Actu
25/09/2023

ICCARE : le programme de recherche de France 2030 consacré aux industries culturelles et créatives (ICC)

Porté par le CNRS, le programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) "ICCARE – Industries culturelles et créatives : action, recherche expérimentation", est co-dirigé par Solveig Serre, historienne et musicologue, directrice de recherche au CNRS (côté INSHS) et David Coeurjolly, directeur de recherche en informatique graphique et géométrie au CNRS (côté INS2I). ICCARE constitue le volet recherche de la stratégie nationale ICC et bénéficie d’un budget de 38,5 M€ pour une durée de six ans.

La stratégie nationale d’accélération « Industries culturelles et créatives » , dotée de 400 M€ sur la période 2021-2025, élaborée à l’issue d’une vaste consultation publique,  comprend « l’audiovisuel, le cinéma, le spectacle vivant dans toutes ses disciplines, la musique dans toutes ses composantes, les musées et les patrimoines, les arts visuels, le design, l’architecture, les métiers d’art, le jeu vidéo, le livre et la presse, ainsi que les secteurs connexes de la communication et de la mode pour le volet créatif de leur activité ».

Elle a pour objectif de répondre à six grands défis : l’accès au financement, l’accroissement de la concurrence, la transformation des modes de création, le bouleversement des modes de production et de diffusion, la diffusion de l’offre culturelle française à l’international, l’émergence d’entreprises culturelles et créatives sur tout le territoire.

Solveig Serre, co-directrice du programme, présente les grands enjeux d’un programme de recherche inédit, résolument pensé et construit « avec et pour les Industries culturelles et créatives ».

Pouvez-vous revenir sur le contexte à l’origine de ce programme adossé à la stratégie nationale sur les ICC ?

Solveig Serre : Le CNRS a été missionné par l’État pour piloter ce programme dont les objectifs ont été fixés dans une lettre de mission envoyée en mars 2022. L’objectif majeur était de créer une dynamique interdisciplinaire entre sciences humaines et sociales et sciences informatiques permettant de développer des recherches susceptibles de déboucher sur des applications innovantes pour les utilisateurs finaux que sont les ICC.

À compter de la réception de la lettre de mission, nous avons eu deux mois pour constituer un document de cadrage qui a été par la suite évalué favorablement par un jury international, moyennant quelques ajustements. Notre document de cadrage a été définitivement validé en juin 2023. Le programme ICCARE constitue le volet « recherche » de la stratégie ICC, parmi d’autres actions phares que sont Compétences et métiers d’avenir (CMA), pôles territoriaux ICC ou la Grande Fabrique de l’image.

Nous sommes d’ailleurs fortement encouragés à établir des ponts entre toutes ces différentes actions, mais également entre les autres PEPR touchant à des domaines connexes dès lors que ceux-ci concernent des thématiques auxquelles nous ne pourrions pas répondre. Je pense notamment au PEPR « Recyclage, recyclabilité et ré-utilisation des matières » par exemple : pourquoi pas en lien avec la problématique de la recyclabilité du papier dans l’édition ? Il y a sûrement de nombreuses autres pistes de travail commun à découvrir.

Comment avez-vous travaillé pour répondre à la demande de l’État ?

S. S : Une des particularités de la lettre de mission de l’État, notamment pour les communautés SHS, était qu’il ne s'agissait pas ici de travailler « sur » les industries culturelles et créatives, mais de travailler étroitement en lien avec elles à des fins d’optimisation. Nous avons donc proposé un concept adapté du programme « science avec et pour la société » de l'ANR (SAPS) : nous avons imaginé la « science avec et pour les industries culturelles et créatives » (SAPICC). Nous comptons également nous appuyer sur l’échelle SRL (Societal readiness level), qui s'applique particulièrement bien à notre programme. Celle-ci mesure le degré de maturation de certaines innovations qui ne concernent pas uniquement un développement économique mesurable par l’échelle TRL (Technology Readiness Levels), mais peuvent contribuer à l’intérêt général et au bien commun.

Pour Sylvie Retailleau, les PEPR sont l’occasion, pour l’enseignement supérieur et la recherche (ESR), de « jouer en mode équipe de France ». Notre stratégie a donc été d’oublier la structuration de l’ESR (universités, structures de recherche, équipes au sein des laboratoires, etc) pour aller détecter individuellement, dans tout l'ESR, les chercheurs et enseignants-chercheurs compétents et volontaires sur les objectifs du PEPR afin de les mettre en réseau, et de faire travailler ce réseau pendant les six ans de durée du projet.
Entre janvier et juin 2023, nous avons contacté un par un tous les vice-présidents recherche des grandes universités françaises ainsi que les directeurs des MSH, structures fédératives, etc. À ce jour, il ne nous reste que les établissements d'Outre-Mer à contacter, nous allons nous y atteler très prochainement. 

