DS10 - Défi des autres savoirs

Détermination in vivo des paramètres enzymatiques dans une voie métabolique synthétique – ENZINVIVO

Mettre en place des outils génériques de biologie de synthèse pour mesurer, in vivo, les paramètres cinétiques d’enzymes impliquées dans une voie de biosynthèse.

Les principes de l’enzymologie sont basés sur des essais réalisés in vitro avec des enzymes pures et diluées dans des tampons définis. Cette approche a permis d'énormes progrès dans la compréhension des mécanismes enzymatiques mais les valeurs des paramètres enzymatiques déterminés in vitro sont probablement différents dans la cellule. Mesurer ces paramètres enzymatiques in vivo reste un défi que nous releverons dans ce projet utilisant des approches de biologie de synthèse et des systèmes.

Mesure des paramètres enzymatiques in vivo

Les réactions enzymatiques ont longtemps été analysées in vitro, en utilisant des enzymes pures et des conditions expérimentales adaptées à ces mesures. Grâce à la grande quantité de données générées et collectées avec des milliers d'enzymes, l'enzymologie a fait d'énormes progrès dans la compréhension des propriétés des biocatalyseurs. Cependant, ces conditions expérimentales ne reflètent pas l'environnement réel de la réaction enzymatique naturelle qui a lieu à l'intérieur des cellules. Le projet ENZINVIVO a mis en place une stratégie de mesure des activités enzymatiques in vivo, en utilisant les techniques les plus récentes et les plus avancées en matière d'enzymologie, de biologie synthétique et de biologie des systèmes. La stratégie consiste à faire varier la concentration du précurseur (substrat) d’un enzyme d’une voie de biosynthèse, mesurer la production de produit et générer la courbe classique de saturation de la vitesse de l’enzyme en fonction de la concentration de substrat. Cette stratégie permet donc de comprendre l’influence du milieu cellulaire (hétérogénéité, présence de macromolécules, présence d’organelles etc.) sur le fonctionnement des enzymes.

Le système que nous avons choisi est une voie synthétique reconstituée chez la levure : la production de caroténoïdes. Nous avons choisi d’étudier les paramètres enzymatiques de la première enzyme de cette voie : la phytoène synthase (CrtB), qui convertit le géranyl-géranyl pyrophosphate (GGPP) en phytoène. Le GGPP, précurseur de la voie est produit par l’enzyme CrtE. La variation de la quantité de GGPP a été abordée avec des outils de biologie de synthèse : des promoteurs de forces différentes et l’intégration de copies multiples avec le gène CRTE. Nous avons construit une trentaine des souches produisant des niveaux variables de GGPP et des niveaux constants de l’enzyme CrtB. Nous avons ensuite développé des techniques de biologie des systèmes pour analyser de la production des précurseurs et de phytoène. Nous avons également analysé les conséquences physiologiques (transcriptome, protéome ciblé) de l’ingénierie de ces souches. Enfin nous avons construit des outils d’analyse des flux métaboliques et convertir ces données en paramètres enzymatiques. Les technologies développées dans le projet (hors analytique) ne sont pas spécifiques et pourront servir à d’autres modèles d’étude.

Le projet a montré que la détermination in vivo des paramètres cinétiques d’un enzyme est possible. Cette approche novatrice s’affranchit des contraintes de l’enzymologie classique in vitro. Dans le cadre de la production de molécules par des microorganismes (ingénierie métabolique), les outils et concepts développés permettront d’ajuster les quantités des enzymes participants aux différentes étapes de la voie synthétique, éviter la surproduction d’intermédiaires potentiellement toxiques et donc améliorer le rendement et la productivité tout en maintenant une bonne homéostasie cellulaire.

Tous les objectifs initiaux n’ont pas été atteints à la date de rédaction de ce document, mais les travaux en cours montrent de façon certaine qu’ils sont aujourd’hui réalisés. La réponse essentielle est qu’il est possible de calculer des constantes enzymatiques dans un contexte cellulaire. Les outils mis en place supposent un certain nombre de prérequis que nous avons décrits dans nos travaux. L’utilisation des outils de la biologie de synthèse et des systèmes dans un hôte microbien permet parfaitement de répondre au cahier des charges initial : analyser les réactions enzymatiques dans un contexte cellulaire. Même si celui-ci n’est pas exactement celui de la cellule initiale, il rend quand même compte de effets de la structure cellulaire, de la présence de concentrations élevées de macromolécules et de tous les facteurs pouvant influencer les activités enzymatiques. A notre connaissance, c’est la première démonstration qu’il est possible de calculer ces paramètres avec une modulation de la quantité de substrat sans ajout par l’expérimentateur, donc uniquement limité par ce que la cellule peut produire.
Le temps de développement des outils pour le projet a été long et nos résultats ont été impactés par un certain nombre de difficultés que nous avons surmonté ces derniers mois. Cet investissement sera payant car nous pouvons maintenant rendre compte de l’efficacité catalytique des différentes enzymes de la totalité de la voie de production du ß-carotène, afin que la production soit maximale sans impacter la physiologie cellulaire. Par ailleurs, il est également possible de rendre compte de ces paramètres en changeant la localisation des enzymes, ce qui permettra de comprendre les effets de la compartimentation cellulaire. Les concepts développés au cours du projet sont pour nous la première brique d’une analyse détaillée de l’efficacité enzymatique d’une voie métabolique.

