Penser l’émancipation moderne implique souvent de mettre à l’écart l’apport de la religion à cette même émancipation. Elle y entre soit comme objet de la critique, soit comme critique conservatrice. Le projet ANR Remous se propose d’enquêter de plus près le lien entre religion et émancipation : les religions monothéistes, articulées autour du concept de justice, ont contribué et peuvent contribuer à mettre en forme des subjectivités critiques en prise avec le projet d’émancipation moderne.
Penser l’émancipation moderne implique souvent nier l’apport de la religion. Elle y entre soit comme objet de la critique, soit comme critique conservatrice. Par notre projet on se propose de contredire cette conception du lien entre religion et émancipation. Notre thèse est la suivante : les religions monothéistes, grâce à leur logique interne articulée autour du concept de justice, non seulement ont contribué mais peuvent contribuer encore aujourd’hui à mettre en forme des revendications subjectives qui sont directement en prise avec le projet critique de la modernité. Cette thèse implique que nous considérons la religion comme partie prenante de la modernité, et non comme son opposé.<br /><br />Nous partons du principe suivant : si la religion apporte spécifiquement quelque chose à l’émancipation de nos sociétés modernes, c’est chez les individus, leurs prises de position réflexives et leurs activités critiques que l’apport de la religion au projet collectif d’émancipation des sociétés modernes doit être recherché. Car les sociétés modernes se caractérisent par ceci que l’idée d’émancipation y est inextricablement liée à l’activité critique des acteurs sociaux eux-mêmes. En elles, critique et émancipation sont liées au retour réflexif opéré par des individus socialement constitués sur la société, sa normativité propre et ses promesses de justice. Par conséquent, une recherche qui porte sur le lien entre religion et émancipation dans la modernité se doit de loger leur nouage précisément dans la subjectivité critique : dans ce que la religion fait faire aux sujets ou leur permet de faire.<br /><br />On examinera le rôle de la religion pour la critique à travers : 1/ le mouvement ouvrier et son rapport pratique ambigu à la religion. 2/ le mouvement féministe, qui met radicalement à l’épreuve notre hypothèse de recherche postulant un lien fort entre les monothéismes et la recherche d’appuis pratiques et symboliques des politiques d’émancipation.
Notre approche du lien entre religion et émancipation est la suivante : creuser le rapport entre religion et émancipation dans la modernité signifie comprendre la religion comme une forme de réflexivité qui permet aux sujets de critiquer le projet moderne dans ce qu’il a d’inabouti. Par conséquent nous étudierons la religion exclusivement sous l’angle de son apport à la constitution des subjectivités critiques. Et nous soutenons qu’elle est un facteur important dans cette constitution, y compris dans la modernité.
Pour développer cette thèse, on s’appuie sur l’anthropologie politique de Freud pour qui la religion est le modèle d’une pratique collective protégeant la critique individuelle contre la folie. Freud démontre en effet que l’individualisation du sujet dans son rapport à la loi commune – donc le mouvement d’émancipation des sociétés modernes –, produit une constellation nouvelle : désormais le conflit du sujet désirant avec la loi instituante (la société), s’exprime sous forme de névrose, voire de folie, là où auparavant le collectif (oscillant entre respect du tabou et transgression du tabou) assumait ce conflit. De ce fait, les sociétés modernes ouvrent une double possibilité : premièrement celle précisément de la névrose, voire de folie. Mais, deuxièmement, outre la névrose c’est un processus de civilisation qui est rendu ainsi possible, justement par l’autoconstitution réflexive des sociétés à travers le retour des individus sur la normativité qui les fait penser et agir. En donnant aux individus un langage d’idéaux collectifs – notamment de justice – issus de pratiques communes et consignés dans des textes, la religion leur permet de s’opposer à la loi instituée en s’appuyant sur ces idéaux. De cette sorte, la religion étaye le mouvement critique des individus en mettant à leur disposition un langage de justice partagé bien que sa portée normative transcende la justice réalisée dans les sociétés concrètes.
Le séminaire Religion et politique au crible de la psychanalyse (EHESS, 2018-2019 ; 2019-2020), organisé par J. Christ et B. Karsenti, a constitué un lieu de rencontre pour les partenaires du projet. Il a donné lieu à une avancée théorique importante, surtout dans l’articulation de la notion d’idéal, entre psychanalyse et politique, et dans l’analyse du rapport entre idéal du moi et idéal du nous, par une reprise des travaux de N. Elias, en visant une compréhension nouvelle du phénomène moderne et européen de la nation.
La journée d’étude Métamorphoses du peuple (EHESS, 4 avril 2019), organisée par F. Brahami et S. Hayat a permis de préciser notre thèse sur les rapports entre la tradition monothéiste et les pratiques d’émancipation dans le cadre du mouvement ouvrier. Il sera suivi en décembre 2019 par une deuxième journée d’étude sur le Saint-Simonisme ce qui permet de faire la jonction avec l’axe féminisme.