Pendant une à deux heures, en visio-conférence, nous avons présenté à chacun de ces VP les bénéfices du programme. À l’issue de l'entretien, nous leur remettions systématiquement un formulaire de remontée d’information individuel à relayer à leurs équipes. Ce travail a permis d’identifier les chercheurs et enseignants-chercheurs dont les travaux étaient liés aux objectifs du PEPR et qui étaient prêts à s’investir dans le programme.

De nombreuses universités sur le territoire se sont montrées extrêmement intéressées et volontaires.  David et moi tenions beaucoup à ce processus d’ouverture à l’ensemble de nos communautés.

Cette démarche a contribué à la création d’une cartographie nationale très fine des recherches en lien avec les ICC dans le champ de l’ESR, et elle nous a permis de construire un premier réseau de plus de sept cents chercheurs et enseignants-chercheurs, destiné à s’élargir pendant toute la durée du programme. Les communautés informatiques ont répondu massivement et avec enthousiasme aux remontées d'informations : de l'IA dans la musique à la reconstitution virtuelle du geste dans les secteurs de la danse ou des métiers d'art, le numérique irrigue une majorité de secteurs créatifs et culturels, il impose également ce dialogue intersectoriel.

Ce travail préparatoire a été dans le même temps accompagné par de nombreux échanges avec les acteurs de l’ESR et des ICC : Fabrice Casadebaig, le coordinateur de la stratégie nationale ICC, mais également des personnes qualifiées de l’ANR : Valérie Fromentin, responsable du département SHS, Michel Isingrini, responsable SHS à la direction des grands programmes d’investissement de l’Etat (DGPIE), Arnaud Torres, directeur de la DGPIE et Daniela Floriani, directrice adjointe de la DGPIE.

Les industries culturelles et créatives concernent des secteurs très divers, comment avez-vous construit et organisé un programme de recherche capable d’appréhender une réalité si hétérogène et fragmentée ?

S. S : Le réseau que nous avons constitué à l'issue des remontées d'informations est réparti au prisme des grands secteurs industriels : audiovisuel, musique, édition, arts visuels, design, jeux vidéo, spectacle vivant, métiers d'art et de mode, musées et patrimoine. En plus de ces neuf grands secteurs, nous souhaitons intégrer une réflexion sur des secteurs dits « émergents », (arts de la table, haute gastronomie, luxe...).

Chacune de ces dix grandes familles sera dirigée par trois « facilitateurs » : un chercheur en SHS, un chercheur en informatique et un professionnel du secteur concerné.

Nous avons également ajouté un comité d'éthique dans le contrat de gouvernance qui aura pour vocation de réfléchir en continu à nos pratiques ou à des notions liées à l'impact environnemental des secteurs. Le comité, constitué de philosophes et d'industriels, rendra un livre blanc à l'issue du programme.

Pour appréhender cette diversité, notre projet de gouvernance est très important, 12 M€, soit quasiment un tiers du budget total du programme. De même, notre cahier des charges est très précis et calibré. Tous les facilitateurs devront s'employer à un certain nombre de réunions annuelles et de missions scientifiques. Nous souhaitions les alléger au maximum des tâches liées aux fonctions support (administratif, communication, ordres de mission, etc.) pour leur permettre de se concentrer entièrement sur la science.

Enfin, au travers de nos discussions avec les industriels, nous avons identifié cinq grands défis interdépendants et intersectoriels qui sont déclinés en six projets ciblés.

Sociologie

Cinq défis déclinés en six projets ciblés

Le premier projet porte sur les enjeux de la création, de production et de la diffusion à l'heure du numérique. Il vise à décloisonner le monde de la recherche scientifique, de l’innovation et de la recherche en art en proposant d’expérimenter un lieu de rencontre et de partage autour de technologies numériques de pointe. Ce projet ciblé a été confié à Richard Kronland, directeur de recherche à PRISM (UMR 7061), une unité dont la plateforme de haute technologie constituera à la fois un lieu d’expérimentation et d’étude des processus de création, qu’elle soit numérique ou simplement assistée par les technologies numériques, mais également une vitrine incitant à l’utilisation des opportunités offertes par les nouvelles technologies. Ce projet apportera par ailleurs un soin particulier à la question de l'intelligence artificielle générative.

