News
10/24/2023

Mieux soigner les maladies mentales grâce à la psychiatrie de précision - PEPR PROPSY

Lauréat de la deuxième vague de l’appel à programmes de recherche exploratoire de France 2030, PROPSY – Psychiatrie de précision, piloté par l'INSERM et le CNRS, est doté de 80 M€ sur 5 ans. En s’inspirant des outils et techniques propres à la médecine de précision, PROPSY souhaite insuffler de l’innovation - et de l’espoir - dans une discipline en pleine mutation. Entretien avec Marion Leboyer, psychiatre, PU-PH à l’Université Paris-Est Créteil, cheffe de l’équipe NeuroPsychiatrie Translationnelle de l’Institut Mondor de recherche biomédicale (Inserm U955), directrice générale de la fondation FondaMental et directrice du programme PROPSY.

En quoi la recherche en psychiatrie est-elle un enjeu majeur de santé publique ?

Marion Leboyer : Pour plusieurs raisons. En premier lieu, à cause de la fréquence de ces maladies, puisqu'on estime qu’un français sur trois sera touché par une maladie mentale au cours de son existence.

Ce sont des maladies qui commencent chez l'adulte jeune, entre quinze et vingt-cinq ans, et qui sont des maladies chroniques, qui durent toute la vie.

Elles ont aussi un impact extrêmement important en termes médico-économiques, puisqu'elles représentent la première cause de dépenses de santé, en coûts directs. Et lorsqu’on cumule coûts directs et coûts indirects, cela représente pour la France un coût de 160 milliards d'euros par an, avec une augmentation de 50 milliards d’euros rien que sur la dernière décennie. Et ces coûts continuent à augmenter.

L’impact est aussi très lourd sur le plan sociétal, puisque ces maladies mentales constituent la première cause des « DALYs » ( Disability-Adjusted Life Year ) c'est-à-dire le nombre d'années de vie perdues à cause d'une pathologie, très loin devant les cancers, les maladies cardiovasculaires, les maladies neurodégénératives.

Ces maladies ont ainsi un impact considérable, à la fois sur la vie des patients et, indirectement, sur celle de leurs proches.

Comment expliquer que les maladies mentales occasionnent ces années de vie perdues ?

M. L. : Les maladies mentales sont responsables d’une mortalité plus importante que celle de la population générale, en moyenne entre dix et quinze ans. Pour deux causes.
La première concerne les maladies somatiques associées aux maladies mentales : les comorbidités somatiques sont plus fréquentes que dans la population générale mais bien moins bien prises en charge, notamment à cause de l'organisation du parcours de soins, du manque d'informations.

Cela explique cette augmentation de mortalité qui concerne les maladies cardiovasculaires, les cancers et les maladies infectieuses, nous l’avons vu pendant le Covid.
La deuxième cause de mortalité accrue est le suicide.

Comment décririez-vous l'état actuel de la psychiatrie en France ?

M. L. : En tant que médecin responsable de département, responsable de grands projets, responsable d’un laboratoire Inserm, je dirais qu'on fait un très, très grand écart entre ce qui est fait dans nos services hospitaliers et ce qu'on fait en matière de recherche. Il faut vraiment que l'on arrive à ce que les découvertes scientifiques soient traduites dans la prise en charge, avec l'organisation de nouveaux modes de diagnostic, de nouveaux modes de parcours de soins, de nouvelles stratégies thérapeutiques, de nouvelles compréhensions des facteurs causaux de ces pathologies.

Malgré tous les efforts qu'on peut faire en matière de communication sur le changement de paradigme à l’œuvre en psychiatrie, les fausses représentations et la stigmatisation sont encore extrêmement prégnantes en France et nécessitent un important effort de pédagogie.

Comment le programme PROPSY a-t-il été pensé au regard de ce contexte ? Quelle définition pouvez-vous donner d’une « psychiatrie de précision » ?

