DS10 - Défi de tous les savoirs

La sélection sexuelle ou sociale sont-elles impliquées dans l’évolution de la coopération? Évaluation des mécanismes assurant la fiabilité de la coopération et des bénéfices directs obtenus par les coopérateurs – WhyCooperate

Les individus les plus coopérateurs sont ils préférés dans les interactions sociales ?

La coopération est présente dans tout le règne animal et permet aux sociétés d’être plus stables dans le temps. Il est donc nécessaire de comprendre les mécanismes permettant son évolution et maintien. Pour cela nous travaillons sur un oiseau du Sud de l’Afrique qui présente l’un des plus grand taux de coopération du monde, le républicain social. Nous cherchons à déterminer si la coopération pourrait être sélectionnée sexuellement ou socialement.

Déterminer si la coopération est un trait caractéristique de l’individu et s’il influence le choix de partenaire social et de reproduction

Comprendre comment la coopération évolue en dépit de la compétition imposée par la sélection naturelle est un problème majeur en biologie. Les individus coopèrent, à un coût apparent pour eux et pour le bénéfice du groupe. De ce fait, il est en apparence plus bénéfique pour chaque individu dans un groupe d'agir égoïstement et de laisser les autres coopérer, l'égoïsme conduisant alors à la fin de la coopération. Cependant les groupes coopératifs se maintiennent mieux que les non-coopératifs, la coopération est très répandue, et la coopération est présente des organismes unicellulaires aux humains. Comment apparait-elle et se maintient-elle? <br />Dans le but d’avancer dans notre compréhension des causes et conséquences évolutives de la coopération, nous travaillons sur la reproduction coopérative. La reproduction coopérative est un système coopératif particulier chez plusieurs espèces d'animaux : une partie de la nourriture apportée aux jeunes est donnée par des individus sexuellement matures, les helpers, qui ne sont pas les parents. Ainsi ces helpers nourrissent des jeunes qui ne sont pas les leurs. <br />Nos objectifs sont triples :<br />- Tout d’abord la coopération est-elle un trait caractéristique d’un individu, répétable et/ou lié à sa condition ? Ainsi est-elle un trait qui peut être utilisé par d’autres car il prédit la coopérativité future d’un individu ou sa qualité ? <br />- Puis nous visons à mesurer si les individus les plus coopérateurs sont en effet mieux intégrés socialement et ont un succès d’appariement plus fort, c’est-à-dire s’ils sont plus choisis. <br />- Enfin nous cherchons à comprendre si au sein des groupes, les individus les plus coopérateurs sont les plus dominants ou au contraire plus dominés. <br />Les résultats obtenus nous permettront de déterminer le rôle de la sélection sociale et sexuelle dans l’évolution de la coopération, une question rarement abordée chez les animaux et pour laquelle quelques bonnes indications sont déjà disponibles chez les humains.

Les réponses à nos objectifs sont obtenues au travers de différentes méthodes. Tout repose sur un suivi longitudinal sur plusieurs années des mêmes oiseaux et de leurs descendants sur le terrain dans une savane semi désertique du Kalahari en Afrique du Sud. Avant chaque événement de reproduction, tous les oiseaux présents de 14 colonies sont identifiés individuellement (400 individus par an). Leur reproduction est ensuite suivie pour déterminer leur date, taille de ponte, nombre de poussins envolés. Ces oiseaux et leurs poussins ont leur profil génétique déterminé pour connaître plus tard grâce au travail d’analyse au laboratoire leur arbre généalogique (liens de parentés) et l’identité des oiseaux reproducteurs et « helpers ». Pendant toute la saison de reproduction le niveau de coopération de ces helpers est mesuré à l’aide de vidéos réalisées sur chaque nid présentant des poussins sur le terrain. Ces vidéos mesurent le taux de nourrissage des parents et des helpers. Ces données permettront de déterminer si les helpers les plus coopérateurs trouvent un partenaire sexuel plus rapidement pour devenir eux même reproducteur et/ou ont une survie meilleure. En parallèle, toutes les associations sont quantifiées entre individus pour construire des réseaux sociaux et déterminer les individus les plus populaires au sein de colonies. Ces données permettront de lier l’intégration sociale des individus à leur niveau de coopération et de déterminer si la coopération est un trait répétable, c’est-à-dire si les oiseaux les plus coopérateurs à un temps t, le seront aussi à un temps t+1. Par ailleurs nous avons mis au point une série d’expérience pour mesurer la personnalité des individus et déterminer si les oiseaux plus coopérateurs sont différents des autres. Nous menons enfin des expériences pour déterminer si coopérer est coûteux physiologiquement et si les individus coopèrent davantage quand d’autres les regardent, un résultat trouvé chez les humains et une espèce de poisson

