News
02/25/2025

Au cœur de l’IHU Liryc : mieux prévenir et guérir les troubles du rythme cardiaque. Entretien avec le Professeur Pierre Jaïs, Directeur général de l’institut

Comptant parmi les premiers lauréats de l’appel à projet Instituts hospitalo-universitaires (IHU) en 2011, le centre Liryc est entièrement dédié aux maladies du rythme cardiaque. Leur détection, prévention et traitement constituent un véritable enjeu de santé publique quand on sait que 30% des maladies cardiovasculaires ont pour origine un trouble du rythme cardiaque. Rencontre avec le Professeur Pierre Jaïs, Directeur général de ce centre pluridisciplinaire qui réunit à Bordeaux plus de 170 médecins et chercheurs internationaux.

Pouvez-vous nous présenter l’IHU Liryc ?

Notre institut, dédié aux dysfonctionnements électriques du cœur, a été à l’origine d’avancées cruciales dans la connaissance et le développement de traitements de ces arythmies : nous avons décrit d’où elles venaient et conçu des stratégies thérapeutiques. Liryc est à l’interface de la recherche et du soin et se situe pour ce faire à proximité immédiate du CHU de Bordeaux où l’on soigne les patients arythmiques à l’hôpital cardiologique Haut-Lévêque. Lyric se situe également près de l’université de Bordeaux, INRIA, l’institut de mathématiques, structures avec lesquelles nous avons des interactions quotidiennes.

Notre institut est organisé en pôles, avec des experts venant d’horizons très différents : certains font des modèles numériques du cœur, du soin, de la cartographie optique qui est une manière de cartographier les activités magnétiques du cœur avec une très haute précision. C’est la manière la plus fine d’apprécier les activités électriques du cœur, mais elle n’est pas encore utilisable chez les patients.  Nous avons également des ingénieurs en imagerie, IRM, en ultra-sons, et un pôle de physiopathologie avec des chercheurs concentrés sur les cardiomyocytes (cellules contractiles composant le muscle cardiaque), et leurs fonctions électriques à l’échelle de la cellule. D’autres chercheurs travaillent sur la bioénergétique…

Le plateau technique est très riche et doté d’équipements de pointe : deux IRM 1,5 Tesla, une IRM 9,4 Tesla, un scanner photonique de dernière génération, deux salles rayons X…

Que recouvrent les troubles du rythme cardiaque ?

Cela comprend un très large spectre de maladies, certaines génétiques, d’autres acquises. Ces dysfonctionnements sont à l’origine de pathologies et complications absolument majeures sur le plan épidémiologique. 

La fibrillation atriale, sur laquelle le centre est expert, est un emballement de l’activité électrique des oreillettes. En temps normal, elles battent à 50, 60, 70 coups par minute, et entrainent à leur suite les ventricules. En fibrillation atriale, on passe tout à coup à 300 et 600 battements par minute avec une activité électrique chaotique qui aura des conséquences dans l’oreillette et le cœur dans son ensemble. Cela induit un « remodelage » adverse et délétère du cœur au long cours : des changements au niveau des tissus, des fibroses de remplacement, un infiltrat par des cellules graisseuses, des cellules cardiaques moins efficaces, une dilatation des oreillettes… Ces fibrillations sont des « tueurs » lents, en étant à l’origine d’insuffisances cardiaques, de démences, de problèmes rénaux, d’accidents vasculaires cérébraux (AVC) par la formation de caillots – près d’un tiers des AVC sont en effet dus à une fibrillation atriale. Elles peuvent augmenter le taux de mortalité et de démence par deux sur le moyen ou long terme. 1 % au moins de la population générale est concernée, soit des millions de personnes. 