M. L. : Si on a considérablement amélioré la compréhension, les outils diagnostiques et les stratégies thérapeutiques, il y a encore énormément à faire pour améliorer le pronostic des patients qui en sont victimes. C'est l'ambition du programme de recherche PROPSY – Psychiatrie de précision, qui a pour objectif de travailler dans le domaine de la médecine de précision psychiatrique. A l’instar de ce qui a été fait dans le domaine de la cancérologie ou des maladies cardio-vasculaires. C'est-à-dire de se saisir d'outils méthodologiques, pour lesquels la France est dotée de plateformes extrêmement efficaces - en imagerie cérébrale, en génomique, en méta-génomique, métabolomique, en intelligence artificielle, etc. Et ce, afin d’améliorer la finesse et la précision des diagnostics par l’identification de sous-groupes homogènes de pathologies au sein de troubles qui sont aujourd'hui connus pour être très hétérogènes.

Une fois ces sous-groupes homogènes bien identifiés, il s’agit d’essayer d'en comprendre les causes et les mécanismes pour développer des stratégies thérapeutiques ciblées, comme cela est fait aujourd’hui en cancérologie. En tout cas, c’est notre ambition et notre espoir d‘aboutir à un nombre conséquent de progrès en la matière.

Par exemple, nous gagnerons en « précision » en développant à la fois des signatures diagnostiques beaucoup plus précises et en développant des stratégies thérapeutiques ciblées, alors qu'aujourd'hui on utilise des médicaments à large spectre qui ne ciblent pas un mécanisme biologique précis et qui sont souvent insuffisamment efficaces avec des effets secondaires indésirables.

Le programme PROPSY se concentre sur quatre troubles : les troubles bipolaires, les troubles dépressifs majeurs, les schizophrénies et les troubles du spectre de l’autisme. Sur quels critères vous êtes-vous appuyée pour établir cette liste ?

M. L. : Ce sont les pathologies sur lesquelles les centres experts de la Fondation FondaMental travaillent depuis la création de la fondation. Ces centres experts ont été déployés sur toute la France et sont aujourd'hui au nombre de cinquante-trois. Ils ont non seulement contribué à améliorer la qualité des soins, mais ont aussi réduit les coûts, amélioré le pronostic des patients, permis la description de toute une série de facteurs de risques, de comorbidités, etc. Ils ont également permis de constituer de très grandes cohortes. Quatre réseaux de centres experts existent et concernent les troubles bipolaires, les schizophrénies, la dépression résistante et les troubles du spectre de l'autisme sans retard intellectuel.

“Le PEPR va nous permettre de poursuivre la construction de ces cohortes, que nous appellerons « French Minds » et de les enrichir en nous donnant les moyens d’avoir accès aux plateformes françaises de génomique, de métagénomique, d’imagerie cérébrale… Ces évaluations contribueront à la constitution de grandes bases de données qui pourront être étudiées avec les outils de l'intelligence artificielle et qui seront bien sûr ouvertes pour collaboration”

Pourriez-vous donner un exemple d’une stratégie thérapeutique ciblée au sein du programme ?

M. L. : En 2017, avec l’équipe du Pr Laurent Groc à Bordeaux, nous avons publié la description d’une forme clinique de schizophrénie que l’on a appelée la « psychose auto-immune ». On estime que 20% des patients qui ont soit une schizophrénie, soit un trouble bipolaire, soit un trouble schizo-affectif - des pathologies très hétérogènes et a priori très différentes les unes des autres - sont porteurs d'auto-anticorps dirigés contre des récepteurs cérébraux NMDA. Un test biologique visant à déceler la présence de ces anticorps existe déjà, une stratégie thérapeutique anti-inflammatoire dont on on va tester l'efficacité dans un essai thérapeutique va démarrer dans les mois à venir.

Grâce aux moyens alloués au PEPR, nous allons systématiquement dépister, chez les patients qui participeront aux cohortes, la présence de ces auto-anticorps et celle d'autres marqueurs qui sont vraisemblablement des facteurs susceptibles de favoriser le déclenchement de réactions auto-immunes dans un contexte inflammatoire donné. Chez ces patients positifs, nous testerons ensuite dans le cadre d’un essai clinique contre placebo, l'efficacité d'un traitement immuno-modulateur.

