Les insectes représentent environ un tiers de la biodiversité sur Terre. Parmi eux, les insectes phytophages sont les plus diversifiés, ce qui suggère que la spécialisation sur de nouvelles plantes est un moteur de la spéciation. Cependant, les mécanismes génétiques et évolutifs qui contrôlent le changement de plante hôte et qui sont à l’origine de nouvelles espèces restent encore peu connus.
Ce projet étudie un cas unique de spécialisation parallèle sur une même plante toxique, le nono (Morinda citrifolia), par deux espèces de drosophile : Drosophila yakuba à Mayotte et D. sechellia aux Seychelles. Ces deux espèces sont proches de D. melanogaster, un des organismes modèles de recherche dont la génétique et la biologie sont les mieux connues. Notre objectif est d’étendre les outils génétiques et génomiques qui ont été développés chez D. melanogaster pour identifier les gène ciblés par la sélection naturelle lors de la spécialisation de chacune de ces deux espèces sur le nono.
Le projet combine différentes approches pour comprendre les mécanismes génétiques de l’adaptation des insectes à leurs plantes hôtes. Cette adaptation est complexe et inclut à la fois des caractères comportementaux (comme l’attraction aux composants chimiques de la plante) et des caractères physiologiques (comme la tolérance aux toxines et aux mécanismes de défense de la plante). Le premier volet du projet porte sur la quantification précise sous conditions contrôlées de laboratoire de la divergence de ces caractères entre des espèces spécialistes et les espèces généralistes qui leur sont les plus proches. Le deuxième volet cherche à comparer la diversité génétique dans les populations naturelles de ces espèces ainsi que dans une population expérimentale issue de croisements entre les sous-espèces de D. yakuba et ce, afin d’identifier les régions du génome les plus divergentes et associées aux caractères permettant l’adaptation au nono. L’analyse génétique des gènes contenus dans ces régions sera ensuite suivie de leur édition directe par CRISPR\Cas9 dans le génome des espèces spécialistes.
Nos premiers résultats indiquent que des différences comportementales et physiologiques importantes existent entre les espèces spécialistes et leurs espèces proches généralistes. En particulier, les espèces spécialistes sont attirées par les substances toxiques des fruits du nono. Ce résultat surprenant avait déjà été montré chez D. sechellia mais sa réplication chez D. yakuba dont la spécialisation sur le nono est plus récente confirme sa généralité et suggère une liaison potentielle entre l’évolution neuronale et les voies de détoxification chez les insectes phytophages.
Des analyses génomiques préliminaires ont également permis d’identifier les régions du génome les plus différenciées entre les espèces spécialistes et généralistes. Cependant, le parallèle entre D. sechellia et D. yakuba reste moins clair même si des gènes communs semblent avoir été ciblés par la sélection chez ces deux espèces. Ces gènes feront l’objet d’études d’édition génomique.
La drosophile partage avec l’Homme ~60% de son patrimoine génétique et certainement beaucoup plus avec les insectes phytophages. L’identification des gènes impliqués dans la spécialisation répétée des deux espèces de drosophile étudiées ici pourrait révéler des circuits neuroniques et des voies métaboliques communs aux insectes phytophages. Ceci aura un intérêt pratique dans l’étude et la planification des programmes de lutte biologique contre les insectes ravageurs des cultures qui constituent une menace économique majeure, mais touchera également à une question fondamentale de la biologie de l’évolution : comment un changement environnemental brusque, comme un changement de plante hôte suite à la colonisation d’une île, pourrait amener à l’apparition de nouvelles espèces. Dans un contexte de dégradation globale et rapide de la biodiversité, comprendre comment différents génomes répondent à des pressions sélectives communes devient une grande nécessité.
Le projet finance une thèse de doctorat démarrée en 2019. Un article sur les premiers résultats est en cours de rédaction.
Le changement de plante hôte est un processus majeur de diversification chez les insectes phytophages, qui constituent un quart de la biodiversité de la Terre. Cependant, les mécanismes génétiques et évolutifs sous-jacents restent mal connus. D’importance particulière sont (1) le degré de modularité génomique contrôlant différents attributs de la fitness sur le nouvel hôte, (2) le lien génétique entre les traits de l'utilisation de l'hôte et l'isolement reproducteur et (3) la répétabilité des changements génétiques sous-jacents à la spécialisation convergente sur le même hôte. Malgré des progrès significatifs, l'absence de puissants outils génétiques et génomiques capables d'identifier les gènes sous-jacents à l'utilisation des plantes hôtes et / ou l'isolement reproducteur dans les modèles d'insectes phytophages classiques a entravé la résolution de ces questions. Ici, nous proposons d'étudier un cas intéressant, où deux espèces, Drosophila sechellia et D. yakuba mayottensis sont devenues indépendamment spécialistes sur les fruits toxiques du nono (Morinda citrifolia) aux Seychelles et à Mayotte, respectivement. Dans les deux cas, la spécialisation sur le nono était accompagnée d'un isolement reproducteur partiel. Nous combinerons des analyses phénotypiques précises avec la génomique quantitative et des populations afin d'identifier les gènes potentiellement sous-jacents à l'utilisation du nono et à l'isolement reproductif chez D. y. mayottensis. Nous utiliserons ensuite des outils avancés de modification du génome et de transgénèse (par exemple, CRISPR \ Cas9) qui ont été récemment développés chez les deux espèces, pour disséquer fonctionnellement ces gènes candidats. Les résultats attendus amélioreront notre compréhension des mécanismes génétiques et évolutifs qui sous-tendent le changement d’hôte convergent et la spéciation écologique, ce qui pourrait aller au-delà de la relation Drosophila-nono vers l'identification de circuits neuronaux ou de détoxification communs chez les insectes phytophages.
Monsieur Amir YASSIN (EVOLUTION GENOMES COMPORTEMENT ECOLOGIE)
L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.
EGCE EVOLUTION GENOMES COMPORTEMENT ECOLOGIE
ISYEB Institut de Systématique, Evolution, Biodiversité
Aide de l'ANR 182 519 euros
Début et durée du projet scientifique :
avril 2019
- 36 Mois