CE03 - Interactions homme-environnement

Protocoles bioculturels communautaires : justice, biodiversité et droit – BioCulturalis

Bioculturalis

Protocoles bioculturels communautaires : Patrimoine bioculturel, Justice et Pluralisme Juridique <br />Le projet Bioculturalis porte sur les Protocoles Bioculturels Communautaires (PBC), instruments désormais formellement intégrés au Protocole de Nagoya (29 octobre 2010). Avec l’appui d’une équipe internationale de juristes, politistes, anthropologues et socio-anthropologues, le projet a pour ambition d’étudier les PBC qui ont été développés ces dernières années en Afrique et en Amérique latine.

Protéger et promouvoir les rôles des peuples autochtones et communautés locales (PACL) dans la conservation de la biodiversité : la promesse des protocoles bioculturels communautaires

De nombreux efforts ont été déployés pour documenter et évaluer la contribution des PACL aux écologies et ressources de vastes régions du monde, que ce soit à travers la gestion des forêts, de la fertilité des sols, des prairies et des montagnes. Les PACL sont désormais perçus comme des acteurs majeurs de la conservation de la biodiversité. Mais comment protéger leur mode de vie et ce faisant maintenir de leur rôle d’‘intendant’? <br />Les protocoles des communautés bioculturelles (PBC) sont présentés comme une réponse possible. <br />Après d’intenses débats et un travail de plaidoyer important du Groupe des États africains et d’ONG particulièrement dynamiques, les PBC ont été intégrés au protocole de Nagoya signé le 29 octobre 2010.<br />Les PBC mettent en avant le droit coutumier d’une communauté, son patrimoine culturel, sa cosmovision et son mode de vie, tout en explicitant les normes locales à suivre pour obtenir le consentement libre, préalable et informé et établir des conditions convenues d’un commun accord. Ils sont ainsi présentés comme de puissants dispositifs pour rétablir une équité substantielle (partage des avantages) et procédurale (évitement des malentendus) dans le cadre de l’accès aux ressources génétiques et savoirs traditionnels (TK) associés, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de la communauté. Les PBC pourrait aussi stimuler le potentiel des PACL en matière de conservation de la biodiversité.<br />L’hypothèse de ce projet est toutefois différente: si les PBC visent à protéger les communautés en matière bioprospection, tout en assurant une fonction d’autonomisation, ils ne peuvent être appréhendés en dehors d’un contexte social et politique qui voit la montée des droits bioculturels. Les droits bioculturels ont le potentiel d’ébranler les catégories juridiques occidentales et de faire progresser les droits des PACL par la reconnaissance de leurs pratiques traditionnelles, coutumes, institutions locales et ontologies.

Le but de notre projet est donc de tester cette hypothèse en combinant trois approches.
La première est locale et vise à éclairer la logique qui sous-tend la création, la mise en œuvre et le contenu des PBC. Cette partie du projet s'appuie sur des études de terrain avec une approche de recherche ethnographique. L’étude porte sur 4 cas couvrant deux pays (Madagascar et Panama). Les résultats sont comparés avec ceux d’une recherche déjà menée sur le PBC du Parque de la papa (Pérou) par un membre de notre équipe (Hall).
La seconde est une étude du contenu et de l’efficacité politique et juridique des PBC, l’accent étant mis sur les principes socioculturels et ontologiques qu’ils embarquent. Les PBC sont des instruments hybrides et, dans de nombreux cas, leur valeur juridique est incertaine. En effet, sauf lorsqu’ils font partie de la procédure nationale de consentement préalable et en connaissance de cause (CPCC), les PBC semblent rester à la marge du juridique formel. Notre approche est donc double : (i) étudier les législations pionnières qui ont reconnu la force obligatoire des PBC (e.g., au Bénin et à Madagascar), afin de mieux comprendre comment elles font le lien entre les niveaux juridiques local et international, les divergences potentielles entre l’approche théorique et ce qui est effectivement mis en œuvre, enfin les mécanismes d’application adoptés ; (ii) comprendre la fonction des PBC qui opèrent en marge du système juridique formel. Nous supposons ici qu'ils remplissent une fonction complètement différente, de nature politique, qui doit être comprise dans un contexte de montée des droits biooculturels.
La troisième comprend une étude ethnographique de la circulation de ces PBC dans les forums de négociation à l'échelle régionale, nationale et internationale, leur mobilisation par les parties prenantes et leur formalisation en fonction des concepts juridiques utilisés au sein de chaque institution (e.g., « agriculteurs », « PACL », « paysans »).

