Flash Info

La santé mentale, un droit humain universel ?

Par Anne Sophie Boutaud

Lecture  min.

Mis à jour le 10/10/2025

Actu
09/10/2025

La santé mentale, un droit humain universel ?

Dépression, schizophrénie, troubles anxieux, bipolarité, charge mentale, troubles de l’attention… Les troubles psychiques forment l’une des premières causes d’invalidité en France. Catherine Heurteaux, référente scientifique en neurosciences à l’ANR, revient sur les principaux défis autour de ces troubles, de la stigmatisation des personnes touchées aux dernières avancées de la recherche.

Qu’est-ce que la santé mentale ?

Catherine Heurteaux : Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la santé mentale est un "état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive, et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté". C’est un continuum complexe allant d’un état de bien-être optimal à des états invalidants, sur le plan émotionnel notamment. En France, près d’une personne sur cinq présente un trouble psychique, soit 15 millions de personnes. Ces pathologies représentent l’une des premières causes d’invalidité, avec les cancers ou les maladies cardiovasculaires. Troubles de l’humeur, de l’attention, schizophrénie, autisme, addictions, troubles anxieux ou alimentaires, charge mentale, troubles cognitifs : ces pathologies relèvent à des degrés divers de la santé mentale. Toutes ne nécessitent pas le même suivi, mais génèrent souvent une stigmatisation qui exclut le malade de la société.

Quel soutien à la recherche apporte l’ANR sur cet enjeu de santé publique ?

C. H. : Pour répondre au défi que représente la santé mentale, et en cohérence avec les plans institutionnels tels que la priorité nationale Troubles du neurodéveloppement, la priorité nationale Santé mentale, inscrite dans son Plan d’action 2026, ou le programme et équipement prioritaire de recherche exploratoire (PEPR) ProPSY, l’ANR soutient des projets de recherche fondamentale ou appliquée, et de valorisation. Dans ce contexte, elle constitue un moteur qui favorise la coopération et le partenariat entre les organismes publics et privés et le développement de collaborations nationales et internationales constructives. Je pense notamment à certains appels multilatéraux, comme celui de l’ERA-NET Neuron Cofund 2 en 2023 qui visait à comprendre les mécanismes de la résilience et de la vulnérabilité face aux facteurs de stress en santé mentale, ou au nouveau partenariat européen, BrainHealth, dont les premiers appels seront lancés début 2026.

« Au total, entre 2014 et 2024, ce sont donc quelques 432 projets en santé mentale qui ont été soutenus par l’ANR pour un montant de 636 millions d’euros : 385 projets pour près de 159 millions d’euros dans le cadre du Plan d’action, et 47 projets pour près de 577 millions d’euros du côté de France 2030.  »

Ces financements ont couvert un large spectre de thématiques de santé mentale : la psychiatrie, les troubles neurodéveloppementaux, les troubles cognitifs, les facteurs sociaux et environnementaux, le stress et les conditions associées, les approches thérapeutiques non médicamenteuses, ainsi que le bien-être et le développement personnel. Pour ne citer que quelques exemples, je pense au projet AutoTime, porté par la chercheuse Anne Giersch, qui s’intéresse à la schizophrénie et a permis de mettre en évidence un lien entre la perception du « soi » et celle du « temps » qui passe. Il y a aussi le projet SINREP, coordonné par Eric Burguière, où les chercheurs, par une approche novatrice alliant neurosciences et génétique, sont parvenus à identifier des cibles neuronales prometteuses pour traiter les patients souffrant de troubles obsessionnels compulsifs : les « interneurones », situés dans le striatum. Ou encore le projet COV’Etu, porté par Elodie Charbonnier, qui visait à étudier les conséquences de la COVID-19 sur la santé des étudiants, leur mode de vie et leur état psychologique, mené dans le cadre de l’Appel Résilience Covid-19 de l’ANR. L’ANR facilite ainsi la pluriprofessionnalité, entre la neurologie, l’imagerie médicale ou les sciences sociales qui sont liées à la psychiatrie, et stimule le développement de passerelles entre ces domaines.

Quels sont les facteurs susceptibles d’impacter notre santé mentale ?

C. H. : Ils peuvent être socio-économiques (précarité, mal logement, isolement), familiaux (deuil, séparation), environnementaux (pollution, bruit), professionnels (conditions de travail), ou encore scolaires (harcèlement). L’isolement social, chez les jeunes comme les personnes âgées, joue aussi un rôle, tout comme certaines consommations à risques comme les drogues ou les psychotropes, ou encore l’exclusion ou la sédentarité. La pandémie de COVID-19 a eu un large impact et doublé la prévalence des troubles mentaux en France. Les troubles anxieux et dépressifs ont augmenté de plus de 25 % en un an, tandis que les services de santé mentale ont été durablement perturbés.

Quels sont aujourd’hui les principaux défis auxquels la psychiatrie, plus particulièrement, est confrontée ?

