blanchissement massif des coraux a été constaté dans au moins 83 pays et territoires. L'épisode mondial actuel de blanchissement corallien est le plus important à ce jour. Le précédent record datait du troisième épisode mondial de blanchissement corallien, survenu entre 2014 et 2017, lorsque 68,2 % de la superficie mondiale des récifs coralliens avaient subi un stress thermique de type blanchissement. Les premier et deuxième épisodes mondiaux de blanchissement corallien ont eu lieu respectivement en 1998 et 2010. »

Et ces bouleversements thermiques génèrent des répercussions notables sur la biodiversité marine, l’accès et la sécurité alimentaires, l’économie… Sans compter les autres menaces d’origines anthropiques qui pèsent sur les récifs : pollution, surpêche, urbanisation, tourisme de masse, acidification des océans, prédation par des organismes corallivores…

Dans son rapport « L’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique » en date de 2019, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) évoquait de son côté une extinction prévisible de 70% à 90% des coraux avec un réchauffement à 1,5°C, hausse préconisée par le rapport, contre 99% à 2°C. Le 6ème rapport du GIEC rappelle par ailleurs que « si les politiques et les engagements climatiques actuels ne sont pas tenus, les températures augmenteront de 3,2°C d’ici 2100. »


Corail en voie de blanchissement © Magali Boussion, IRD

Au-delà du lagon, des enjeux sanitaires sur la terre ferme 

Mais les risques des canicules marines ne se cantonnent pas aux espèces marines. Elles impactent l’ensemble de la chaîne alimentaire, y compris l’homme. Le réchauffement de la mer peut en effet conduire à la prolifération d’algues potentiellement toxiques, broutées par les poissons herbivores eux-mêmes consommés par des poissons carnivores. Ces derniers, une fois péchés et consommés par les humains, les contaminent des biotoxines accumulées en leur chair.

MaHeWa va particulièrement étudier le cas du risque d'intoxication alimentaire à la ciguatera ou la « gratte », grâce à la même approche multi-échelles « du laboratoire au lagon ». Cette maladie trouve son origine dans l’efflorescence de l’algue Gambierdiscus toxicus, qui colonise les coraux morts. Une fois ingérées par l’homme, les toxines peuvent attaquer le système nerveux périphérique, occasionnant picotements, démangeaisons, engourdissements, inversion de la sensibilité chaud-froid, ou central (pertes d’équilibre, fatigues chronique, dépressions, céphalées), mais également du prurit.

Les chercheurs de l’IFREMER et de l’institut Louis Mallardé, spécialistes internationaux de la gratte impliqués dans le projet, travaillent à mesurer la réponse de ces algues et l’impact de leur toxicité à différents seuils de températures, en parallèle de l’observation des biotoxines présentes au sein des poissons. Ces seuils, pouvant paradoxalement conduire à la prolifération des algues ou à leur disparition, sont encore mal connus. Ils permettraient pourtant, là aussi, d’envisager différents scénarios en vue d’une adaptation des comportements et d’une régulation de la consommation de poissons en fonction des occurrences d’intoxications massives. Signe de l’évolution climatique : la maladie, endémique des régions de l’Océan Pacifique, Océan Indien et des Caraïbes, commence à toucher des zones tempérées antérieurement épargnées comme la Nouvelle-Zélande. De même, par période de CM, d’autres types de bactéries, comme les vibrios, pathogènes pour les humains, peuvent proliférer.


Des chercheurs de l’IFREMER posent des capteurs passifs pour collecter les micro-algues benthiques © IFREMER

Comprendre les impacts passés, présents et futurs sur les sociétés insulaires

Pour Sophie Cravatte, « malgré des évacuations sanitaires liées aux poussées de ciguatera, les déclarations de cas de cette maladie sont encore limitées. Notamment car les réponses des populations peuvent s’avérer ancrées dans des traditions ancestrales. Les Kanaks se soignent traditionnellement avec des plantes ou du faux tabac par exemple ». Cet aspect de savoir traditionnel est envisagé dans un axe du projet visant à comprendre la vulnérabilité des sociétés insulaires face aux canicules marines à travers le travail conjoint d’anthropologues, géographes, sociologues et économistes. Ceux-ci s’attachent à mieux appréhender la valeur marchande et non marchande du milieu marin pour les différentes populations des îles. Leur travail cherche également à évaluer la dépendance des populations aux ressources marines et donc les risques encourus en cas de mortalité massive d’espèces. « Nous étudions également les manières dont les populations ont traditionnellement réagi à des canicules passées, à travers des enquêtes de terrain. Parfois, elles relativisent leur gravité et les perçoivent comme des phénomènes cycliques. Or, il nous incombe de les informer que leur fréquence va considérablement augmenter à l’avenir » ajoute Sophie Cravatte. 

