CULT - Emergences et évolutions des cultures et des phénomènes culturels

[ECrire l'Histoire de l'Oral] L'émergence d'une oralité et d'une auralité modernes. Mouvements du phonique dans l'image scénique (1950-2000). – ECHO

ECHO

VOIX, ACOUSTIQUES ET ÉCOUTES THÉÂTRALES EN FRANCE (SECONDE MOITIÉ DU XXE SIÈCLE)

REPENSER LE THÉÂTRE COMME LIEU OÙ L’ON ENTEND, METTRE LA VOIX PARLÉE AU CENTRE DE L’ÉTUDE

Né du constat selon lequel l’étude du théâtre occidental, pourtant dès ses débuts vocal, sonore et acoustique, n’avait pas échappé à la survalorisation du visuel, ECHO prolongeait un premier projet intitulé « Le son du théâtre (XIXe-XXIe siècles) » en effectuant un triple recentrage : sur la France, sur la seconde moitié du XXe siècle, et sur la voix parlée. Le nouveau projet abordait le théâtre comme un espace organisé par et pour la voix parlée, revenant ainsi à la définition admise par les acousticiens modernes du lieu théâtral (fin XIXe-début XXe) et qui pouvait sembler ne plus convenir : les technologies (du micro au magnétophone) avaient transformé le son du théâtre et surtout le rapport au texte, au verbal, à la langue (ici, la langue française) avait connu des bouleversements majeurs. Faisant l’hypothèse que, dans le domaine vital du langage, bouleversement ne signifiait pas disparition, l’équipe a entrepris d’explorer comment les artistes et techniciens, de l’après Seconde Guerre mondiale à la fin des années 1990, ont renouvelé les conditions et les formes de la parole scénique et de son écoute. Ce faisant ECHO réinscrivait le théâtre, dont le jeu a contribué à structurer la société occidentale, dans la réflexion, aujourd’hui cruciale, sur notre rapport à l’art de pratiquer (d’écouter, lire, mémoriser, parler – chanter) une langue écrite ou travaillée.

Bénéficiant de la forte culture interdisciplinaire des études en Arts du spectacle et des Sound Studies, l’équipe ECHO, composée de spécialistes de théâtre formés en histoire, anthropologie, architecture, littérature, musique et esthétique, de chercheurs en sociologie et philosophie, de conservateurs spécialisés en théâtre et audiovisuel, de praticiens du son et d’acousticiens-informaticiens, a articulé dans sa recherche des méthodes très différentes : l’audition et la description, selon un protocole progressivement mis au point, d’enregistrements audio de représentations (entre 1947 et 1997) ; la reconstitution de l’histoire architecturale et acoustique des deux salles où ces enregistrements avaient été effectués (au Palais de Chaillot et à l’Athénée) ; l’auralisation 3D de la salle de l’Athénée avec des voix parlées en mouvement sur la scène ; l’étude d’émissions radiophoniques et de disques en tant que mémoires du théâtre ; une enquête ethnographique auprès de spectateurs ayant fréquenté – entre autres – les deux lieux privilégiés et une collecte de témoignages auprès de régisseurs et ingénieurs du son ; enfin l’analyse des discours et modèles selon lesquels peut être pensé l’espace théâtral sonore.

Afin de transmettre ses résultats, ECHO a conçu un site pédagogique multimédia, « Entendre le théâtre », comportant une centaine d’archives audio et une méthodologie de l’écoute, consultable sur le site de la BnF. Y seront aussi présentées les simulations acoustiques issues des études historiques via les toutes nouvelles plateformes de réalité virtuelle accessibles au grand public (youtube360, facebook360). Leurs acquis ont nourri le projet ANR2018-RASPUTIN qui emploie les simulations acoustiques en RV pour aider les non-voyants.
ECHO aura ainsi largement fait connaître les archives sonores du théâtre et les techniques d’auralisation scientifique des lieux de spectacle, contribué à repenser l’art théâtral et sa place dans la genèse et la circulation sociale des formes poétiques de l’oralité. Les collaborations avec les Archives nationales et Ormete (Italie) témoignent de cette dynamique.