La fibrillation ventriculaire est en revanche plus foudroyante : elle se manifeste par une activation électrique très rapide et désorganisée des ventricules (cavité inférieure du cœur) empêchant toute contraction cardiaque efficace. Le cœur est sidéré, le cerveau n’est plus irrigué et si rien n’est mis en place – massage cardiaque et défibrillation - dans les 5 minutes, la « mort subite » advient. Seuls 5% des personnes touchées y survivent en France chaque année. Pour bon nombre d’entre eux, cette mort est d’autant plus « illégitime » que leur cœur n’est pas structurellement malade et pourrait tout à fait survivre à cet épisode. On compte 50 000 morts par an en France, 350 000 en Europe, c’est considérable. 

Les recherches portées par l’institut ont notamment permis d’explorer de nouvelles voies préventives pour ces arythmies. Pouvez-vous nous décrire un exemple de nouvelles méthodes de cartographie ?

Sur la base de l’Equipex MUSIC, nous avons construit un logiciel qui nous permet de reconstituer le cœur du patient en trois dimensions sous une forme qui est immédiatement compréhensible par les cardiologues-rythmologues. L’anatomie très précise du rendu de ce « jumeau numérique » permet de localiser le nerf phrénique, les artères coronaires, mais également les zones malades dans les ventricules qui provoquent ces arythmies. 

Depuis 20 ans, nos cœurs de métiers que sont l’électrophysiologie cardiaque et la rythmologie interventionnelle ont connu un bond considérable grâce à des systèmes de localisation de cathéters diagnostiques sur lesquels nous avons construit la majorité des stratégies de traitement. 

Les cathéters que nous utilisons pour comprendre et traiter les arythmies sont localisés dans l’espace avec des coordonnées x,y,z et viennent au contact de la paroi d’une oreillette ou d’un ventricule selon l’arythmie à traiter. Le cathéter enregistre l’activité électrique et garde en mémoire cette localisation 3D. A partir de ces enregistrements, on reconstruit une modélisation personnalisée de la cavité sur laquelle on travaille. MUSIC permet de coupler et synchroniser les informations électriques aux images 3D qui, une fois reconstruites nous font gagner énormément de temps en nous permettant de visualiser ces cathéters dans le jumeau numérique du cœur du patient. On gagne en temps, sécurité et efficacité en diminuant le taux de réintervention, qui passe de 40% à 20% pour les arythmies ventriculaires.

Comment ces innovations permettent-elles de prévenir les risques ?

L’enjeu de la médecine de demain est d’évaluer le risque avant que le problème n’arrive. Dans le cas de la médecine de précision et de prévention, au sein de ces images et reconstructions 3D, nous avons développé des stratégies, logiciels et séquences IRM pour quantifier les cicatrices dans le cœur (dues à un infarctus ou myocardite ou autre cicatrice) qui peuvent compromettre le cheminement de l’impulsion électrique et causer l’arythmie. En utilisant ces informations couplées avec d’autres données (cliniques, biologiques) et avec le concours de l’Intelligence artificielle, nous pourrons mieux préciser le risque de développer une mort subite ou encore un accident vasculaire cérébral d’origine embolique, c’est-à-dire causé par un caillot provenant du cœur. C’est notamment notre travail mené avec le RHU Talent et Meditwin  (financement BPI).

Pour la mort subite, on peut implanter un défibrillateur si l’on connait le risque et pour le risque d’accident cérébral, on peut prescrire des anticoagulants. Malheureusement, nos stratégies d’identification actuelles des patients à risque sont insuffisantes. Le parcours du patient est très long et erratique avant que l’on se pose la question du risque. Avec les logiciels sur lesquels nous travaillons, on change de paradigme et de dimension, car ils peuvent être déployés dans les structures de soin, tourner automatiquement et faire de l’analyse de données médicales en temps réel (scanners, éléctrocardiogramme (ECG), biologie…). Lorsque le logiciel identifie un surrisque, il est en mesure d’envoyer un message d’alerte au médecin. 

