Droits des Exilés en temps de Crise : Hospitalité et Engagement – DECHE
Covidexil, analyses sur l'exil et la crise sanitaire à Rennes
Recherche participative sur les précarités résidentielles, éducatives et alimentaires des personnes exilées durant la crise sanitaire à Rennes
Comment les personnes exilées ont-elles été prises en compte par les actions associatives et collectives durant la crise sanitaire à Rennes ?
Le confinement de la population instauré par l’État en mars 2020 a eu des effets sur le rôle des acteurs sociaux impliqués avec les personnes exilées. De nombreuses associations se sont en effet alertées des situations vécues par les individus en situation de précarité. En tant que chercheurs engagés dans le champ associatif à Rennes, nous nous sommes interrogés sur nos contributions possibles durant cette crise durable. Depuis mai 2020, nous nous impliquons en analysant les organisations de l’accueil des personnes exilées et les parcours migratoires, particulièrement ceux des jeunes. Comment les personnes exilées ont-elles été prises en compte par les actions associatives et collectives durant la crise sanitaire ? Pour construire nos analyses, nous composons une recherche fondée sur la caractérisation et la reconnaissance des actions collectives locales. Notre travail s’appuie ainsi sur la coordination des acteurs des aides alimentaires et des luttes contre les précarités résidentielles. Nous nous intéressons aussi à l’engagement des enseignants et des étudiants dans le champ de l’éducation. En situant et en retraçant les actions menées avec les personnes exilées au niveau local, nous visons ainsi à mieux documenter les organisations associatives mises en place et leurs interactions avec les acteurs publics.
Notre recherche est pilotée par une équipe composée de jeunes membres d’associations locales, d’universitaires du laboratoire Arènes et de membres de Coop’Eskemm, coopérative d’études et de recherches. Nous avons commencé notre travail par trois enquêtes sociologiques pour comprendre les changements concernant les précarités résidentielles, alimentaires et éducatives. Nos méthodes de récoltes de données sont basées sur les expériences de l’équipe mixte constituée pour la recherche, sur des observations de situations associatives et sur des entretiens. Un questionnaire a également été utilisé pour analyser les pratiques de lutte contre les précarités alimentaires.
Les unités mobilisées pour les analyses sont les personnes exilées, les bénévoles, les professionnels de l'action associative ou institutionnelle et les décideurs.
Cette recherche est participative. Nous avons ainsi expérimenté six modalités d'implications des associations et des universitaires engagés. La composition d’une équipe de recherche professionnelle en tant que « chercheur commun » a permis de préciser certaines difficultés méthodologiques liées à la recherche partenariale (1). La mobilisation d’universitaires, amenés à interagir très régulièrement avec les membres de l’équipe présents au titre de leurs expériences associatives actuelles, constituait une forme de recherche appliquée (2). Le soutien à l’implication des jeunes associatifs était une forme de travail de recherche-formation, notamment pour les personnes impliquées également au titre de leurs études (3). Le travail avec plusieurs associations locales fut l’occasion de penser la mobilisation des méthodes de récolte des données au service des capacités de recherche associatives, tout en travaillant la scientificité des démarches de recherches-actions engagées (4). Le programme de vidéos et podcasts que nous avons construit sous le nom d’« Humanités en Quarantaine ? », en lien avec les groupes locaux de SOS Méditerranée et de la Cimade, a interrogé les articulations entre recherche-création menée dans un temps court et recherche académique construite sur le temps long (5). Enfin, nous avons expérimenté une recherche-intervention, en agissant sur les structures de recherche, par la création d’un lieu en commun, dans une ancienne maison de jeunes au cœur d’un quartier rennais (6).
Notre travail sur l’éducation a mis en avant le rôle fondamental des continuités des engagements de certains acteurs éducatifs, pour faire face aux difficultés de la « continuité éducative » à prendre en compte les situations des jeunes marginalisés, comme les enfants vivant en squat ou les étudiants en situation de grande précarité. Nos enquêtes sur les précarités résidentielles et alimentaires nous ont permis de proposer des explications aux tensions politiques locales, dominées par des logiques de conditionnalité dans l’attribution des aides publiques. Il y avait un enjeu à soutenir la réflexion des associations dans leurs analyses d’un phénomène relativement incompris. Si la « mise à l’abri » et la prise en charge des besoins fondamentaux étaient possibles pour tous les précaires durant le premier confinement, pourquoi n’était-il pas possible de maintenir cette prise en charge dans la durée ? En resituant les actions associatives et institutionnelles locales dans la littérature, qui les situent respectivement dans le référentiel humanitaire pour ce qui est du secteur associatif et du référentiel de la conditionnalité concernant l’institution, nous avons finalement expliqué que l’action de l’État à cette période était marquée principalement par un référentiel de gestion de crise, qui ouvrait ainsi une troisième voie n’ayant pas vocation à se maintenir dans la durée.