Le deuxième projet consacré à répondre à la question Comment toucher les publics, se propose de repenser la question de la démocratisation culturelle. Partant du constat de mutations profondes dans les pratiques culturelles des Français, qu’elles soient conjoncturelles (crise sanitaire) ou structurelles (transformations des lieux culturels, développement de l’offre numérique, vieillissement des publics, etc.), le programme constituera un pôle de réflexion et d’expérimentation sur les moyens destinés à atteindre et intéresser les publics, compris dans toute leur hétérogénéité. Le projet sera confié à une structure originale : la « Scène de recherche » de l'ENS Paris-Saclay, gérée par un maître de conférences Volny Farges et un directeur de théâtre, Ulysse Baratin. Nous aurons ainsi une scène à disposition pour des expérimentations liées aux PEPR.

Le troisième projet, intitulé à Surmonter les crises : bien-être, citoyenneté, doit évaluer l’impact des produits des ICC  sur l’évolution des sociétés, en enquêtant sur la capacité des ICC à devenir ou être perçues et investies comme des leviers essentiels dans le développement des compétences des citoyens, dans la production de sociétés résilientes productrices de bien-être pour les citoyens, ainsi que dans l’évolution démocratique des sociétés ; Ce défi est porté par Sandra Laugier, philosophe, professeure à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et chercheure à l’ISJPS (UMR 8103).

Le quatrième projet concerne les Alternatives culturelles et créatives. Il est porté par Luc Robène, musicien, professeur à l'université de Bordeaux et chercheur à THALIM (UMR 7172). Le projet consiste à détecter ou à imaginer de nouvelles ressources aux marges (entendues dans tous les sens du terme) pour accélérer les ICC en valorisant des manières de faire « autrement », postulant que ces alternatives sont un levier puissant de transformation des ICC tant du point de vue de leurs fonctionnements, de leurs dispositifs ou de leurs contenus, que du rapport à la culture et à la création ou aux processus d’innovation, de production et de diffusion.

Le cinquième projet est intitulé Les mondes infinis du Métavers, pour en faire quoi ?. Il est mené par Joëlle Farchi, professeure à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et détentrice de la chaire « Pluralisme culturel et éthique du numérique » (co-porté par les universités Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Paris Panthéon-Assas). Le projet a pour vocation, en coordination avec les approches scientifiques et techniques, de mettre plus particulièrement l’accent sur les aspects économiques et sociaux du Métavers et sur leurs conséquences en termes de régulation.

Le sixième et dernier projet, porté par Yann Coello, professeur à l’université de Lille et directeur de la fédération de recherche Sciences et cultures du visuel (FR 2052), est intitulé Conception et usage des univers métaversiques : enjeux scientifiques et méthodologiques, vise à favoriser les avancées scientifiques et technologiques des univers métaversiques en soutenant les recherches au contact des artistes et en interaction avec les ICC. Il doit également permettre les interactions avec l’Equipex Continuum+, qui est l’un des deux partenaires du PEPR avec l’IR* Humanum.

Ces six projets ciblés représentent 8 M€. Nous avons pour ambition de faire en sorte que les chercheurs et enseignants chercheurs engagés au prisme de recherches sectorielles dans notre projet d’animation se redistribuent d’une autre manière, au prisme du transversal et de l’intersectoriel, dans ces six projets ciblés.

Les PEPR ont notamment pour mission de structurer les communautés de chercheurs et d’acteurs des secteurs concernés, comment impulser ce mouvement ?

S. S : Le travail mené sur les dix secteurs ICC et les cinq grands défis du PEPR sont censés se croiser au travers de « journées d’accélération » destinées à créer les conditions d’un dialogue entre les communautés scientifiques et les communautés professionnelles.  C’est un principe fort, que j’avais mis en œuvre à une moindre échelle dans le projet PIND (Punk is not dead : une histoire de la scène punk en France, 1976-2016), soutenu par l’ANR pour la période 2016-2021, et auquel je crois beaucoup parce qu’il favorise des rapprochements entre des mondes qui ne discutent pas toujours entre eux, voire jamais, et qu’il est créateur de liens. Or les verrous majeurs du programme que nous avons identifié David et moi est l’absence de dialogue entre les communautés SHS et informatiques d’une part, ainsi que le manque de dialogue entre les communautés scientifiques et professionnelles d’autre part. C’est pour lever ces verrous que nous avons imaginé des journées de rencontres à un rythme soutenu (trois cent cinquante journées à l’issue du programme), captées et restituées sur le site internet du programme.

