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21/11/2014

Climat : une peluche pour surveiller l’état de santé des manchots

L'Océan Austral joue un rôle majeur dans la régulation du climat mondial. D’un point de vue écologique, c’est l’une des zone les plus productives de notre planète. Elle abrite notamment les plus grandes communautés d’oiseaux marins, dont l’état de santé dépend directement des ressources en mer. La forte diminution de la plupart de ces populations d’oiseaux suggère ainsi une perturbation majeure de cet écosystème. Afin d’évaluer la vulnérabilité de l’Océan austral vis-à-vis des changements environnementaux, l’équipe du projet PICASO s’intéresse en particulier aux manchots. A l’aide d’un robot téléguidé "déguisé" en poussin manchot, les scientifiques étudient leur reproduction et leur survie, à l’échelle de la population mais également au niveau de chaque individu. A la clé, une meilleure appréhension de l'état de santé global de cet océan.

Travaillant de longue date sur cette thématique, l’équipe du projet PICASO joue un rôle moteur dans l’avancée des méthodes permettant d’étudier la faune sauvage en s’efforçant de la perturber le moins possible. L'anatomie particulière des pattes des manchots ne permet pas leur baguage. Les scientifiques ont ainsi opté pour l’insertion de bagues dans leurs ailerons, ce qui permet un suivi à distance. En 2011, cependant, les chercheurs ont montré que ce système gênait les manchots dans leurs déplacements dans l'eau, ce qui risquait de compromettre leur survie. Ils ont donc trouvé l’alternative suivante : un transpondeur, c’est-à-dire une étiquette électronique, introduite sous la peau. Celle-ci ne crée pas de gêne pour l'animal mais comporte une contrainte technique : la très petite portée du signal émis par radiofréquence (par RFID, Radio Frequency IDentification), autour de 60 cm. Pour localiser un manchot, les chercheurs devaient ainsi circuler dans la colonie, un lecteur RFID à la main, prenant le risque de perturber les  animaux.

L'intrusion humaine dans le milieu naturel des manchots a, en effet, pour conséquence d’augmenter leur fréquence cardiaque et de déstructurer leurs colonies. L’équipe de scientifiques a donc pensé à remplacer l'homme par des véhicules télécommandés équipés de lecteurs RFID, bénéficiant dans un premier temps d'un ancien rover offert par le Service de Déminage du ministère français de l'Intérieur. Ils ont expérimenté ce système sur l'Ile de la Possession, dans l'Archipel de Crozet (Sub-Antarctique), sur des manchots "royaux", réputés défendre leur territoire. Ces manchots se sont défendus à coups de bec et d'ailerons, et ignoraient le rover dès qu’il s’immobilisait. L’étude s’est poursuivie dans la colonie de manchots "empereurs", située à proximité de la Base française Dumont d'Urville, en Terre-Adélie. Cette espèce a eu pour réaction de reculer à l'approche du rover. Les chercheurs ont donc eu l'idée de le "camoufler", en posant dessus un faux poussin manchot. L'engin pouvait ainsi s’approcher sans les effrayer et sans perturber leur organisation. Les manchots ont même essayé de communiquer avec lui.
L'intérêt de ce dispositif télécommandé "déguisé" vient d'être prouvé par l'Institut pluridisciplinaire Hubert Curien et le Centre scientifique de Monaco. Il va ainsi permettre de mener les recherches d’une façon plus éthique, tout en évitant les biais scientifiques liés à la perturbation des animaux. Ces résultats ont été publiés dans la revue Nature Methods début novembre.

Un projet original et pluridisciplinaire

Le postulat de départ du projet Picaso est que les changements environnementaux n'affectent pas tous les individus de la même façon. Selon eux, l'historique de chaque oiseau pourrait influer sur sa capacité d'adaptation en termes de succès de reproduction et de survie. Cette approche est innovante, car la variabilité individuelle est rarement abordée au cours de ce type de recherche. Grâce à cette technologie, leur étude a pu être réalisée aussi bien au niveau individuel qu’à l’échelle populationnelle. Le projet a également pour originalité d’étudier l’"immunocompétence", c’est-à-dire la réponse des manchots au stress oxydant et au vieillissement, pour juger de l’impact des conditions environnementales sur les organismes. Enfin, en adoptant une approche pluridisciplinaire et intégrative, le projet Picaso a permis de développer des modèles mathématiques globaux aidant à comprendre les liens existants entre les modifications de l’environnement et les trajectoires de ces populations. Autrement dit, des modèles prédictifs de l’évolution de la composante biologique des écosystèmes austraux face aux bouleversements climatiques.

En savoir plus

Le projet Picaso réunit des équipes des délégation Alsace et  Langedoc-Roussillon du CNRS, l’université Paris VI (Pierre et Marie Curie), la délégation le Centre for Ecological and Evolutionay Synthesis de l’Université d'Oslo-Norvège et le Phillip Island Nature Park australien.Ce projet coordonné par Yvon Le Maho a été financé par l’ANR en 2010. Ils bénéficie également du soutien de l'Institut polaire Paul-Emile Victor et de la Fondation d'entreprise Total.

Mis à jour le 21 mars 2019
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