C. H. : Partout dans le monde, les troubles mentaux ont une forte prévalence et peuvent avoir de lourdes conséquences économiques, directes et indirectes : de 109 milliards en 2012, les dépenses de santé mentale ont été estimées à 163 milliards d’euros en 2023. En France, la psychiatrie représente l’un des premiers postes de dépenses de l’Assurance Maladie, avec une demande de soins en hausse constante. Elle souffre pourtant d’une grave pénurie : quelques 15 500 psychiatres exercent avec de larges disparités sur le territoire, et les effectifs dans les hôpitaux publics ont baissé de 10 %. Il existe plusieurs freins qui ralentissent aussi la prise en charge des personnes concernées par les troubles psychiques : manque d’informations, mauvais diagnostique, stigmatisation, discrimination, défiance, délais et coûts de l’accès aux soins… Enfin, à l’échelle mondiale, moins de 2 % des budgets nationaux de santé sont consacrés à la santé mentale. Enfin, la moitié de la population mondiale vit dans un pays où l’on compte en moyenne un psychiatre pour 200 000 habitants.

Toutefois, avec le développement de nouveaux outils et de nouvelles technologies d’imagerie, la recherche a avancé ces dernières années sur la compréhension des maladies mentales et le parcours de soins.

C. H. : Tout à fait. Aujourd’hui, les recherches se concentrent principalement sur les troubles bipolaires, les dépressions résistantes, les schizophrénies et les troubles du spectre de l’autisme. La majorité des troubles mentaux sont liés à des facteurs biologiques ou génétiques, combinés à des déclencheurs environnementaux. On sait aussi que les dérèglements des systèmes immunitaire et inflammatoire peuvent jouer un rôle majeur. L’immuno-psychiatrie est ainsi devenue une piste sérieuse ; chez 20 % des patients schizophrènes, des auto-anticorps perturbent certains récepteurs neuronaux. Les avancées en neuroimagerie, notamment en IRM, permettent d’identifier des marqueurs biologiques et cliniques. Cela ouvre la voie à une médecine de précision, avec des traitements ciblés selon les sous-groupes de patients. De nouvelles modalités de prise en charge émergent, notamment grâce aux innovations numériques, à l’intelligence artificielle ou aux thérapies digitales. Enfin, il y a un véritable enjeu autour des antidépresseurs, qui mettent plusieurs semaines à agir et restent inefficaces pour un tiers des patients.

Comment améliorer la prévention et la prise en charge globale des personnes touchées en santé mentale ?

C. H. : De nombreux pays ont renforcé leurs politiques de santé mentale, notamment dans le cadre du plan d’action mondial de l’OMS lancé en 2013. Mais les progrès sont lents. La psychiatrie reste peu attractive pour les médecins, soignants, chercheurs et entrepreneurs. L’industrie pharmaceutique, elle aussi, s’est désengagée. Il faut un engagement politique, institutionnel et financier. En matière de prévention, l’enjeu est d’agir sur les déterminants individuels, sociaux et structurels, pour limiter les risques, renforcer la résilience et créer des environnements favorables. La prévention du suicide, par exemple, est un objectif prioritaire de l’OMS avec l’approche LIVE LIFE. L’enfance et l’adolescence, périodes de grande vulnérabilité, doivent être ciblées. L’apprentissage des compétences psychosociales à l’école et la lutte contre le harcèlement sont aussi essentiels. Au-delà de la seule prise en charge psychiatrique, la prévention est donc essentielle, en améliorant la qualité du sommeil, par l’alimentation ou l’activité physique, du repérage précoce des pathologies à l’accompagnement des personnes concernées, dans toutes les dimensions de leur vie quotidienne.

La santé mentale doit-elle être considérée comme un droit universel ?

C. H. : Tout à fait. Jouir de sa santé mentale, c’est pouvoir créer des liens, être autonome, agir et s’épanouir. Or, des menaces multiples – inégalités, conflits, urgences climatiques ou humanitaires – pèsent sur ce droit. La santé mentale est un enjeu de santé publique majeur et doit être une priorité des politiques nationales. Lutter contre la stigmatisation est essentiel pour permettre un diagnostic précoce, une meilleure acceptation et une prise en charge adaptée, au service du bien-être collectif. Que la santé mentale ait été décrétée Grande cause nationale en 2025 est un bon signal, et semble montrer une prise de conscience générale.

Santé mentale : avec l’ANR et France 2030, la recherche se mobilise - Dossier d'actus

Depuis ses débuts, l’ANR s’est mobilisée pour répondre aux défis que représentent la santé mentale et la prévention, la détection précoce, la prise en charge ou encore l’identification de déterminants contextuels et sociaux des maladies psychiques, et contribuer ainsi à l’élaboration de leviers d’action pour les politiques publiques.

Santé mentale : avec l’ANR et France 2030, la recherche se mobilise

Suivre les trajectoires de vie pour mieux comprendre la santé mentale des jeunes

Du plaisir à l’addiction : le rôle-clé de la dopamine dans l’alcoolodépendance

La santé mentale, un droit humain universel ?

Quand l’environnement précoce affecte la santé mentale future

Mieux soigner les maladies mentales grâce à la psychiatrie de précision

Programme 13 novembre l Réapprendre à oublier : plasticité cérébrale et résilience au trouble du stress post-traumatique

Inscrivez-vous à notre newsletter
pour recevoir nos actualités
S'inscrire à notre newsletter