Ainsi, au travers d’un axe transversal commun qui cible une pathologie spécifique et qui est transnosographique, nous cochons toutes les cases : le diagnostic précis, l'identification du mécanisme, la démonstration de l'efficacité thérapeutique, l’aspect industrialisable. Et enfin la formation et l’information du grand public, des usagers, des professionnels de santé, des chercheurs en tentant particulièrement d’encourager les jeunes chercheurs à mener des recherches sur ce domaine.

Visibilite

Des projets et outils thérapeutiques innovants déployés en 5 work packages au sein du programme

Les cinq work packages du PEPR compteront chacun entre deux et trois projets pré sélectionnés qui seront ensuite complétés par des appels d’offre ouverts à l’ensemble de la communauté française.

Des outils digitaux seront développés en collaboration avec le PEPR Santé Numérique (Pierre Philip, Bordeaux), par exemple un agent conversationnel qui posera un certain nombre de questions aux patients entre les visites en présentiel. Un autre projet porté par Franck Schurhoff et Gilles Foret (UPEC) propose le déploiement de capteurs qui permettront de mesurer la pollution entre les visites en présentiel pour essayer d'explorer le lien entre pollution et augmentation / majoration de la symptomatologie chez les patients.

Le WP 2 est destiné à la réalisation d'essais précliniques. Un projet concerne la compréhension du mécanisme d'action des auto-anticorps dirigés contre les récepteurs cérébraux.
Un deuxième se compose d’une étude préclinique sur la compréhension de l'impact de l'environnement, en particulier de la pollution de l'air, sur une série de marqueurs, en particulier de l'inflammation chez les animaux exposés ou non exposés.

En WP 3, un projet sur la stimulation cérébrale sur des cibles spécifiques tentera de démontrer que l’utilisation des données de l'imagerie cérébrale va permettre de gagner en précision sur la zone de stimulation et contribuer à en améliorer l'efficacité.
Un projet de neurofeedback entraînera les patients à contrôler leurs hallucinations lorsqu’ils en voient la traduction en imagerie cérébrale.
Un troisième projet concerne l'impact de l’utilisation des agents ou outils digitaux sur l'amélioration des troubles du sommeil dans différentes pathologies psychiatriques.

Le WP4 a pour objet de développer un nouveau secteur biomédical dans le domaine de la psychiatrie et la santé mentale avec des projets de start-ups qui mèneront à la construction de plateformes électrophysiologiques utilisées dans le cadre de la cohorte, la construction d'une cabine de dépistage des pathologies somatiques chez les patients qui viennent en consultation en CMP. Un troisième projet concerne une polymicrobiothérapie.
Et un quatrième permettra d’élaborer un outil d’animation de la communauté et des usagers pour leur fournir de l'information et faciliter leur accès aux essais cliniques.

Enfin, le WP 5 prévoit un grand programme de fidélisation, d’accompagnement et d’amélioration de l'attractivité de la discipline auprès des jeunes soignants, mais aussi des jeunes chercheurs.

PROPSY aspire à développer des innovations en psychiatrie, quels rôles les entreprises et start-ups ont-elles à jouer ?

M. L. : Je suis intimement persuadée que l'innovation dans le domaine de la psychiatrie et la santé mentale va venir de la capacité des start-ups à innover et à déployer les outils dont nous, médecins, avons la responsabilité de démontrer l'efficacité et la validité. Mais pour cela, nous avons besoin du retour des industriels, petits ou grands, vers la psychiatrie. L'industrie pharmaceutique s'est complètement retirée du développement d'innovations thérapeutiques depuis des années précisément parce que les populations sur lesquelles on faisait des essais cliniques étaient tellement hétérogènes qu’il y a eu une série d'échecs thérapeutiques retentissants. Même si les cibles biologiques pouvaient être pertinentes, une trop grande hétérogénéité des patients ne permettait pas de tester correctement l'efficacité clinique. Cet effort de stratification et d'utilisation des outils nouveaux : la biologie, les outils digitaux, l'imagerie, les innovations thérapeutiques ou l'amélioration du style de vie pourraient améliorer considérablement le pronostic de nos patients.