Les productions d’ECHO sont aussi des modèles méthodologiques réutilisables : les fiches documentant à plusieurs niveaux les enregistrements de représentations ; les synthèses sur l’histoire architecturale et acoustique des salles ; les auralisations 3D ; les analyses spécifiques de documents radiophoniques et discographiques ; les archives orales inédites issues de l’enquête auprès de spectateurs et de la collecte de témoignages auprès de régisseurs son. Ces productions ont déjà suscité une meilleure prise en compte du sonore par les institutions de conservation. Le projet a aussi éclairé les questions culturelles qui le sous-tendaient : la période 1950-1990 n’a pas vu un affaiblissement du verbal au profit du visuel non verbal, comme l’histoire récente du théâtre tend à le dire, mais des réinventions du parler scénique et de son écoute, impliquant ou accompagnant de nouveaux usages du micro, la naissance de plusieurs conservatoires-laboratoires de la langue, et l’exigence d’une acoustique appropriée dès les années 1980. La recherche a aussi montré l’importance et la durabilité du sonore dans la mémoire des spectateurs, en particulier les voix parlées de certains acteurs mais plus encore, les voix chantées et la musique, ainsi que l’état aural salle/scène. La place accordée par ECHO au lieu théâtral et à ses caractéristiques techniques, négligées dans l’analyse des spectacles, devrait conduire à repenser le théâtre comme un lieu d’écoute dans les cartophonies urbaines. C’est l’une des pistes dégagées pour de nouvelles recherches, avec l’articulation du visuel et de l’auditif chez le spectateur, l’évolution des métiers du son, l’affinement de l’histoire orale et aurale du théâtre occidental

La bibliographie d’ECHO se caractérise par le nombre élevé d’articles spécialisés liés à la tâche d’auralisation dès 2014, par des collaborations éditoriales avec d’autres institutions à partir de 2015, par le choix du numérique pour les deux publications collectives majeures du projet, par les liens créés entre les productions académiques et le dossier pédagogique multimédia en ligne destiné à des publics différents.
Sur le plan quantitatif, ECHO a suscité plusieurs publications multipartenaires (engageant à chaque fois tous les partenaires ou presque) : internationales (trois numéros de revues – deux numéros de «RSL«, aux éditions de l’ENS, et un numéro de «L’Annuaire théâtral« édité à Montréal – ainsi qu’un ouvrage, à CNRS éditions) ; de très nombreuses publications mono-partenaires : internationales (douze articles, dont de nombreuses contributions à «Journal of the Acoustical Society of America« et six chapitres d’ouvrages édités en France mais aussi en Allemagne, au Canada ou aux États-Unis) et nationales (trois numéros de revues, deux ouvrages, cinq articles et quinze chapitres d’ouvrages). Outre les deux colloques et les trois ateliers internationaux organisés par ECHO, on compte vingt-deux communications internationales mono-partenaires (dont de nombreux exposés des acousticiens dans des conférences à l’étranger). À l’échelle de la France, deux journées d’étude de un et deux jours (l’une avec le Théâtre de l’Athénée, l’autre avec les Archives nationales et le Théâtre de Chaillot) ont engagé plusieurs partenaires. S’y sont ajoutées neuf communications mono-partenaires, données dans des colloques ou des séminaires de recherche.

