Laurence Guyard : En France, l’enseignement supérieur et la recherche est toujours marqué par un déséquilibre sexué dans des proportions proches de celles constatées au niveau européen. La structure genrée de nos sociétés se décline à tous les niveaux de l’organisation sociale et le système académique n’y échappe pas. Le constat général est que la part des femmes diminue au fur et à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie des postes académiques. Ce phénomène s’explique par la persistance de stéréotypes, par l’invisibilisation du travail des femmes dans le domaine scientifique, par l’entre-soi des réseaux très masculins, par une conciliation vie professionnelle/vie privée plus complexe pour les femmes, le travail domestique pesant davantage sur elles que sur les hommes.
L’évaluation de la recherche et de ses protagonistes peut, elle aussi, être orientée par les stéréotypes de genre entraînant des biais générateurs de discriminations et d’inégalités. Cette question des biais dans l’évaluation constitue une préoccupation majeure pour une agence de financement de la recherche sur projets. Il est par conséquent crucial que l’ANR veille aussi à ce que la question du genre ne constitue pas un biais dans l’évaluation des projets soumis en réponse aux différents appels qu’elle lance.
L. G. : Veiller à la parité dans les comités d’évaluation constitue dans la littérature scientifique la première des recommandations afin de réduire ces biais de genre. Il est en effet communément admis que les femmes sont moins bien évaluées que les hommes car les évaluateurs sont majoritairement des hommes. L’ANR porte une attention particulière à la constitution des comités d’évaluation en respect de la déontologie avec une gestion rigoureuse des conflits d’intérêt, en s’assurant de la diversité géographique des membres impliqués et en veillant à ce que la parité soit recherchée.
Toutefois, la parité parfaite n’est très souvent pas atteignable dans de nombreux domaines en ce que les femmes sont beaucoup moins nombreuses que les hommes parmi les scientifiques. En outre, la parité ne constitue pas une condition suffisante pour réduire les biais de genre dans l’évaluation. Les stéréotypes de genre ne sont pas en effet l’apanage des hommes. De plus, la définition des critères sur la base desquels est réalisée l’évaluation des projets peut aussi être orientée par les stéréotypes de genre et avantager les hommes.
L. G. : Les biais potentiels de genre dans l’évaluation s’inscrivent dans le cadre plus général de la structure même de notre système social et constitue de ce fait une problématique très complexe. Y apporter des réponses pertinentes requiert donc beaucoup de rigueur et de prudence. Il convient d’abord d’identifier ces biais en conduisant des analyses sur les données relatives à la sélection des projets sur une période longue. L’ANR s’est engagée depuis 2017 à réaliser ces analyses, dont les premiers résultats montrent que s’il y avait des écarts de 2 points entre la proportion des projets portés par des femmes retenus pour financement, par rapport à la proportion des projets soumis portés par des femmes, ces écarts tendent à se réduire progressivement. Cela tient probablement à la formation des présidents de comité mise en place depuis l’appel à projets générique (AAPG) 2018, formation lors de laquelle est adressée une sensibilisation à la question des biais de genre dans l’évaluation.
La formation constitue un des leviers majeurs pour réduire les inégalités, et l’ANR va renforcer ses formations par l’élaboration d’outils pédagogiques dédiés. Pour ce faire et être en cohérence avec les organismes de recherche et ses homologues européens, l’Agence est impliquée dans le projet Gender-Smart regroupant neufs partenaires dans l’objectif d’implémenter des plans d’action genre dans les organismes, et développer des outils et méthodologies pédagogiques destinés aux acteurs institutionnels de la recherche.
Contribuer à faire évoluer les pratiques pour réduire les biais de genre n’est toutefois pas une démarche circonscrite à l’évaluation des projets de recherche mais s’étend également à la production des savoirs. Il s’agit aussi d’amener progressivement les scientifiques à considérer systématiquement la dimension sexe et ou genre dans leur projet de recherche et ce quel que soit leur domaine.
Les graphiques présentés ici ont été obtenus à partir des données de l’ANR relatives aux projets de l’AAPG sur la période 2015 - 2018 (qu’ils soient sélectionnés en phase 1, sélectionnés en phase 2 ou financés) et leurs coordinateurs et coordinatrices associés. Les informations sur le genre et le statut professionnel des coordinateurs et coordinatrices correspondent aux données qu’ils/elles ont renseignées lors du dépôt des (pré)-propositions de recherche. Sont présentées ici les premières analyses sur la période 2015 – 2018, d’autres sont en cours. Cette page sera enrichie régulièrement.
On constate que la part des projets portés par les femmes correspond à la part des femmes parmi les scientifiques dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche en France (cf Brochure annuelle du MESRI). Par ailleurs, cette proportion de projets portés par les femmes et soumis en réponse à l’AAPG est en légère progression depuis 2015.
La proportion de projets portés par des femmes invitées à soumettre une proposition détaillée en deuxième étape reste relativement stable depuis 2015.
Les résultats de la sélection relatifs aux projets portés par des femmes sont en légère progression depuis 2015 passant de 28.2% en 2015 à 30% en 2018.
Si la part des projets portés par des femmes est globalement constant sur l’ensemble des éditions, elle diffère notablement d’un instrument de financement à un autre. Plus précisément, les femmes sont de plus en plus nombreuses à soumettre des projets à l’instrument JCJC passant de 569 à 700 projets entre 2015 et 2018 et une proportion de 33.1% en 2015 à 36.7% en 2018 par rapport aux projets portés par les hommes dont la progression s’affaiblit de 1148 projets déposés en 2015 à 1200 en 2018.
Alors que les hommes dont les projets sont sélectionnés sont majoritairement Professeurs ou Directeurs de recherche, les femmes dont les projets sont financés occupent majoritairement des postes de MCF et chargée de recherche. Ces résultats se font le miroir des réalités dans l’ESR et rappellent que malgré leur niveau de compétence, les femmes ne s’élèvent pas dans la hiérarchie académique. Par ailleurs cela indique que, dans le cadre de la sélection, le statut ne semble pas être un critère discriminant.
Les engagements de l’ANR en faveur de l’égalité femmes-hommes
L’analyse « Femmes et hommes de science dans l’appel à projets générique de l’ANR de 2014 à 2016 »
Le site du projet Gender-Smart
Vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, édition 2019
R. Rogers et P. Moulinier (dir.), Les femmes dans le monde académique. Perspectives comparatives, PUR, 2016.