Quelle place sera accordée au numérique au sein du programme ? En particulier l’Intelligence artificielle et l’imagerie cérébrale ?

M. L. : Le numérique sera utilisé tout d'abord pour fabriquer des outils de suivi, précis et écologiques. Nous proposerons aux patients à la fois des outils qui permettent d'évaluer de façon répétée et en situation écologique leur santé mentale, leur pathologie mentale, afin qu’ils aient un retour et une vision de leurs troubles du sommeil, de leurs difficultés à se déplacer, de leurs idées dépressives, etc.  Nous mettrons aussi à disposition des stratégies thérapeutiques – actives ou passives - adossées au numérique car c'est une façon d'aller vers le soin qui est très appréciée des patients.  Les patients volontaires pourront par exemple être dotés de capteurs, des « actiwatch », pour mesurer des paramètres de façon passive pendant des périodes de temps courtes.

Une fois que nous aurons construit les grandes bases de données multimodales interopérables, on essaiera de travailler avec l'intelligence artificielle pour améliorer notre capacité à définir des signatures qui vont utiliser l'ensemble des données qu'on va recueillir, puis de les valider.

La stigmatisation et l’isolement sociaux sont des risques majeurs liés aux troubles de la santé mentale, comment comptez-vous aborder ces enjeux, notamment auprès du grand public et des décideurs ?

M. L. : Ce sont des cibles absolument majeures. Nous allons construire des outils qui permettent d'améliorer la capacité d'accès des usagers du grand public à la littérature internationale grâce aux outils de l'intelligence artificielle, afin de leur mettre à disposition, de façon compréhensible. Nous allons aussi créer un répertoire des essais cliniques en cours ou à venir, pour que les volontaires puissent avoir les informations sur ceux-ci. Nous allons aussi déployer ce qui s'appelle des patient reported outcomes pour permettre aux patients d’auto-évaluer leur qualité de vie et l'impact que peuvent avoir les stratégies thérapeutiques qu'on va développer. Un comité de suivi sera également mis en place, dans lequel, bien sûr, figureront des usagers.

Enfin, pour impacter la prise de décision, nos efforts mis en place depuis des années seront renforcés par la création d’un Policy Lab. Tous nos résultats seront discutés et transmis aux décideurs nationaux. Parce qu'on sait bien qu’il ne suffit pas de publier de bons articles, mais qu'il faut aussi faire connaître auprès du grand public, des journalistes et des décideurs les découvertes qui transforment le domaine et qui devraient transformer l'organisation des soins.

Paradoxalement, face à ces défis croissants, l’attractivité du secteur psychiatrique ne cesse de décliner depuis quelques années. Dans le cadre du PEPR, quelles actions peuvent-être menées auprès de jeunes professionnels ?

M. L. : A travers un early career program, nous nous attacherons à donner accès aux jeunes chercheurs à un panel d’outils, de formations, de stages à l’étranger, de mentoring, d’aides à la publication.

Une plateforme « académie » pour les psychologues consistera aussi à améliorer leur accès aux outils utilisés pour évaluer les patients et à diverses stratégies thérapeutiques auxquelles nous les formerons. C'est vraiment un sujet extrêmement important car la discipline est à un tournant de son histoire grâce à toutes les découvertes majeures qui ont été faites depuis une dizaine ou une vingtaine d'années. Et au moment même où on fait ces découvertes et où on espère améliorer le pronostic des patients, on se heurte à un phénomène de manque d'attractivité, peut-être dû à un manque de visibilité sur tous les progrès et tous les espoirs qui sont les nôtres aujourd'hui.

C'est vraiment triste car nous avons besoin des infirmières, des psychologues, des psychiatres et des jeunes chercheurs pour s'intéresser à ce domaine, qui est absolument passionnant, mais qui est à la croisée des chemins. J'espère que nous arriverons à faire passer ce message d’espoir à travers ce programme.

En savoir plus :

Page du programme sur le site de l’ANR

« La santé mentale est un droit humain fondamental » - dossier ANR

« Il n’y a pas de santé sans santé mentale » - Article du journal du CNRS

Last updated on 25 October 2023
Sign up for the latest news:
Subscribe to our newsletter