News
02/29/2024

Le Projet IMprove : vers de nouvelles perspectives thérapeutiques pour les épilepsies néonatales génétiques incurables

Les épilepsies néonatales d’origine génétique sont particulièrement rares et difficiles à détecter chez le nourrisson. Sévères et encore incurables, elles sont corrélées à de lourds troubles du développement neurologique ultérieur de l’enfant. Le projet ANR IMprove, coordonné par Laurent Villard, directeur de recherche Inserm au laboratoire Marseille Medical Genetics, s’intéresse spécifiquement à la cause génétique de ces formes d'épilepsies : la présence de variants pathogènes dans le gène KCNQ2. A l’occasion de la Journée mondiale des maladies rares, retour sur les avancées du projet sur la compréhension de ces pathologies.

Dossier Maladies rares : priorité aux innovations thérapeutiques

Epilepsies néonatales : la piste génétique

Maladies rares : l'ère des traitements ?

RaReTIA : Données de santé et IA

Maladies rares - Cahier ANR

Comment en êtes-vous venu à travailler sur les encéphalopathies développementales et épileptiques ?

Laurent Villard : Grâce à un double contrat d’interface pour chercheurs – moi-même - et pour hospitaliers - avec le Pr Mathieu Milh, du service de neurologie pédiatrique du CHU de Marseille - Hôpital de la Timone. A l’époque, en 2010, les neuropédiatres locaux souhaitaient que des généticiens s’intéressent à ces épilepsies du nourrisson. On percevait qu’elles devaient avoir une composante génétique importante aux débuts du séquençage à haut débit ou next-generation sequencing (NGS) qui a révolutionné la génomique et la biologie. Ils se sont donc rapprochés de mon équipe car nous étudions les maladies neurologiques sévères pédiatriques d’origine génétique depuis plus de 25 ans. Le projet ANR IMprove s’intéresse donc spécifiquement à la cause génétique des épilepsies néonatales : la présence de variants pathogènes dans le gène KCNQ2. Ce gène code pour une sous-unité d’un canal potassique composé de quatre sous-unités. Ce canal contrôle l’excitabilité neuronale, c'est-à-dire la capacité qu’ont les cellules nerveuses à échanger de l’information entre elles. Le canal transporte les ions potassium d’un côté à l’autre de la membrane cellulaire des neurones. Il agit comme un frein à l’excitabilité neuronale. Lorsqu’il dysfonctionne, les réseaux de neurones peuvent être anormalement excitables et provoquer des crises d’épilepsie. Cette maladie, incurable, a été décrite relativement récemment, en 2012. Les traitements actuels contrôlent partiellement l’épilepsie et ne permettent pas d’améliorer le devenir neurologique des patients, qui vont rester très déficients sur les plans neurologique, respiratoire, digestif ou encore orthopédique, en raison d'un handicap moteur permanent. Il fallait donc développer des modèles pour comprendre la maladie et faire émerger de nouvelles pistes thérapeutiques.

Que sait-on aujourd’hui de ces maladies ? Comment sont-elles prises en charge ?

L. V. : Dans les premiers jours après la naissance, les patients présentent des crises toniques fréquentes entraînant des contractions musculaires anormales et des apnées. Cette phase orageuse dure de 2 à 15 semaines et donne généralement lieu à une période plus calme où les crises sont rares. Malgré cette apparente évolution positive en termes de convulsions, le processus de développement est définitivement altéré et conduit à une atteinte neurologique sévère et globale. Aujourd’hui, les patients atteints sont traités pharmacologiquement par un médicament contenant de la carbamazépine, un médicament doté de propriétés antiépileptiques, neurotropes et psychotropes. Les crises d’épilepsie sont ainsi contrôlées partiellement, mais pas chez tous les patients. En ce qui concerne le développement neurologique ultérieur, il reste très anormal, même si l’épilepsie a été correctement contrôlée. Le reste de la prise en charge est parentale et multidisciplinaire pour tenter de limiter au maximum le handicap neurologique des patients.

On sait aujourd’hui que les variants pathogènes du gène KCNQ2 représentent la principale cause des encéphalopathies épileptiques précoces. Mais les déficits cognitifs observés sont-ils le résultat d'une altération transitoire de la fonction de KCNQ2 ou cette altération limitée dans le temps est-elle spécifique au cortex moteur ? Les anomalies mises en évidence dans le cortex sont-elles généralisables à d’autres structures corticales ? Autrement dit, nous cherchons à savoir si c’est une anomalie des neurones, dont l’épilepsie est l’expression, qui entraîne un handicap neurologique ultérieur ou bien si ce sont les multiples crises d’épilepsie qui vont entraîner la déficience intellectuelle. Nos résultats précédents ont révélé que l'hyperexcitabilité neuronale est transitoire, suggérant la mise en place progressive d'un phénomène de compensation dont l'origine sera étudiée dans le projet actuel. Nos travaux visent ainsi à déterminer s’il existe une période vulnérable durant laquelle les canaux KCNQ2 jouent un rôle fondamental pour le bon développement du cerveau. Si tel est le cas, cela pourrait avoir des implications importantes d'un point de vue thérapeutique, notamment en ce qui concerne le stade développemental durant lequel un traitement devrait être mis en place pour prévenir les déficits neurologiques.

Quelles méthodes de recherche avez-vous mis en place avec votre équipe et vos partenaires sur le projet IMprove ?