Pour soutenir ces interactions, une plateforme en ligne sera créée, hébergée par le site internet d’ICCARE, qui référencera les chercheurs, enseignants-chercheurs et professionnels selon leurs domaines de travail, afin qu'ils puissent à terme se contacter par affinités d'intérêts et entamer des projets.

Un technicien son et vidéo va nous suivre tout au long des journées d’animation qui seront captées et restituées sur le site internet du programme. Nous avons envie de conserver la mémoire du programme en train de se faire. Les PEPR sont des objets sont tout à fait inédits et fascinants qui méritent que l’on porte une attention particulière à leurs archives.

Quelles sont les prochaines grandes échéances du programme ?

S. S : Nous en sommes à la phase de consolidation de nos co-facilitateurs de secteurs, dont une grande partie provient des rencontres faites au cours des remontées d'informations. Les prochaines dates charnières sont déjà prévues. Une première réunion de travail est prévue, avec les porteurs des projets ciblés et les co-facilitateurs de secteurs, à la mi-novembre.

Le kick-off meeting du programme devrait avoir lieu en janvier. Les premières journées d’accélérations auront lieu au printemps, et nous espérons avoir atteint notre rythme de croisière en septembre 2024, avec le recrutement des premiers contrats doctoraux.

Avez-vous déjà prévu des livrables issus de ce travail ?

S. S : Il est difficile de définir à l’avance les résultats que nous trouverons, c’est le principe même de la recherche. L’un des grands atouts de cette formule PEPR doit justement consister en la capacité de piloter et d'ajuster les choses « à vue », si nécessaire, de favoriser la prise de risque tout en accordant un temps assez long aux chercheurs pour leur permettre de déployer leurs recherches. L’acronyme même de notre programme - ICCARE - incarne cette part de risque.

Quels autres outils allez-vous déployer pour mener à bien ces nombreux chantiers et enjeux ?

S. S : L’une des demandes de la lettre de mission était de ne pas oublier le volet « recherche/création ». C’est une dimension que nous n’avons pas oubliée, à travers des « petits appels à projet » qui seront financés au fil de l’eau et serviront à des résidences d’artistes dans des laboratoires par exemple.

Enfin, un appel à manifestation d'intérêt doté de 5 M€ est prévu au cours de l’année 2024. Nous allons procéder par dépôt de lettres d'intention et réunions de matchmaking entre équipes proposant des projets proches afin qu'elles puissent se constituer en consortia, associant obligatoirement SHS, STIC et professionnels des ICC. Cet AMI aura l'ambition d’aborder des thématiques qui n'auraient pas été couvertes par le PEPR ou sous un angle différent.

Nous souhaitons aussi soutenir ou créer des tiers-lieux d’expérimentation ouverts aux chercheurs, aux acteurs des ICC et aux publics, à travers un AMI spécifique « Maisons des ICC ». Ces lieux devront s’enraciner dans un territoire et traduire concrètement les résultats du PEPR auprès de la société civile.

La communication est un enjeu capital de ce programme qui fait un peu figure d'exception au sein des PEPR : elle devra être orientée vers une multitude d'acteurs non aguerris aux terminologies de la recherche. De même, paradoxalement, un écueil encore très prépondérant dans la communauté des chercheurs travaillant en lien avec les ICC est l'accès parfois limité à nos terrains de recherche.

Concerts, expositions, musées, salons, rencontres : nous aurons besoin, pour réussir ce programme, d'immersions dans ces univers d’un statut reconnu, par les ICC, de chercheur-enquêteur qui donne un accès privilégié au terrain et permette de créer les conditions d’un vrai dialogue. Une attention particulière doit également porter sur la communication et la médiation envers le grand public afin que celui-ci puisse pleinement prendre la mesure de la teneur et de l’importance de ce programme qui peut paraître très technique vu de l’extérieur. 

Illustration : © Podpunkt

En savoir plus :

Stratégie ICC - culture.gouv.fr

La Grande Fabrique de l’Image - culture.gouv.fr

France 2030 cherche à susciter des projets de « Pôles territoriaux d’industries culturelles et créatives » - gouvernement.fr

Mis à jour le 29 septembre 2023
Inscrivez-vous à notre newsletter
pour recevoir nos actualités
S'inscrire à notre newsletter