D’autres collaborations étroites avec les divers usagers des territoires marins vont être nouées dans le cadre du projet. Une ferme corallienne soutenue par l’action Territoires d’innovation de France 2030 va par exemple être mise en place à Lifou en Nouvelle Calédonie. Elle accueillera du public pour des actions de sensibilisation autour de la restauration récifale. C’est la philosophie du projet MaHeWa : faire en sorte que les populations s’emparent du projet pour faire perdurer ses ambitions, au-delà de son déploiement sur quatre années.

Un océan de solutions innovantes   

A ce titre, MaHewa interviendra dans la production d’outils d’aide à la décision pour les gestionnaires et de limitation des risques : « Les premières « solutions » que nous tentons de mettre en place sont des outils d’alerte, co-créés avec Météo France et Mercator Océan International, qui produisent des prévisions de canicules océaniques. Nous allons produire des bulletins d’alertes à diffuser aux populations en cas de canicule. En parallèle, nous organisons des ateliers d’intelligence collective avec des associations de la société civile, des observateurs bénévoles, des pêcheurs, les maires, et des responsables politiques, gestionnaires des milieux marins et de la santé. L’idée est de simuler la survenue d’une canicule afin de mettre en place un protocole opératoire, de surveillance, de fermeture de zones, de restrictions de la pêche etc. » Les premiers ateliers ont eu lieu ce Printemps, simulant une hausse de température de deux degrés au-dessus des moyennes de saisons relayée via un faux bulletin d’alerte.


Atelier d'intelligence collective de mars 2025 organisé à Nouméa © Jean-Michel Boré, IRD

Une deuxième action, à plus long terme, consistera à cartographier les régions vulnérables.  Concernant la ciguatera, le projet va déployer l’outil « Ciguawatch », une plateforme sur laquelle les personnes pourront déclarer les régions où des poissons gratteux ont été péchés. « Concrètement, nous nous rendons sur le terrain, dans les dispensaires pour acculturer et former les habitants à l’utilisation de cette plateforme ».

Enfin, le projet permettra de tester des solutions et techniques innovantes de restauration coralienne. « Nous allons accompagner les initiatives de restauration (comme celles de la ferme corallienne de Lifou) pour améliorer les techniques en sélectionnant les espèces de coraux les plus résistantes, les nourrir ex situ et indiquer les zones à restaurer. Une deuxième solution testée consiste à « stresser thermiquement » de jeunes espèces exploitées de manière répétée, afin de leur permettre de gagner en résistance. Une dernière solution testée par le projet consistera à tester le concept d’herbivorie et d’aquaculture restaurative, en introduisant davantage de poissons herbivores dans certaines zones à risques afin d’y endiguer la prolifération d’algues. Cela sera testé en lien avec les populations locales » explique Sophie Cravatte.

La physicienne rappelle enfin que les « coraux de la Nouvelle Calédonie ont heureusement pour l’heure été épargnés. Un épisode en 2016 a touché près de 87% dont 70 % se sont naturellement restaurés après le refroidissement de l’océan. On pense que seuls 25% des récifs se sont dégradés. En 2023 et 2024, lors de l’épisode de blanchissement mondial (cf encadré), seules quelques petites fractions de récifs ont été blanchies. La situation n’est donc – pas encore – dramatique. C’est justement pour cela que MaHeWa est utile, dès aujourd’hui. Les coraux de Polynésie sont par ailleurs en bien moins bonne santé. »

En savoir plus : 

Le site du projet

Le PPR Océan et Climat

Communiqué de presse de lancement du projet

Dossier ANR : 20 ans et mille projets sur les mers

Inscrivez-vous à notre newsletter
pour recevoir nos actualités
S'inscrire à notre newsletter