Un premier article sur la méthodologie d’analyse des métabolites a été publié ainsi que deux autres traitants des développements algorithmiques. Deux logiciels ont été créés et sont disponibles sur la plateforme GitHub. Cependant le projet n’est pas achevé et les derniers résultats sont en cours de finalisation. Deux articles au moins sont prévus : un sur l’analyse des conséquences des variations importantes de la production de GGPP et de phytoène au niveau du transcriptome et un second sur la première description de l’obtention de paramètres enzymatiques directement in vivo.

Les principes de l’enzymologie sont basés sur des essais enzymatiques réalisés in vitro avec des enzymes pures et diluées dans des tampons définis. Cette approche a produit une grande quantité de données sur des milliers d'enzymes et a permis d'énormes progrès dans la compréhension des mécanismes enzymatiques. Cependant les conditions in vitro sont peu représentatives de l'environnement réel des enzymes à l'intérieur des cellules. Le milieu cellulaire est décrit comme un gel hétérogène organisé, dense, saturé de macromolécules et d’organites cellulaires lipidiques qui peuvent donner lieu à des effets de partitionnements et de changement dans la diffusion des molécules. Par conséquent, les paramètres enzymatiques déterminés in vitro ne sont probablement pas équivalents à ceux mesurés in vivo. Bien que des progrès dans la compréhension du rôle de la viscosité et de la saturation en macromolécules sur les paramètres enzymatiques aient été réalisés, les mesurer in vivo reste un défi. Notre projet combinera des techniques de pointe en enzymologie, biologie de synthèse, biologie des systèmes et modélisation théorique afin de construire un environnement cellulaire permettant de reproduire graduellement les variations de concentration en enzyme et en substrat, construisant ainsi in vivo la configuration expérimentale classiquement utilisée en enzymologie.
Pour valider notre approche, nous utiliserons comme modèle enzymatique deux isoformes de la phytoène synthase (voie de biosynthèse des caroténoïdes), ayant deux comportements cinétiques in vitro différents. La voie de biosynthèse des caroténoïdes peut être reconstituée dans des micro-organismes modèles tels que la levure, ce qui permettra l'utilisation d'outils de génie génétique et l’accès à des techniques omiques. La phytoène synthase est l'enzyme clé de la voie des caroténoïdes : elle réalise la conversion du précurseur naturel soluble (GGPP) en une molécule lipophile, le phytoène, premier caroténoïde de la voie. Cette enzyme est donc un bon modèle pour étudier une étape enzymatique complexe dans laquelle l'ultrastructure cellulaire est probablement importante. Notre projet construira une série d’expériences de complexité croissante en combinant des analyses in vitro, in vivo et in silico. Les expériences in vitro seront effectuées dans des conditions mimant partiellement la complexité cellulaire (viscosité, saturation par des macromolécules et présence de structures cellulaires partielles). Grâce aux outils de l’ingénierie génétique et métabolique, nous construirons des souches de levure ayant: (1) des concentrations définies et variables de GGPP (variation de la concentration du substrat); (2) des quantités variables de phytoène synthase (variation de la concentration en enzyme); et (3) absence ou présence du reste de la voie enzymatique (déplacement de l’équilibre thermodynamique). Les expériences in vivo seront réalisées en utilisant les techniques les plus avancées de la biologie des systèmes (chémostats parallélisés, régulation rapide des gènes, marquage 13C, métabolomique, fluxomique et analyses mathématiques/statistiques).
Les résultats de notre projet, bien que déterminés sur un seul type de réaction enzymatique, valideront la généricité de la méthodologie. Nous démontrerons que la biologie de synthèse et le génie génétique peuvent promouvoir de nouveaux développements en enzymologie et proposer de nouveaux concepts pour étudier la complexité des réactions enzymatiques dans la cellule. En outre, notre approche permettra de déterminer les concentrations cellulaires optimales de substrat et d’enzyme permettant d’atteindre l'efficacité maximale de la réaction en accord avec une bonne homéostasie entre voies synthétiques et naturelles. Ces outils d'ingénierie métabolique seront utiles pour la communauté scientifique afin améliorer la production, par des microorganismes, des molécules naturelles et synthétiques.

Coordination du projet

Gilles Truan (Laboratoire d'Ingénierie des Systèmes Biologiques et des Procédés)

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

LIPhy Laboratoire Interdisciplinaire de Physique
LISBP Laboratoire d'Ingénierie des Systèmes Biologiques et des Procédés
SPO Sciences pour l'Oenologie
LISBP Laboratoire d'Ingénierie des Systèmes Biologiques et des Procédés

Aide de l'ANR 651 565 euros
Début et durée du projet scientifique : décembre 2016 - 36 Mois

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