Concrètement, nous pouvons imaginer par exemple qu’un patient pris en charge pour une prothèse de hanche qui doit passer un électrocardiogramme soit, au vu d’alertes, redirigé vers une autre réflexion médicale, passe d’autres tests qui pourraient mener à une prescription d’anticoagulants pour le prémunir d’un AVC. Quand on sait le coût humain et financier des AVC qui pour le système de santé représente plusieurs milliards chaque année, cette stratégie de détection « opportuniste » serait précieuse et désirable.

Quels usages faites-vous des nouveaux outils numériques (télésurveillance, objets connectés) pour affiner et améliorer le suivi des patients ? Comment ceux-ci peuvent ils jouer un rôle capital dans la prévention des pathologies ?

Un autre programme de l’IHU à travers son pôle en santé connectée consiste à mettre en place de la télésurveillance de prothèses implantées (pacemakers, défibrillateurs) chez les patients suivis par des techniciens à distance. Chaque fois qu’une anomalie est détectée par l’appareil, ce dernier le transmet en temps réel à l’équipe de techniciens qui peuvent à leur tour prévenir le médecin référent. L’avantage est le suivi en temps réel alors que le suivi habituel d’un pacemaker est de l’ordre d’une consultation tous les six à 12 mois, sans compter la raréfaction des cardiologues… Ce suivi au fil de l’eau permet d’adapter le traitement préventif d’un AVC par exemple.

Nos équipes ont créé des outils qui ont désormais la capacité non seulement de recevoir l’information de la prothèse mais aussi d’intervenir à distance pour en modifier la programmation. Cela suppose une infrastructure, un soignant doit simplement manipuler un boîtier de télécardiologie sur le patient afin que les techniciens/médecins reconfigurent la prothèse à distance. Notre service hospitalier suit environ 10 000 patients de cette manière, soit la plus grosse file active de patients suivis en Europe.

Une start-up nommée CARELINE, enfin, permet de faire de la prévention d’épisodes d’insuffisance cardiaque. Une application sur le téléphone des patients est connectée à la balance, au tensiomètre. Elle leur permet aussi d’entrer des symptômes. Ces informations transmises à la plateforme permettent d’anticiper les épisodes d’insuffisance cardiaque aigues, d’alerter les cardiologues traitants et de maintenir les patients à domicile en réduisant les hospitalisations. En effet, il y a de nombreux signaux multimodaux avant-coureurs (œdèmes, essoufflement, prise de poids) qui se manifestent des jours, parfois des semaines avant une poussée. Actuellement, entre 1000 et 1500 patients sont traités par CARELINE. 

L’institut Liryc a été pionnier dans la découverte de la fibrillation ventriculaire dans les années 2000, quelles sont les découvertes et méthodes que vous avez pu mettre au point depuis ?

Chez certains patients, on s’est rendu compte que des fibres de Purkinje, ces cellules cardiaques dédiées à la contraction électrique, étaient malades et pouvaient provoquer ces fibrillations ventriculaires. De même, des maladies cardiaques (infarctus, myocardite…) laissant des cicatrices dans le cœur peuvent prédisposer à ces fibrillations. On sait très mal détecter le risque : on peut poser des défibrillateurs chez des patients qui ont eu un infarctus mais l’appareil se déclenchera à bon escient chez seulement 20% d’entre eux sur cinq ans. Par ailleurs, on passe à côté de 80% des morts subites. L’enjeu est immense. L’IHU a pour but de développer la détection de personnes à risque. Le projet HELP vise par exemple à parvenir à réaliser un électrocardiogramme doté de plus de 100 électrodes avec un traitement très pointu du signal pour détecter des signaux très faibles associés à ce risque de « tornades électriques ».

Ces travaux ont-ils donné lieu à des apports concrets à la prise en charge thérapeutique des patients au sein des structures de soin avec lesquelles vous collaborez ? 

En effet, pour la fibrillation atriale, nous avons beaucoup travaillé sur des zones résistantes à l’ablation – opération qui vise à détruire ou isoler des zones de tissu à l’origine de l’arythmie - de la fibrillation dans l’oreillette gauche. Nos collaborateurs ont identifié deux structures anatomiques qui rendaient ces zones résistantes. Des stratégies de contournement ont permis d’améliorer le traitement.

