RPDOC - Retour Post-Doctorants

Événements radicaux et reconfigurations de l’existence (approche anthropologique dans le contexte de l’Inde) – RUPTURES

Ruptures : événements radicaux et reconfigurations de l’existence

Certains événements tels qu’une maladie, un accident, une expérience de violence, modifient profondément et irréversiblement la vie des personnes. Ils engagent des reconstructions, qui sont aussi le lieu où s’expérimentent les possibilités et les conditions de présence au monde.

Les existences connaissant une rupture énoncent-elles d’autres pensées du monde, d’autres manières d’y être ?

Le programme Ruptures a démarré en décembre 2010 au Centre d’Études de l’Inde et de l’Asie du Sud (Paris), grâce à un financement de l’Agence nationale de la recherche. Il avait pour objectif de réfléchir aux phénomènes de rupture, lorsque l’existence d’individus ou de groupes se trouve radicalement redéfinie suite à des événements venant rompre les logiques d’inscriptions dans le monde.<br />Que se passe-t-il pour les vies qui ne correspondent pas ou qui ne correspondent plus aux cosmologies locales ? Les existences connaissant une rupture énoncent-elles d’autres pensées du monde, d’autres manières d’y être ? Que peut apporter la considération de ces vies à la connaissance anthropologique ?<br />À partir de travaux concernant les lépreux, les tribus dites criminelles et les transgenres en Inde, les violences faites aux femmes en Algérie et les réfugiés syriens au Liban, le projet s’est attaché aux déplacements ontologiques provoqués par l’événement, à l’émergence de singularités et à leurs catégorisations sociales. L’enjeu était d’aborder le social sous l’angle de son altération, de ses métamorphoses et de la bifurcation des vies qui en résultent. De considérer en premier lieu les expériences individuelles de rupture et de recomposition collective, pour interroger les rapports entre la production de singularités et la société, où alternent créations et réitérations des normes. De placer au cœur de la compréhension du social l’instabilité, l’incertitude, la contingence, souvent tenues à l’écart.<br />

Nous avons choisi d’adopter une approche comparative, qui croise des travaux inédits portant sur différentes formes de reconfiguration de l’existence, liées à la maladie, au genre et à la sentence de la loi. Cette mise en perspective a été motivée par la portée généralisante du projet : élaborer une connaissance des processus de reconstruction de la vie, ainsi que des outils permettant d’appréhender ces processus. Chacune de nos recherches a été conduite suivant cette approche globale et collective. La mise en commun ne visait pas la production d’une pensée uniforme de la rupture, mais une compréhension de la complexité de ses formes d’expression.
Un certain nombre de questions d’ordre méthodologique et épistémologique ont été au cœur de ce projet. Comment comparer et généraliser des singularités ? Que signifie aborder le social à partir de cas ? Quels outils élaborer pour rendre compte non uniquement des normes et des structures mais aussi de la variation et de la disjonction ?

Une première notion qui est apparue est celle de bifurcation ontologique. Elle est très nette dans le cas des lépreux, pour qui l’apparition de la lèpre entraîne une transformation du corps, une exclusion de la famille et de la caste, et dès lors un repositionnement absolu dans l’espace de la société indienne – non seulement pour les lépreux, mais aussi pour leurs descendants non malades. Dans le cas des tribus dites criminelles, la bifurcation a été imposée par la loi et la nouvelle ontologie forgée de toutes pièces : avec l’invention de la criminalité de naissance et l’application du Criminal Tribes Act (1871) qui ont conduit à l’internement massif de centaines de milliers de personnes dans des camps de redressement, ce n’est ni plus ni moins une nouvelle forme d’humanité qui a été créée et que les descendants des groupes ainsi classés continuent de subir, malgré l’abolition du statut juridique. D’une autre manière, les transgenres se trouvent également pris dans une bifurcation ontologique, qui passe par un travail constant de transformation du corps. Renouveler l’approche anthropologique de l’ontologie, sous l’angle de la bifurcation, nous a amenés à considérer l’émergence de singularités. Pour rendre compte du travail sur les normes, les valeurs et les catégories, qu’opèrent les existences ayant bifurqué, nous avons élaboré le concept de vie mineure, qui souligne la mise en tension et l’exemplarité (la force de proposition) de ces existences. Un autre axe a concerné l’événement et les rapports au temps. La persistance de l’événement encapsulé dans la nouvelle ontologie et le devenir permanent qui caractérisent ces vies nous ont conduit à placer l’après au cœur de l’analyse.