Le séminaire (EHESS, 2018-2019) Presses, pratiques critiques, aspirations de justice au XIXème siècle : éditorialiser un corpus numérique, organisé par S. Ferrando, S. Hayat et A. Smaniotto, a permis d’établir un projet d’édition numérique de la revue La femme libre et de créer un réseau d’échanges théoriques et techniques autour de l’éditorialisation de ce corpus avec des équipes engagés dans des projets similaires.
Le colloque Émancipations du messianisme. L’idéal politique et l’idée du salut a constitué un moment clé de notre parcours en ceci que c’est ici que nous avons pu pour la première fois mesurer les effets du travail collectif : l’approche du phénomène étudié a été relativement homogène, on discutait sur des bases communes d’appréciation du rôle de la religion dans la modernité, et le débat avec les chercheurs étrangers au projet a été des plus féconds.
Nous allons poursuivre le travail conceptuel engagé ces dix-huit premier mois avec pour finalité principale de produire un concept inédit de l'Etat-nation moderne dans son articulation avec le fait religieux.
Les membres du projet ont publié dans les 18 premiers mois 20 articles dans des revues internationales, 34 dans des revues française. Nous avons organisé 4 colloques internationaux et 5 work-shops et journées d'étude.
Penser l’émancipation moderne implique souvent nier l’apport de la religion. Elle y entre soit comme objet de la critique, soit comme critique conservatrice. Par notre projet on se propose de contredire cette conception du lien entre religion et émancipation. Notre thèse est la suivante : les religions monothéistes, grâce à leur logique interne articulée autour du concept de justice, non seulement ont contribué mais peuvent contribuer encore aujourd’hui à mettre en forme des revendications subjectives qui sont directement en prise avec le projet critique de la modernité. Cette thèse implique que nous considérons la religion comme partie prenante de la modernité, et non comme son opposé.
Nous partons du principe suivant : si la religion apporte spécifiquement quelque chose à l’émancipation de nos sociétés modernes, c’est chez les individus, leurs prises de position réflexives et leurs activités critiques que l’apport de la religion au projet collectif d’émancipation des sociétés modernes doit être recherché. Car les sociétés modernes se caractérisent par ceci que l’idée d’émancipation y est inextricablement liée à l’activité critique des acteurs sociaux eux-mêmes. En elles, critique et émancipation sont liées au retour réflexif opéré par des individus socialement constitués sur la société, sa normativité propre et ses promesses de justice. Par conséquent, une recherche qui porte sur le lien entre religion et émancipation dans la modernité se doit de loger leur nouage précisément dans la subjectivité critique : dans ce que la religion fait faire aux sujets ou leur permet de faire.
Tel est en effet notre approche du lien entre religion et émancipation qui se trouve au fondement de la thèse centrale de notre projet : creuser le rapport entre religion et émancipation dans la modernité signifie comprendre la religion comme une forme de réflexivité qui permet aux sujets de critiquer le projet moderne dans ce qu’il a d’inabouti. Par conséquent nous étudierons la religion exclusivement sous l’angle de son apport à la constitution des subjectivités critiques. Et nous soutenons qu’elle est un facteur important dans cette constitution, y compris dans la modernité.
Pour développer cette thèse, on s’appuie sur l’anthropologie politique de Freud pour qui la religion est le modèle d’une pratique collective protégeant la critique individuelle contre la folie. Freud démontre en effet que l’individualisation du sujet dans son rapport à la loi commune – donc le mouvement d’émancipation des sociétés modernes –, produit une constellation nouvelle : désormais le conflit du sujet désirant avec la loi instituante (la société), s’exprime sous forme de névrose, voire de folie, là où auparavant le collectif (oscillant entre respect du tabou et transgression du tabou) assumait ce conflit. De ce fait, les sociétés modernes ouvrent une double possibilité : premièrement celle précisément de la névrose, voire de folie. Mais, deuxièmement, outre la névrose c’est un processus de civilisation qui est rendu ainsi possible, justement par l’autoconstitution réflexive des sociétés à travers le retour des individus sur la normativité qui les fait penser et agir. En donnant aux individus un langage d’idéaux collectifs – notamment de justice – issus de pratiques communes et consignés dans des textes, la religion leur permet de s’opposer à la loi instituée en s’appuyant sur ces idéaux. De cette sorte, la religion étaye le mouvement critique des individus en mettant à leur disposition un langage de justice partagé bien que sa portée normative transcende la justice réalisée dans les sociétés concrètes.
On examinera ce rôle du langage religieux pour la critique à travers : 1/ le mouvement ouvrier et son rapport pratique ambigu à la religion. 2/ le mouvement féministe, qui met radicalement à l’épreuve notre hypothèse de recherche postulant un lien fort entre les monothéismes et la recherche d’appuis pratiques et symboliques des politiques d’émancipation.
Monsieur Bruno Karsenti (Institut Marcel MAUSS)
L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.
Paris7 Centre de Recherches Psychanalyse, Médecine et Société
CESPRA - UMR 8036 Centre d'études sociologiques et politiques Raymond Aron
IMM - UMR8178 Institut Marcel MAUSS
Aide de l'ANR 402 972 euros
Début et durée du projet scientifique :
mars 2018
- 42 Mois