CRADLE (Chondrite Recipe from Accretion Disk modeling and Laboratory Experiments) consiste en une approche originale associant le développement de simulations numériques modélisant l’évolution physique, chimique et isotopique du disque protosolaire à des observations nouvelles des compositions isotopiques des météorites primitives. Ces observations donnent accès à l’intensité d’irradiation, aux ages des premiers solides formés dans le disque et à leurs temps de séjour dans le gaz.
Les observations astrophysiques dans notre galaxie montrent que les étoiles se forment dans des régions du milieu interstellaire où gaz et poussières sont concentrés. Dans ces régions, la matière peut s’effondrer localement pour former une étoile entourée d’un disque en rotation autour d’elle, disque dans lequel les premières petites planètes se forment. Alors que les observations astrophysiques ne permettent pas de mesurer la composition de ces objets, l’analyse détaillée des météorites fournit des données très précises sur la composition des premières planètes qui se sont formées autour du Soleil jeune. Tout l’enjeu des recherches actuelles est d’arriver à faire le lien entre ces deux types d’observations. <br />L’objectif de ce projet était de développer un modèle conceptuel et analytique du disque protoplanétaire autour d’une étoile en formation pour arriver à prédire des paramètres clefs, tels que la composition ou l’âge des premières petites planètes, et de confronter ces prédictions aux observations dans les météorites pour identifier les processus physiques et chimiques principaux qui ont déterminé l’évolution des premiers temps de notre système solaire.<br />Parmi les principales questions non résolues dans le «scénario canonique« qui explique l'évolution du disque à partir du gaz et des grains jusqu'aux planétésimaux, CRADLE a ciblé les suivantes. <br /> - Quelles sont la fraction et la nature des poussières héritées du milieu interstellaire qui ont survécu à la vaporisation lors des premières étapes de l'effondrement de la nébuleuse protosolaire ? Pourquoi et comment certaines poussières ont-elles échappé à des transformations à chaud ? <br /> - Quand, où et pendant combien de temps la condensation a-t-elle eu lieu dans le disque ? <br /> - Quelle était «l'histoire« de la poussière (c'est-à-dire les zones sources dans le disque, le transport, les transformations thermochimiques, l'irradiation par des particules énergétiques) dans le disque avant son accrétion ?<br /> - Quelles sont les zones d'alimentation dans le disque d'un planétésimal ? Une chondrite est-elle un planétésimal «typique« ou une anomalie ? Est-il possible de rendre compte de la diversité mais aussi de la similitude des chondrites compte tenu de l'évolution chimique et dynamique des disques protoplanétaires sur quelques Myr ?
Nous avons développé un modèle numérique qui simule la formation et l’évolution du disque autour d’une étoile en formation. Ce modèle permet pour la première fois de suivre l’évolution des grains provenant du milieu interstellaire lors de leur injection dans le disque, leur vaporisation éventuelle à très haute température près de l’étoile, et de suivre la condensation, à partir du gaz en résultant, des premiers solides du système solaire. Le code couple la physique du disque, par exemple le chauffage du disque ou le transport du gaz et des grains, avec la thermodynamique à l’équilibre qui permet de prédire, en fonction du temps, la composition des solides qui vont pouvoir se condenser ou se transformer à différents endroits du disque. Les allers-retours entre ces prédictions et des observations spécifiques faites dans ce projet sur les composants des météorites primitives, par exemple sur l’âge de ces composants ou sur les variations de leurs compositions isotopiques, permettent d’identifier les processus clefs dans l’évolution du disque et d’expliquer des observations jusque-là incomprises dans la composition des météorites primitives.
Un des résultats majeurs du projet est de montrer que la physique du disque qui se constitue autour du Soleil prédit la formation de zonations chimiques, isotopiques et minéralogiques dans le disque qui correspondent, au premier ordre, à ce qui est observé dans les différentes classes de météorites primitives, www.youtube.com/watch, [Pignatale et al., 2018].
Le modèle explique par exemple pourquoi les solides réfractaires ne peuvent être condensés que pendant les premiers ˜50 kyr, comme l'indiquent les datations U-Pb et 26Al des inclusions réfractaires dans les chondrites primitives. Cette période du disque est en fait la seule où les poussières réfractaires présolaires sont injectées dans les régions avec T>1650 K et sont donc vaporisées résultant en un gaz riche en éléments réfractaires. Ce gaz va être transporté rapidement vers l'extérieur, se refroidir et condenser des solides réfractaires.