Le WP1 souligne les décalages entre objectif principal du PBC – mise en place de règles locales d’accès et de partage des avantages (APA) – et aspirations des communautés (foncier, culture). L’ethnographie montre aussi une possible redistribution problématique du pouvoir au sein des communautés et une tendance à la fusion des institutions traditionnelles dans des personnes morales. Deux raisons sont avancées : i) un Etat qui cherche à rendre « lisible » une population hétérogène pour les besoins de l’administration, la croissance économique ou la gestion des conflits sociaux; ii) des courtiers en développement qui sont de plus en plus souvent des acteurs internationalisés dont la compétence locale est limitée. Le WP2 confirme ces premiers résultats. Quelques législations reconnaissent désormais expressément les PBC et en imposent le respect aux tiers. Les PBC développés dans le cadre de ces législations sont cependant souvent étroits et se concentrent presque exclusivement sur les procédures locales d’APA, comme s’il s’agissait de placer les PACL dans les réseaux globaux d’échanges de germoplasme et savoirs. Les références à la coutume, aux territoires et à la culture sont absentes, alors qu’elles sont centrales dans les définitions courantes (v. Mo’otz Kuxtal Voluntary Guidelines). A l’inverse, certains PBC précisent la procédure APA locales, mais mettent l’accent sur les enjeux politiques liés au territoire et à l’autonomie.
Le WP3 revient sur la genèse des PBC. Il souligne aussi la dimension politique reconnue par leurs promoteurs, mais identifie deux philosophies différentes : le PBC du Parque de la papa est avant tout un outil, parmi d’autres, pour soutenir le « territoire du patrimoine bioculturel ». Pour les PBC portés/inspirés par Natural Justice, il s’agit d’outils complets de protection du territoire, de la terre, des ressources naturelles, de la culture, de l’autonomie, avec toutefois, en pratique, une surexposition des règles locales en matière d’APA.

Un enjeu pressant est de mieux comprendre le rôle de certains États et courtiers en développement à la lueur du concept d’éco-gouvernementalité. N’y a-t-il pas à l’œuvre, dans un certain nombre de pays, à travers la représentation du « steward » ou de l’« ecological native », une forme « d’action à distance », de « gouvernement intime » destiné à insérer les PACL dans la gouvernance environnementale globale en leur assignant une place précise et contrôlée de « gardien » ? On ne peut nier que les PBC cherchent à concilier les objectifs de conservation de la biodiversité et de justice sociale au profit de communautés longtemps marginalisées. Mais l’usage de concepts comme la « communauté », le « territoire », le « local », la « tradition » restent problématiques. Les représentations de l’ecological native et du steward surexposent notamment le « traditionnel » (CDB, art. 8(j) : les « communautés autochtones et locales » qui « incarnent des modes de vies traditionnelles » ; art. 10(c) « les pratiques culturelles traditionnelles » et « l’usage coutumier des ressources ») et font courir le risque d’enfermer les PACL dans le mythe dualiste « Bon sauvage/Ange déchu » : soit les PACL, réputés vivre en harmonie avec la nature, maintiennent leur mode de vie et leurs pratiques traditionnels ; soit ils s’écartent du modèle imaginé par les conservateurs, et ils deviennent alors une menace pour les écosystèmes dans lesquels ils vivent, ce qui peut justifier des mesures de contrôle à leur endroit.
Pour autant, on ne peut manquer de souligner que les luttes environnementales des PACL et l’apparition d’une identité « écologique » ont aussi servi de stratégies politiques pour établir des liens avec les coalitions et réseaux internationaux qui ont donné aux PACL un plus grand pouvoir politique. Ce qu’il faut montrer c’est comment le concept de stewardship en particulier, et sa mobilisation dans les PBC, a servi à faire des PACL de nouveaux agents d’une éco-politique transnationale

Ingrid Hall (on press), « Tying down the soul of a potato in the Southern Peruvian Andes: Performance and frictions », in Dussart F. et Poirier S. (eds), Sensing Religion in Indigenous Context: Towards New Methods, Toronto, Press of Toronto

Ingrid Hall (2020) « Le Parc de la pomme de terre, conservation in-situ et valorisation des savoirs locaux (Cusco, Pérou) », in Verdeaux François, Ingrid Hall, Bernard Moizo (dir.), Les savoirs locaux, l’innovation permanente, IRD/Editions Quae/PUM

Ingrid Hall (2020), « Quand les pommes de terre andines entrent en politique », Anthropologie et sociétés, Alternatives locales à la conservation environnementale, 43-3, 201.