Voir la liste complète des publications : echo-projet.limsi.fr/doku.php/comm

Une abondante littérature décrit le monde occidental moderne (XIXe-XXIe siècles) comme un monde du visuel, porté par la « passion du voir ». Nombre d’ouvrages sont consacrés à l’image, contrastant avec l’espace très modeste laissé à ce qui relève de l’écoute – exception faite pour l’écoute musicale. Le théâtre nous est apparu comme la pratique la plus spectaculairement et paradoxalement affectée par ce phénomène : alors que la scène occidentale s’est organisée autour d’un texte (vocalisé), éventuellement accompagné de musique (chantée ou instrumentale), que l’acoustique a été rapidement prise en compte, et que le modèle grec joue un grand rôle dans la théorie théâtrale, il n’existe quasiment pas de travaux sur le théâtre comme lieu auditif. Nombreux sont en revanche ceux qui concernent ses dimensions visibles (scénographie, lumière) et ses rapports avec les arts visuels, la peinture et le cinéma. Ainsi, le discours des études théâtrales semble fondé sur l’idée selon laquelle la représentation se déroule dans un espace organisé par et pour le regard. Les recherches portant sur le caractère oral des œuvres dramatiques, d’une part, la voix des acteurs, d’autre part, sont comme exilées dans de tout autres espaces théoriques et n’affectent en rien ce modèle, ce qui permet d’entrevoir au cœur et à la source de l’oubli du sonore l’occultation de la phônê humaine, non seulement vocale, mais verbale, « l’oralité » décrite par le dernier Zumthor (1994) : performée, éventuellement médiatisée, engageant une auralité socialement significative, parce qu'elle prend son sens dans l'événement, comme le souligne l'ethno-poétique, mais aussi parce que cet événement est structurellement langagier.
La question a été posée, en particulier par les philosophes, de la place accordée à « l’invisible » dans le monde des images, et particulièrement du sort fait à l’écoute, à l’expression et à la mémoire verbales. Le théâtre tel que nous venons de l’évoquer constitue un lieu privilégié pour une telle interrogation. Le projet ECHO est né de ce constat, les équipes réunies (études théâtrales, acoustique, histoire des sciences, intermédialité, ethnologie, musicologie, philosophie) s’inscrivant dans une perspective théorique en rupture avec les discours dominants qui privilégient soit l'image (muette) soit le corps (vocal mais nonverbal). Selon cette nouvelle perspective, le théâtre occidental est un espace acoustique, organisé par et pour la voix dite « parlée », définition assumée par les acousticiens modernes du lieu théâtral (fin XIXe-début XXe s.), interrogée ensuite et reformulée du fait des transformations affectant les représentations de la phonation, de sa production et de son écoute, issues de la médecine, de la linguistique, de la psychanalyse, mais aussi de la science acoustique et des nouvelles technologies (microphone, phonographe, téléphone, haut-parleur). Une telle perspective lève un verrou : elle ouvre un espace théorique qui peut accueillir à la fois l’étude de la pratique scénique et celle de la voix parlante. Ainsi, une part de notre projet consiste à observer dans les créations de la « scène moderne » (1950-2000), exposée par Giovanni Lista dans son ouvrage-somme, la genèse de formes orales et aurales inédites en relation avec les nouveaux univers phoniques et les nouveaux modes du voir. Les moyens privilégiés sont la reconstitution de l’histoire acoustique de deux salles, l’écoute des archives audio des spectacles (le « théâtre d’images » est plein d’échos de textes), l’enquête auprès des spectateurs. ECHO devrait ainsi contribuer à la fois à la réécriture de l’histoire récente du théâtre occidental et à l’élaboration, à partir de la performance théâtrale, d’une pensée vraiment moderne de l’oralité, libérée des deux modèles séducteurs et réducteurs que sont aujourd’hui le rituel vocalisé et le plateau technologique.

Coordination du projet

Marie-Madeleine MERVANT-ROUX (THALIM) – Marie-madeleine.MERVANT-ROUX@cnrs.fr

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

CRIalt Centre de recherches intermédiales sur les arts, les lettres et les techniques
UVA Universiteit van Amsterdam Theaterwetenschap
LIMSI-CNRS Laboratoire d'informatique pour la mécanique et les sciences de l'ingénieur
BnF Bibliothèque nationale de France
THALIM THALIM

Aide de l'ANR 385 799 euros
Début et durée du projet scientifique : décembre 2013 - 42 Mois

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