Nous avons également beaucoup travaillé sur l’électroporation qui est une nouvelle forme d’énergie utilisée depuis longtemps en oncologie, mais qu’on ne savait pas adapter au cœur. Celle-ci utilise un champ électrique pulsé et non plus une énergie thermique pour détruire via des cathéters placés dans le cœur les tissus endommagés. De nombreux tests et essais thérapeutiques ont été réalisés à l’IHU, en collaboration avec une start-up américaine. Un brevet a également été déposé par l’IHU. A ce jour, plus de 100 000 interventions ont été réalisées avec succès grâce à cette technologie. Elle a permis de diviser par deux le temps d’intervention sur les patients et semble plus efficace et sûre car elle présente une « sélectivité tissulaire » : elle traite les cardiomyocytes que l’on souhaite détruire en épargnant les structures adjacentes (nerf phrénique, œsophage…).

Grace à la combination de ces deux exemples de traitement, notre taux de réintervention nécessaire a chuté de 20%. 

Plus en amont, nous travaillons sur de possibles biomarqueurs moléculaires de la fibrillation atriale. Nous avons identifié une possible signature de la fibrillation dans les cellules cardiaques avec possiblement une nouvelle solution thérapeutique.

Prévenir, c’est aussi bien et mieux former les (futurs) soignants. Des actions sont-elles menées dans ce champ ?

Nous avons de nombreuses actions dans ce domaine auprès de tout l’écosystème de l’électrophysiologie : nous organisons des summer schools, avons ouvert un master d’électrophysiologie cardiaque, nous prodiguons des enseignements aux externes et internes au travers d’une plateforme d’enseignement, Liryc Education, des formations type « fellowships » à des médecins du monde entier qui viennent à l’IHU pour monter en expertise sur le traitement des arythmies complexes. Le Liryc leur offre des plateformes uniques pour leurs travaux de recherche.  Nous formons aussi les ingénieurs qui travaillent dans des sociétés d’électrophysiologie, les infirmiers et infirmières et bien sûr des médecins et chercheurs doctorants, post-doctorants.

Sur un plan plus pédagogique, que conseillerez-vous à nos lecteurs pour prendre soin de leur cœur au quotidien ? 

Evidemment ne pas fumer et ne pas boire avec excès diminue énormément les risques de présenter un trouble du rythme cardiaque.  Je plaide pour que l’on parvienne à travailler de manière holistique et pluridisciplinaire sur ces questions de prévention en prenant en compte notamment l’impact de l’alimentation, l’inflammation, le microbiote.

La fibrillation atriale est par exemple très associée au surpoids : lorsqu’on perd 10 % de son surpoids, on augmente de 20% les chances de succès, quel que soit le type de traitement que l’on considère. Le diabète de type 2 a aussi des conséquences néfastes, la sédentarité est également catastrophique. 

Des études attestent que l’impact positif de l’activité physique est au moins équivalent à celui des traitements les plus sophistiqués. Ne serait-ce que se lever fréquemment suffit à relancer la machine positivement. 30 à 45 min de marche rapide quotidienne associée à une activité plus intense 1 à 2 heures par semaine sont optimales. Ce sont des automatismes très simples à mettre en place. Je dis souvent à mes patients que leur voiture ou leur maison sont probablement assurés et entretenus, mais que font-ils pour leur corps ? 

A mon sens, la prévention devrait se mettre en place dès l’école, un peu avant l’adolescence quand les enfants sont encore très réceptifs. Les enfants sont aussi d’excellents prescripteurs vis-à-vis des parents.

En savoir plus :

https://www.ihu-liryc.fr/ 

Page Youtube de l’institut

MusiCardio : un logiciel de simulation numérique au service de la cardiologie | Inria

Last updated on 26/02/2025
Sign up for the latest news:
Subscribe to our newsletter