Une zonation minéralogique et chimique du disque, correspondant aux principaux types de chondrites et expliquant la présence de grains réfractaires dans les comètes, est produite rapidement, dans les 300 000 premières années du système solaire. Les simulations montrent que cette zonation survivra partiellement encore à 1,5 Myr. Des raffinements de ce code initial ont été utilisés pour expliquer la distribution dans le disque des anomalies isotopiques interstellaires [Jacquet et al., 2019] et de la radioactivité à courte période 26Al [Pignatale et al., 2019]. A la suite de ces premiers modèles, d’autres ont été développés pour étudier les effets de la présence d'une zone morte sur la formation de planétésimaux [Charnoz et al., 2019] ou de pièges de pression au niveau de la ligne des glaces [Charnoz et al., 2021].
Les conditions d'irradiation des solides dans le disque autour du protosoleil ont été déterminées quantitativement pour la première fois [Sossi et al., 2017]. Les modèles d'irradiation reproduisant les quantités de 50V et de 10Be coproduits par irradiation, comme l'impliquent les variations isotopiques observées dans divers solides réfractaires de météorites primitives, nécessitent que ces solides aient été irradiés pendant moins de 300 ans à ˜ 0,1 UA du protosoleil. Des études de haute précision, dans les chondres des météorites, des systèmes à longue période U-Th-Pb et à courte période Al-Mg ont permis de démontrer les conséquences potentielles sur les estimations d'âge de formation des chondres, quand ceux-ci se forment à partir de solides précurseurs ayant eu des histoires de formation variées dans le disque (formés à différents moments, sous différents fO2, ou dans un disque isotopiquement hétérogène) [Blichert-Toft et al., 2020 ; Deng et al., 2021]. La quantification des conditions de condensation des poussières de silicates, précurseurs des différents composants des chondrites, ont été précisées à partir des compositions isotopiques de Si [Martins et al., 2020].
Les résultats de CRADLE ont ouvert la voie à des simulations plus affinées de l'évolution précoce du disque protoplanétaire solaire et à de nouvelles interactions entre astrophysique et cosmochimie.
Le projet CRADLE et ses résultats ont conduit au développement de deux autres projets qui ont été soumis à l’ANR et sélectionnés par l’ANR, et sont aussi à la source d’une partie d’un projet ERC consolidator. Ces 3 projets ont des PI membres de CRADLE.
- DISKBUILD (Projet-ANR-20-CE49-0006): Early planetary formation processes during the assembling of the protoplanetary disk. PI S. Charnoz (IPGP), partners IPGP (Paris), CRAL (Lyon) and OCA (Nice).
- MIFs (Project-ANR-20-CE49-0011): Mass-independant isotopic fractionations in cosmochemistry. PI M. Chaussidon (IPGP), partners IPGP (Paris), IMPMC (Paris), LCT (Paris), LSPM (Villetaneuse).
- METAL (ERC Consolidator 2020 PE10, ERC-2020-COG): Making terrestrial planets. PI F. Moynier (IPGP).
Les résultats de CRADLE ont été à l'origine de 14 articles dans des revues de premier plan du domaine (Nature Astron., Astrophys. J., PNAS, Geochim. Cosmochim. Acta, Astron. Astrophys.) et de présentations à des réunions. Le modèle développé ici a été très bien accueilli par la communauté et a fait évoluer les idées. Il a par exemple été sélectionné pour figurer sur le blog Astrobite (https://astrobites.org/2018/10/31/the-spooky-origins-of-the-solar-system/) et l'article de Pignatale et al. (2018) a déjà été cité 38 fois. De même, l'article sur l'irradiation de Sossi et al. (2017) a été cité 45 fois.
Selection de publications :
Blichert-Toft J., Göpel C., Chaussidon M. & Albarède F. (2020) The Th/U of chondrules and the age of the Solar system. Geochim. Cosmochim. Acta 280, 378-394.
Charnoz S., Avice G., Hyodo R., Pignatale F. C. & Chaussidon M. (2021) Forming pressure traps at the snow line to isolate isotopic reservoirs in the absence of a planet. Astron. Astrophys. 652, A35. (https://doi.org/10.1051/0004-6361/202038797)
Charnoz S., Pignatale F. C., Hyodo R., Mahan B., Chaussidon M., Siebert J. & Moynier F. (2019) Planetesimal formation in an evolving protoplanetary disk with a dead-zone. Astron. Astrophys. 627, A50, 16p, doi.org/10.1051/0004-6361/201833216.