Les inconditionnalités décidées par l’État à l’occasion du confinement, par la « mise à l’abri » de l’ensemble de la population, n’ont pas perduré. L’organisation d’un système local d’aide alimentaire inconditionnelle, par des associations rennaises avec le soutien de la municipalité, existe en revanche toujours.
Le travail se poursuit à travers un approfondissement de plusieurs analyses. Une nouvelle recherche est développée pour mieux comprendre les liens entre choix et contraintes des jeunes personnes exilées dans leurs parcours en Bretagne. Un autre travail porte sur le rôle des associations de bénévoles dans les réseaux d'actions publiques. Une partie de l'équipe est également impliquée dans la recherche Horizon Europe Merging, qui porte sur l'intégration des migrants.
Plusieurs productions écrites sont à mentionner. Trois rapports de recherche, sur les précarités alimentaires et résidentielles, ainsi que sur notre démarche de recherche, sont développés. Deux mémoires universitaires ont également été réalisées par des étudiantes dans le cadre de leurs engagements dans cette recherche. Trois articles et chapitres d’ouvrages sont issus des travaux réalisés. Nous avons également pu proposer sept communications scientifiques, à la fois sur les questions de jeunesse et d’exil et sur des questions méthodologiques.
Nous nous sommes également attachés à produire des contenus sous d’autres formats : podcasts, vidéos, ateliers... Ces différentes ressources sont disponibles sur le blog covidexil.hypotheses.org .
Cette recherche propose de s’intéresser à la situation des plus vulnérables durant le confinement mis en place le 17 mars 2020 en France. Ce phénomène a créé des désorganisations immédiates de l’action des associations de solidarités au détriment des plus vulnérables. Ceux-ci se sont cependant adaptés et les acteurs ont fait évolué leurs interventions de manière à ce que cette situation ne vienne pas aggraver massivement le sort des plus pauvres. Les associations d’aide humanitaire, après avoir souffert quelques jours du manque de bénévoles ont pu se réorganiser. Les squats se sont adaptés pour établir le plus possible les mesures de distanciation. Les associations de jeunes ont développé leurs activités sociales, éducatives et culturelles au niveau numérique. Les institutions mènent quelques actions concernant les relogements, l’alimentation, la santé et l’éducation des populations marginalisées. Comment sont développés toutes ces initiatives pour prendre en compte les droits et besoins fondamentaux des populations vulnérables exilées à Rennes, à partir du 17 mars et jusqu’à la fin du confinement ? Ce questionnement trouve certaines réponses à partir des savoirs développés concernant la prise en charge des populations vulnérables, notamment au niveau de leur accompagnement interculturel. Au niveau des engagements de ces personnes, des bénévoles et intervenants qui les entourent, il convient d’avoir une perception assez large des formes qu’elles peuvent prendre pour comprendre les revendications et les manières de prendre en charge les besoins fondamentaux. Enfin, le rôle de l’action communautaire en période de crise est aussi un point important à intégrer, pour permettre de faire évoluer la résilience des systèmes de prise en charge des besoins fondamentaux.
Du point de vue méthodologique, il s’agit d’implémenter une recherche co-créée par les bénéficiaires, les travailleurs sociaux et des universitaires. Dans une perspective inductive, l’enquête est ainsi développée selon les principes d’une co-recherche, qui vise à transformer la prise en compte des populations marginalisées. Les méthodes mobilisées sont mixtes : observations virtuelles et en présentiel, récits d’expériences par des journaux de terrain, entretiens, analyses de discours médiatiques et institutionnels, questionnaire.
Les analyses sont également co-construites entre les universitaires, les premiers concernés et les travailleurs sociaux. Elles sont mises en perspective avec des enquêtes réalisées sur les mêmes sujets à Lyon, Bruxelles et Montréal, permettant des comparaisons nationales et transnationales.
L’équipe animant la recherche est composée de quatre chercheurs de la coopérative Coop Eskemm et de six chercheurs liés au laboratoire Arènes. Dès le démarrage de l’enquête en avril 2020, l’équipe est complétée par cinq co-chercheurs ayant des expériences de prise en charge en tant qu’exilés et bénévoles d'associations de solidarités. Ce travail de recherche est construit dans une logique ouverte, avec des ateliers réguliers permettant aux autres acteurs des solidarités et aux premiers concernés de s’y impliquer selon leurs envies.
Cette recherche doit enfin amener à prendre de la distance sur la prise en charge des personnes vulnérables dans une période où le système social et économique est particulièrement mis à l’épreuve. Ce travail sur l’intervention sociale en temps de crise devrait permettre d’améliorer les conditions d’actions des associations de solidarité et les situations de leurs bénéficiaires. In fine, il s'agit ainsi de contribuer aux améliorations de la résilience des systèmes de prise en charge des personnes fragilisées.
Coordinateur du projet
Monsieur Fransez Poisson (ARENES)
L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.
Partenaire
Coop Eskemm
ARENES ARENES
Aide de l'ANR 192 240 euros
Début et durée du projet scientifique :
avril 2020
- 18 Mois