Réaction de Ugi pour la bioconjugaison sélective de protéines natives.
La modification chimique de protéines - la bioconjugaison - revêt un intérêt majeur, notamment dans le domaine thérapeutique, en leur conférant des propriétés additionnelles : meilleure stabilité, utilisation dans les thérapies ciblées, fluorescence, etc.<br />Les méthodes de conjugaison disponibles actuellement se concentrent sur l'utilisation de protéines artificielles - des protéines mutantes, créées par génie biochimique, permettant des modifications précises et efficaces. Cependant, le développement de telles protéines se révèle coûteux et fastidieux, deux limitations qui pourraient être abolies par l'utilisation de protéines naturelles (ou natives), peu chères et faciles d'accès. Dans la pratique, l'emploi de protéines naturelles se heurte néanmoins à un obstacle majeur : la très grande hétérogénéité des produits obtenus. <br />En effet, à l'inverse des protéines artificielles, les protéines naturelles comportent des centaines de sites de modification potentiels, et la conjugaison précise d'un seul d'entre eux s'avère extrêmement délicat. Le développement d'une méthode permettant une modification de protéines naturelles aussi précise et efficace que celle offerte par les protéines artificielles possèderait donc un avantage déterminant.
Pour répondre aux problématiques détaillées précédemment, nous nous proposons d'utiliser une réaction classique de chimie organique - la réaction de Ugi. Cette réaction utilise quatre composants différents dont deux - appelons-les composants A et B - seraient fournis par la protéine naturelle à modifier. Les deux autres - C et D - seraient de petites molécules commerciales ou synthétisées au laboratoire.
Tandis que la majeure partie des méthodes de modification de protéine se concentre sur la conjugaison d'un seul composant - A ou B -, la modification simultanée de ces deux composants - A et B - permettrait de restreindre grandement le nombre de sites pouvant être conjugués et permettre donc de développer une méthode de conjugaison de protéines naturelles précise - sélective.
Après avoir fait varier minutieusement plusieurs paramètres différents - structures de C et D, température, pH, temps de réaction, etc. - nous avons pu identifier des conditions conduisant à la modification d'un seul site sur plus d'une centaine possible à la surface d'une famille de protéines naturelles : les anticorps. Ces anticorps modifiés sélectivement ont pu être produits en grande quantité et ont montré une excellente stabilité et activité, preuve que la modification apportée n'a pas altéré leurs propriétés.
Nous souhaitons désormais mettre à profit notre nouvelle méthode de conjugaison en produisant de nouveaux types de protéines : des dimères d'anticorps. Ce type de composés présente un intérêt grandissant pour leur propriété thérapeutique potentielle et ne sont pour le moment produits quasiment que par génie biochimique, avec là encore un coût prohibitif et certaines limitations techniques. L'accès à une méthode chimique simple et efficace pour leur production ouvrirait donc la voie à de nombreuses études d'intérêt majeur.
Une revue de l'état de l'art des méthodes de conjugaison de protéines par voie chimique vient d'être acceptée pour publication dans le journal Royal Society Open Science.
La bioconjugaison de protéines peut être décrite comme le couplage chimique ou enzymatique entre une protéine et n'importe quelle autre molécule (e.g. une petite molécule, une autre biomolécule) en vue de générer un complexe possédant les propriétés combinées de ces composants individuels. Une des applications majeures de la bioconjugaison de protéines est le domaine thérapeutique, où les immunoconjugués (des anticorps auxquels ont été conjugués des composés cytotoxiques tels que des médicaments, des toxines ou des radioisotopes) sont devenus un des outils principaux de lutte contre le cancer.
Une utilisation optimale de ces conjugués passe par un contrôle rigoureux de la quantité d'agent cytotoxique greffé ainsi que du site précis de conjugaison afin d'avoir une méthode répétable permettant la production d'adduits ayant des structures et des propriétés pharmacologiques bien définies. Cependant, très peu de méthodes permettent d'accéder à une bioconjugaison de protéines natives dite "site-sélective" et les bioconjugués classiquement générés sont souvent des complexes hétérogènes aux propriétés physico-chimiques variées.
Ceci est dû à la structure même des protéines, possédant de multiples fonctionnalités nucléophiles aux réactivités similaires, portées par les chaînes latérales des acides aminés la constituant. Alors que des méthodes permettant de ne cibler que certaines familles de résidus existent (lysine, cystéine), les niveaux de complexité supérieurs (ciblage d’une lysine parmi plus de 80 par exemple) restent peu accessibles, mettant un frein au développement de conjugués aux propriétés thérapeutiques accrues.
Alors que l’ensemble des méthodes de bioconjugaison se contente de ne cibler qu’un seul résidu, ce projet vise à développer une stratégie conjuguant deux résidus d’un seul coup, via une réaction multicomposante de Ugi. Une telle approche permet de diminuer drastiquement le nombre de site de conjugaison potentiels, accroissant ainsi les chances d’accéder à une méthode site-spécifique qui puisse être appliquée à une large gamme de protéines natives et naturelles.
En développant trois axes de recherche majeurs et des collaborations avec des équipes spécialisées dans la spectrométrie de masse et la chimie numérique, ce projet vise à explorer et exploiter tout le potentiel de cette technique et développer de nouvelles approches dans la génération de complexes protéiques originaux.
Monsieur Guilhem Chaubet (Laboratoire de Conception et Application de Molécules Bioactives (UMR 7199))
L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.
CAMB _ UNISTRA Laboratoire de Conception et Application de Molécules Bioactives (UMR 7199)
Aide de l'ANR 244 188 euros
Début et durée du projet scientifique :
mai 2020
- 42 Mois