Deng Z., Chaussidon M., Ebel D; S., Villeneuve J., Moureau J. & Moynier F. (2021) Simultaneous determination of mass-dependent Mg isotopic variations and radiogenic 26Mg by laser ablation-MC-ICP-MS and implications for the formation of chondrules. Geochim. Cosmochim. Acta 299, 163-183
Jacquet E., Pignatale F. C., Chaussidon M. & Charnoz S. (2019) Fingerprints of the protosolar cloud collapse in the Solar system II: nucleosynthetic anomalies in meteorites. Astrophys. J. 884:32.
Martins Pimentel R., Chaussidon M., Deng Z. Moynier F. (2020) A condensation origin for the mass-dependent silicon isotopic variations in Allende components: implications for complementarity. Earth Planet. Sci. Lett. 564, 116678.
Pignatale F. C., Jacquet E., Chaussidon M. & Charnoz S. (2019) Fingerprints of the protosolar cloud collapse in the Solar system I: distribution of presolar short-lived 26Al. Astrophys. J. 884:31.
Pignatale F.C., Charnoz S., Chaussidon M. & Jacquet E. (2018) Making the planetary material diversity during the early assembly of the Solar system, Astrophys. J. Lett. 867, L23.
Sossi P.A., Moynier F., Chaussidon M., Villeneuve J., Kato C. & Gounelle M. (2017) Early Solar System irradiation revealed by linked vanadium and beryllium isotope variations in meteorites. Nature Astronomy 1, 0055.
L'objectif du projet CRADLE (Chondrite Recipe from Accretion Disk modeling and Laboratory Experiments) est de tenter pour la première fois de (i) mettre ensemble toute une série d'observations et d'analyses, faites avec un détail jamais atteint jusqu'à présent, de plusieurs météorites chondritiques primitives et (ii) de développer en parallèle un modèle numérique du disque solaire protoplanétaire, qui sera conçu dans le but d'intégrer toutes ces observations sur les chondrites. Nous voulons étudier comment les simulations numériques reposant sur ce que nous savons de la physique du disque peuvent ou non reproduire la formation de planétésimaux tels que les corps parents des chondrites primitives. Un aspect essentiel sera d'intégrer deux approches différentes venant de l'astrophysique et de la cosmochimie. CRADLE est conçu pour faire progresser de manière significative la compréhension de l'évolution du disque, de sa physique et chimie, et la formation des planétésimaux qui sont le goulot d'étranglement dans les modèles de formation planétaire.
La pertinence du projet CRADLE vient des observations récentes faites des disques d'accrétion autour des étoiles jeunes analogues au Soleil en formation, et des météorites chondritiques. Les chondrites sont comprises comme des "sédiments" s'étant accumulés dans le disque d'accrétion à partir de matériaux formés très tôt dans la nébuleuse protosolaire ou hérités du nuage moléculaire présolaire, ce qui fait d'elles une fenêtre de choix sur les premières étapes de l'évolution du système solaire. Toutes ces observations montrent que plusieurs questions fondamentales se posent quant à l'origine des premiers solides et des premiers corps dans le disque protoplanétaire, et qu'il n'y a pas actuellement de modèle capable d'y répondre. Il semble exister un conflit apparent entre (i) d'une part la nature des chondrites qui sont constituées de composants (inclusions réfractaires, chondres et matrice à grain fin) ayant des origines très différentes dans le disque d'accrétion (en ce qui concerne des paramètres tels que la température, la pression, les composition minéralogique, chimique et isotopiques, ...) et des âges de formation différents de plusieurs millions d'années, et (ii) d'autre part notre compréhension de l'évolution dynamique, thermodynamique et chimique du disque protoplanétaire.
Les développements récents des codes de calcul permettent d'envisager de développer un modèle numérique qui soit capable à la fois de suivre l'effondrement de la nébuleuse présolaire, la formation du disque protoplanétaire et son évolution, et de prendre en compte des observables physico-chimiques précises venant de l'étude des chondrites et de leurs composants. De même les développements analytiques récents dans l'étude de la matière extra-terrestre permettent d'envisager d'obtenir des observables (par exemple les âges de formation des différents composants d'une chondrite) qui décrivent très précisément la complexité d'une chondrite. CRADLE repose sur un aller-retour entre développements de simulations numériques et développements dans l'étude des chondrites.
Monsieur Marc CHAUSSIDON (Institut de Physique du Globe de Paris)
L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.
MNHN - UMR 7590 Museum National d'Histoire Naturelle de Paris - IMPMC - UMR 7590
IPGP Institut de Physique du Globe de Paris
ENS de Lyon Laboratoire de Géologie de Lyon/Ecole Normale Supérieure de Lyon
Aide de l'ANR 415 792 euros
Début et durée du projet scientifique :
octobre 2015
- 48 Mois