Plus de 600 individus et 300 poussins ont été identifiés individuellement, 1400 vidéos ont été analysées, 300 nids ont été suivis pour avoir leur succès de reproducteur et déterminer qui sont les helpers et les reproducteurs. La coopérativité des individus a été mesurée pour plus de 150 individus par an. Les premières analyses montrent que la coopérativité des individus est effectivement répétable.
Une interface a été mise au point pour rentrer tous les données directement sur le terrain, elle sera testée cette année sur le terrain.
La dominance et personnalités de plus de 150 individus a été mesurée pendant 2 ans. Des transpondeurs ont été posés à 5 colonies. Les premiers réseaux sociaux ont été construits et plus de 243 individus ont eu des tests de personnalités. Nos premières analyses de réseaux sociaux montrent que les individus s’associent effectivement plus ou moins entre eux. Nos premières analyses de comportement suggèrent que nos oiseaux présentes des comportements répétables, certains étant plus ou moins dociles ou explorateurs que d’autres.
Plus de 300 échantillons sanguins ont été analysées pour déterminer l’apparentement entre les individus et leurs marqueurs de stress oxidatif. Pour les marqueurs de stress, nos premières analyses montrent que le fait d’aider est effectivement couteux pour les individus physiologiquement, leur marqueur de stress étant lié au niveau d’expression de ce comportement.
Durant ces 2,5 premières années de travail, nous avons ainsi posé les bases et récolté les premières données nécessaires nous permettant de déterminer 1) pourquoi un individu plus coopérateur pourrait être un meilleur partenaire (lien avec la qualité, personnalité) 2) et si ces individus les plus coopérateurs apparaissent effectivement comme étant les plus associés aux autres membres du groupe (socialement ou sexuellement). Nous mesurerons aussi si ces associations différentielles leur donnent des bénéfices en terme de survie et de nombre de jeunes produits

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Ce travail a débouché sur des premières publications scientifiques et communications à des colloques scientifiques internationaux.
8 articles ont été publiés ou sont en cours de soumissions. Ils sont à destination de journaux internationaux. Ces articles montrent les facteurs affectant les décisions de se reproduire de ces oiseaux et leur façon de chercher de la nourriture pour mieux comprendre ensuite les facteurs expliquant la variabilité de leurs associations et leur comportements égoïstes ou coopératifs. Ces articles montrent que les conditions environnementales ont un rôle décisif dans la variation observée (Mares et al. 2017, Lloyd et al 2017). Leurs vocalisations ont par ailleurs aussi été décrites (Linossier et al. In prep) afin de réaliser les expériences visant à manipuler acoustiquement leur audience. Ces oiseaux communiquent en permanence dans leur colonie, signalant leur arrivée et départ par un long cri, communiquant aussi sur les colonies par des cris plus courts et répétés. En parrallèle, leur dominance a été mesurée et son coût estimé pour déterminer si la dominance est couteuse est ainsi préciser nos hypothèses sur les relations attendues entre dominance et coopération (Sylvia et al. In press). Enfin le coût de la coopération a été mesuré et il ressort clairement que la coopération n’est pas un acte gratuit chez cette espèce (Lardy et al. In prep) et qu’il s’agit d’un comportement aussi partiellement répétable.