Fabien Girard (2019) « Semences et agrobiodiversité : pour une lecture ontologique des bio-communs locaux », Développement durable et territoires [En ligne], Vol. 10, n°1, journals.openedition.org.sid2nomade-1.grenet.fr/developpementdurable/13339

Fabien Girard (2019) « Communs et droits fondamentaux : la catégorie naissante des droits bioculturels », RDLF, chron. ° 28, 2019, disponible www.revuedlf.com/droit-fondamentaux/communs-et-droits-fondamentaux-la-categorie-naissante-des-droits-bioculturels/

Comment faire face au défi de la protection des innovations agricoles des peuples autochtones et des communautés locales (PACL) ? La littérature a longtemps plaidé pour de nouveaux droits qui tiendraient compte de la nature collective de leurs innovations. La littérature est riche de propositions en faveur de ‘droits intellectuels communautaires’ ou de ‘droits sur les ressources traditionnelles’. Ces propositions posent des problèmes considérables et une autre voie a été suggérée : la Convention sur la biodiversité (CDB - 1992) et le Protocole de Nagoya (2010), et le développement des règles relatives au consentement préalable et donné en connaissance de cause (PIC) et au partage des avantages. La doctrine contemporaine s’efforce en particulier d’éviter que les contrats de bioprospection ne ‘coupent’ les collectifs et n’aboutissent à des conflits insurmontables entre communautés ; elle veille aussi à ce que les contrats de bioprospection prennent en compte les relations asymétriques dans les négociations et la spécificité de ces innovations qui constituent une partie importante des modes de vie, des réseaux de vie à travers lesquels humains, semences et connaissances s'harmonisent et interagissent selon des classifications internes et des règles complexes étrangères aux catégories occidentales.
Il a ainsi été suggéré de promouvoir les protocoles bioculturels communautaires (PBC) en vue de développer les droits substantiels et procéduraux dans l’accès aux ressources génétiques et aux savoirs traditionnels (TK) associés entre communautés et entre communautés et bioprospecteurs. Les PBC pourraient également renforcer le potentiel des PACL dans le domaine de la conservation de la biodiversité.
Les PBC ont connu un essor considerable durant les négociations du Protocole de Nagoya, et après de vifs débats et un travail de plaidoyer du Groupe africain et d’ONG, ils ont finalement été intégrés au Protocole de Nagoya.
Les PBC ont été récemment définis par les lignes directrices de Mo'otz Kuxtal comme 'un large éventail d’expressions, articulations, règles et pratiques produits par les communautés pour indiquer comment elles souhaitent engager des négociations avec les parties prenantes', et intégrant leurs cosmovisions et leur propre compréhension de leur patrimoine bioculturel.
Le présent projet se concentre sur quelques PBC développés au cours des dernières décennies à travers le monde et portant sur les plantes et TK associés.
Pour les rares juristes qui se sont intéressés aux PBC, leur intérêt serait : i) améliorer l'organisation et la représentation des PACL ; ii) permettre une cartographie/évaluation de leur droit coutumier, leurs systèmes de gouvernance/utilisation traditionnelle des ressources. Les PBC pourraient également être utilisés pour établir des institutions locales dans le cadre du mécanisme d’Accès et de Partage des Avantages tel que prévu par la CDB et le Protocole de Nagoya, de manière à assurer une participation éclairée et équilibrée des communautés dans les projets de bioprospection et la mise en œuvre des règles PIC au niveau communautaire.
La dimension multiforme des PBC est donc incontestable.
Mais l'hypothèse de ce projet est que si les PCA visent à assurer la protection juridique des communautés dans le cadre de projets de bioprospection et sont conçus par les communautés et les ONG comme des outils d'autonomisation, ils ne peuvent être compris en dehors d'un contexte social et politique qui s’intéresse de plus en plus aux droits ‘bioculturels’.
Notre postulat : à travers leur capacité à mobiliser la coutume, les ontologies non occidentales et le concept d’‘intendance de la nature’, les PBC sont l’une des marques de la ‘théorie bioculturelle du droit’ et se laissent appréhender comme une tentative de contester les catégories juridiques occidentales et de faire progresser les droits des PACL à travers la reconnaissance de leurs pratiques traditionnelles, coutumes, institutions locales et ontologies.

Coordination du projet

Fabien Girard (Centre de recherches juridiques)

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

EA1965 Centre de recherches juridiques

Aide de l'ANR 203 018 euros
Début et durée du projet scientifique : septembre 2018 - 36 Mois

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