L’analyse des événements radicaux et des reconfigurations de l’existence offre à l’anthropologie l’opportunité de saisir la vie sociale, habituellement abordée sous l’angle de la régularité de son organisation, d’une toute autre manière. Ce renouvellement de l’approche anthropologique est d’autant plus crucial dans un monde marqué par les fractures, les exclusions et les incertitudes. Davantage, l’étude des existences connaissant une rupture nous montre l’apparition de nouvelles formes de vie qui témoignent de devenirs possibles, à la fois singuliers et exemplaires.

Nous avons animé durant deux ans un séminaire à l’EHESS, Paris ; mené plusieurs opérations de dissémination dans le cadre de colloques et journées d’études en France et à l’étranger ; et produit quarante-trois communications et sept articles ou chapitres d’ouvrages dans des éditions scientifiques. Un numéro thématique dans une revue en ligne à comité de lecture et un ouvrage en anglais sont actuellement en cours de publication. Un ouvrage collectif en français et un recueil de textes paraîtront en 2015.

Ce projet porte sur les reconfigurations de l’existence suite à des événements radicaux. Par événements radicaux, nous entendons des événements – telle une maladie, un accident, une expérience de violence – qui modifient profondément et irréversiblement la vie des personnes. Ces événements, par les bouleversements et les reconstructions qu’ils suscitent, conduisent les individus à interroger des relations et des inscriptions sociales qui d’ordinaire ne le sont pas. Ils entraînent de nouveaux rapports à soi et aux autres, définissent de nouvelles manières d’être, formulent de nouveaux modes d’action. Les déploiements qu’ils engendrent constituent de véritables laboratoires où s’expérimentent les possibilités et les conditions de présence au monde, offrant ainsi à l’anthropologie l’opportunité de saisir la vie sociale, habituellement abordée sous l’angle de la régularité de son organisation, d’une toute autre manière.
Plus particulièrement, l’hypothèse de ce projet de recherche est que les événements radicaux entraînent des déplacements ontologiques, en remettant en cause tant les relations à soi que son inscription sociale. Ils permettent d’appréhender l’émergence de la singularité à la fois au niveau des individus et de la société, et par conséquent, d’interroger les processus de production des subjectivités et leurs catégorisations sociales, tout autant que les rapports qui les lient.
La réalisation du projet repose sur une approche comparative. Il s’agira de croiser les données émergeant de travaux inédits et novateurs concernant trois formes de reconfiguration de l’existence : le cas des lépreux, des transsexuels et des castes dites criminelles. Ces reconfigurations, qui correspondent à trois types d’événements radicaux (la maladie, l’inadéquation entre un corps et un genre, la sentence de la loi) se déploient toutes les trois dans le contexte indien. Il importe en effet, lorsqu’on s’intéresse à des redéfinitions ontologiques, de les appréhender au regard d’un même régime épistémique et donc à partir d’une même aire culturelle. Qui plus est, l’Inde offre un terrain d’étude particulièrement intéressant pour les questions qui nous intéressent dans la mesure où cette société se caractérise par une structuration catégorielle forte, la caste, jati qui littéralement signifie « espèce ». Chaque individu est ainsi défini par son appartenance à un groupe. Dans ce contexte, lorsque des individus se voient touchés par des événements, c’est inévitablement leur présence au sein de leur caste initiale qui en vient à être questionnée.
L’originalité de ce projet réside aussi dans son approche « individualiste » des mécanismes sociaux : il s’agira en effet de partir avant tout des expériences individuelles pour saisir les rapports continus entre les productions de singularités et la société, où prédominent tour à tour perceptions individuelles et structures sociales. Son caractère novateur tient également à une appréhension du social sous l’angle de son altération, de ses ruptures et de la bifurcation des vies qui en résultent.

Coordination du projet

Fabienne MARTIN (CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE - DELEGATION REGIONALE ILE-DE-FRANCE SECTEUR PARIS A) – fabmartin92@hotmail.com

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

CEIAS CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE - DELEGATION REGIONALE ILE-DE-FRANCE SECTEUR PARIS A

Aide de l'ANR 621 225 euros
Début et durée du projet scientifique : - 36 Mois

Liens utiles

Explorez notre base de projets financés

 

 

L’ANR met à disposition ses jeux de données sur les projets, cliquez ici pour en savoir plus.

Inscrivez-vous à notre newsletter
pour recevoir nos actualités
S'inscrire à notre newsletter