La coopération est présente à tous les niveaux du vivant, des bactéries aux vertébrés tels que les humains. Selon le consensus actuel, elle s’explique par la sélection de parentèle et secondairement par la sélection naturelle. Les sélections sociale et sexuelle, qui supposent une association préférentielle avec les individus les plus coopératifs, pourraient avoir un rôle tout aussi majeur. Cependant le rôle de ces forces est controversé : on ne comprend pas comment la coopération peut être un critère de choix fiable lié à la qualité et/ou coopérativité future de l’individu.
Afin de déterminer si la coopération peut évoluer sous sélection sociale ou sexuelle, nous avons 3 objectifs. (1) Tester 3 mécanismes pouvant assurer la fiabilité de la coopération et donc le fait qu’elle puisse être un critère de choix social ou sexuel. (2) Quantifier les bénéfices sociaux et sexuels de la coopération pour le coopérateur et celui qui s’y associe. (3) Tester les liens entre coopération et compétition afin de déterminer si comme attendu, les bénéfices directs de la coopération conduisent à des conflits pour coopérer. Nous proposons de travailler sur le Républicain social, un oiseau présentant 3 niveaux de coopération : le nourrissage de jeunes qui ne sont pas les siens; la construction collective d’un gigantesque nid communautaire et la défense collective des nids contre les prédateurs.
Objectif 1. Nous appuyant sur les théories de communication et des syndromes de personnalité, nous proposons de nouvelles façons de tester la fiabilité de la coopération. L’hypothèse que la coopération puisse être un signal condition dépendant sera testée autrement que dans les études précédentes : les coûts de la coopération seront mesurés physiologiquement (stress oxydant, télomères) et des expériences manipuleront d’une part la condition des coopérateurs et d’autre part la présence de récepteurs (l’audience). Par ailleurs, deux solutions jusqu’alors non considérées seront testées : (i) la coopération est fiable car elle est un trait de personnalité et/ou (ii) car elle est fiable car elle est signalée par des caractéristiques morphologiques. La coopération en tant que trait de personnalité sera étudiée en mesurant sa répétabilité et ses liens avec d’autres comportements comme la socialité, la témérité et l’agressivité. La coopération en tant que trait signalé par la morphologie sera testée en mesurant son association avec les couleurs mélaniques, souvent pléiotropiques.
Objectif 2. Nous quantifierons les bénéfices sociaux et sexuels de la coopération pour les coopérateurs et les individus qui s’y associent. Des données à long terme (en partie récoltées) et des expériences à court terme seront utilisées pour relier la coopération au succès d’association social et sexuel et à la survie. Nous déterminerons par ailleurs si les coopérateurs sont de meilleurs partenaires sexuels participant plus aux soins parentaux. En liaison avec les hypothèses des ‘bons gènes’ et pour déterminer si la coopération pourrait être héritable et ainsi choisie car transmise aux descendants, nous chercherons enfin si des liens existent entre la coopération et le gène du DRD4.
Objectif 3. Nous analyserons les liens entre compétition et coopération. Des données sur les hiérarchies de dominance et taux de coopération permettront d’établir si les individus sont en compétition pour coopérer.
La faisabilité de ce projet est assurée par les connaissances théoriques de la coopération, communication et sélection sexuelle par l’équipe, la connaissance du modèle biologique et les données déjà acquises par C. Doutrelant et R. Covas, ainsi que par les compétences en bioacoustique (F Rybak), captures-recaptures (A Grégoire) et physiologie (B Faivre, F. Criscuolo). Une NERC obtenue (B. Hatchwell) assure en partie le génotypage et l'évaluation complémentaire des bénéfices indirects. Deux post docs (S. Lardy, A. Tognetti), techniciens (S. Perret, E Steimetz) et un doctorant (M. Rat) sont impliqués.




Coordination du projet

Claire Doutrelant (Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive)

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

CIBIO Centro de Investigaçao em Biodiversidade e Recurso Geneticos. Univ de Porto
UMR 6282 Biogéosciences
UMR 9197 Institut des Neurosciences Paris-Saclay
CEFE CNRS UMR 5175 Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive

Aide de l'ANR 405 728 euros
Début et durée du projet scientifique : novembre 2015 - 48 Mois

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