L. V. : Pour étudier au mieux cette pathologie, il fallait tout d’abord retracer l’histoire naturelle de la maladie. Elle est encore peu connue, surtout pour les adultes - ou les grands enfants. Nous avons donc mis en place un registre national. Par ailleurs, il fallait disposer de modèles pertinents. Dans le cadre de notre ANR précédente - EPI’K, notre consortium a développé un modèle animal et produit in vitro des neurones de patients dérivés de cellules souches pluripotentes induites (iPSC) [voir encadré]. Pour IMprove, nous avons associé des compétences complémentaires : cliniciens, spécialistes de la génétique, de l’électrophysiologie, des cellules souches, des comportements moteurs précoces. La combinaison des différentes approches au sein de ce projet a permis d’obtenir des résultats novateurs pour mieux comprendre la maladie et son évolution et réaliser une cartographie moléculaire et électrophysiologique des modèles.

MetierAgent

Des cellules souches pluripotentes induites pour générer des neurones

Les maladies neurologiques telles que l’épilepsie sont provoquées par un dysfonctionnement des neurones. Contrairement aux cellules étudiées dans le cas des maladies de la peau, du sang ou des muscles par exemple, les neurones ne sont pas accessibles chez les patients. Il est donc nécessaire de produire des neurones en utilisant des cellules souches pluripotentes induites ; des cellules sanguines de patients sont ainsi reprogrammées à l’aide à une technique développée par le Dr Shinya Yamanaka, qui a reçu le prix Nobel de médecine en 2012 pour cela. Grâce à l’un des partenaires du projet, ces cellules souches permettent de générer des neurones de patients en culture. Les partenaires du projet IMprove ont étudié ces cellules, leur comportement électrique, ou encore leur contenu en protéines et en ARN.

 

Justement, concernant le modèle animal que vous avez développé : qu’est-ce qu’une souris knock-in ?

L. V. : Pour modéliser au mieux la maladie chez l’animal, nous avons voulu reproduire une mutation humaine chez la souris. Nous avons donc modifié le gène KCNQ2 de souris au même endroit qu’une mutation fréquemment retrouvée chez les nourrissons épileptiques. De cette façon, nous avons obtenu le premier modèle de la maladie. Une souris knock-in est donc une souris qui contient une mutation ponctuelle à l’intérieur du gène ce qui induit la production d’une protéine anormale.

Quels sont les principaux résultats du projet IMprove ?

L. V. : Nous avons constitué la première cohorte de patients KCNQ2 en France. Cette cohorte a vocation à rejoindre une cohorte européenne qui est en cours de constitution dans le cadre d’un projet européen associant le coordinateur de l’ANR IMprove. Nous avons identifié des dysfonctionnements dans les neurones du cortex moteur et certains neurones de la moelle épinière dans un modèle knock-in de la pathologie. Nous avons identifié des dérégulations de l'expression de gènes et de protéines qui vont être désormais utilisés pour identifier de nouvelles cibles thérapeutiques. Nous avons effectué un travail sur la carbamazépine, qui est donc le traitement actuel des patients KCNQ2, et montré que, dans le modèle animal de la maladie, il faut instaurer un traitement long pour obtenir un effet du traitement sur les performances cognitives. Ces résultats vont être exploités à travers le registre qui a été créé grâce à ce projet. IMProve eu un véritable effet levier. Il nous a permis de participer à TREATKCNQ, un projet du Programme Européen Conjoint sur les Maladies Rares (European Joint Programme on Rare Diseases - EJP RD JTC2020) ; il a ainsi ouvert de nouvelles collaborations et conduit à la publication de plusieurs articles scientifiques. Il a aussi permis de valoriser les travaux sous forme de collaboration avec des industriels majeurs du médicament.

Pourquoi est-ce nécessaire de travailler sur les maladies rares dans la durée, sur le temps long ? Plus largement, pour vous, comment la recherche sur les maladies rares a-t-elle évolué ces dernières décennies (depuis le PNMR1) ?

L. V. : Le temps de la recherche est un temps long, très différent du temps des familles qui demandent des solutions rapides pour les malades, et c’est bien compréhensible. La recherche que nous conduisons, dite « translationnelle », doit permettre à terme de proposer de nouvelles approches thérapeutiques mais cela doit être dans des conditions de sécurité absolues. Il est inconcevable de griller les étapes et de faire prendre des risques aux patients. Les étapes étant multiples, depuis l’identification du gène jusqu’aux modèles et leur étude, ces recherches prennent toujours beaucoup de temps.

Depuis le premier Plan national maladies rares, des dizaines de traitements ont été mis au point pour des maladies rares. Ce qui relevait jadis de la science-fiction est devenu une réalité pour certains malades. Grâce à des financements dédiés, au rôle moteur des associations de patients, aux plateformes et centres de référence maladies rares, un écosystème dynamique a vu le jour. Il permet aujourd’hui de conduire des recherches de pointe, reconnues au niveau international. Aux côtés des malades, des associations de patients, il faut que ce mouvement soit prolongé et amplifié avec des moyens supplémentaires afin que les chercheurs et des cliniciens impliqués puissent continuer à utiliser leur créativité pour mettre au point de nouveaux traitements et mieux comprendre ces maladies rares.

Les partenaires du projet IMprove :

Mathieu Milh - Assistance Publique Hôpitaux de Marseille
Laurent Aniksztejn - Institut de Neurobiologie de la Méditerranée - Marseille
Frédéric Brocard - Institut des Neurosciences de La Timone - Marseille
Alexandra Benchoua - Institut des Cellules Souches – Evry

Dossier Maladies rares : priorité aux innovations thérapeutiques

Epilepsies néonatales : la piste génétique

Maladies rares : l'ère des traitements ?

RaReTIA : Données de santé et IA

Maladies rares - Cahier ANR

Last updated on 06 March 2024
Sign up for the latest news:
Subscribe to our newsletter