L’altération des produits carnés est essentiellement d’origine microbienne et se manifeste par des modifications de l’odeur, du gout, de l’aspect ou encore de la texture, qui peuvent être perçus par le consommateur et entrainer le rejet du produit. Malgré les moyens utilisés pour maîtriser l’action des microorganismes et fixer les dates limites de consommation (DLC), l’altération subsiste et reste un phénomène complexe dont les dynamiques, tout au long de la chaîne de transformation et de conservation, nécessitent une meilleure compréhension. Réunissant 10 organismes de recherche, centres techniques et partenaires industriels, le projet ANR REDLOSSES (2017-2021) s’est ainsi attaché à suivre, à partir d’une contamination initiale, la dynamique des communautés bactériennes associées à l’altération des produits carnés, et à étudier les actions de différentes stratégies de préservation sur l’altération.
Une méta-analyse bibliographique a tout d’abord permis de cerner et de hiérarchiser les paramètres à considérer : temps d’apparition de l’altération, teneur en CO2 et ratio CO2/O2 dans les atmosphères protectrices, température de stockage, effet de différents conservateurs, présence de différentes familles bactériennes. Les comportements et les perceptions des consommateurs ont également été étudiés à travers des focus groupes complétés par une analyse bibliographique, soulignant une méconnaissance des procédés modernes comme les atmosphères modifiées ou les flores protectrices, et un désintérêt pour un allongement des DLC. Du point de vue industriel, la sécurisation des DLC permettrait toutefois plus de flexibilité (notamment par une présence accrue dans les supérettes).
Dix lots de 88 barquettes de saucisses de porc et de dinde ont été produits puis analysés. Dans chaque lot, les échantillons étaient répartis suivant trois doses de lactate (conservateur) et trois atmosphères protectrices de stockage. Ils ont été suivis à J+2, J+8, J+15 et J+22. Des analyses microbiologiques classiques, des descriptions des communautés bactériennes par séquençage haut débit, des mesures physico-chimiques, des analyses sensorielles et des analyses des métabolites ont été menées pour mieux comprendre la mise en place de l’altération.
Les analyses montrent une dégradation de la couleur des saucisses de porc à J+15 et J+22 en particulier pour les lots enrichis en oxygène, soulignant un effet important de l’atmosphère et très peu d’effet du lactate. Pour les saucisses de volaille, l’altération est marquée dès le 8e jour notamment pour les saucisses sans lactate et pour celles dont l’atmosphère est enrichie en oxygène.
Concernant l’altération de l’odeur, un panel de 14 experts a identifié 7 descripteurs de l’altération, avec des références aromatiques pour chaque type d’odeur. Pour les saucisses de porc, l’altération survient entre J+15 et J+22 notamment dans les atmosphères sans oxygène. Pour les saucisses de dinde, elle survient dès le 8e jour, en particulier pour les atmosphères enrichies en oxygène.
En parallèle, les partenaires ont analysé le volatilome identifiant 27 composés volatils, dont 23 communs au porc et à la dinde, et ont suivi l’évolution des métabolites dans le temps. Ces analyses montrent que de nombreux alcools, cétones et aldéhydes sont corrélés au score global d'altération de l’odeur. Le score global d'altération de l’odeur est fortement corrélé avec l'acétate d'éthyle, surtout pour le porc, et la 2-butanone en particulier pour la dinde, ainsi que les composés soufrés.
Des analyses ont également été menées pour identifier les variables, dans les processus de fabrication, sur la diversité de communautés microbiennes. La dynamique de croissance est moins rapide chez le porc : on observe un décalage d’environ 7 jours sur l’altération par rapport à la dinde, et la diversité d’espèces microbiennes est moindre chez le porc. De plus, l’atmosphère (le packaging) influence le type de communautés microbiennes présentes dans les deux produits finis. Pour le porc, le type de viande utilisée et sa découpe (l’épaule milieu se dégradant plus vite que l’épaule 4D) joue également un rôle sur le type de communautés présentes dans le produit final.
Dans l’objectif de prévoir l’altération à partir des conditions initiales, les partenaires ont suivi l’évolution du pH, marqueur d’altération, en fonction des différentes formulations en lactate et des atmosphères protectrices. Pour les lots étudiés, l’addition de fortes doses de lactate va ralentir l’apparition de l’altération, quelle que soit l’atmosphère, et une atmosphère riche en oxygène va préserver les saucisses de volailles. Ce modèle décrit l’évolution d’une réponse d’altération simple, il permet de prévoir le taux d’acidification en fonction des stratégies de préservation choisies. Toutefois, l’effet lot est aussi important que les prévisions d’évolution du pH qui va conduire à l’altération, ce modèle n’est donc pas assez précis.
Les partenaires se sont ensuite intéressés aux liens de causalité entre l’abondance des espèces bactériennes, la production des composés volatils et les odeurs d’altération, à travers une approche PathComDim. Celle-ci permet d’identifier les acteurs qui contribuent à la mise en place de l’altération. Par exemple, l’odeur de viande avariée semble, d’après cette approche, corrélée à la production d’éthanol et d’acétate d’éthyle. Elle permet aussi d’identifier les microorganismes impliqués dans la production des molécules d’intérêt (d’acétate d’éthyle par exemple). Ces données soulignent un lien fort entre les composés volatils et l’apparition de l’altération, aussi les composés volatils pourraient servir d’indicateurs précoces du risque d’altération.
Ces informations contribuent à une meilleure appréhension du phénomène d’altération. L’analyse des communautés microbiennes des produits carnés a révélé la présence d’espèces parfois insoupçonnées ou non accessibles facilement, mettant en exergue la nécessité de réviser notre vision de la microbiologie des aliments. De plus, une utilisation adaptée de conservateurs comme le lactate et des gaz des atmosphères protectrices les plus efficaces contre l’altération peut être proposée.
Le projet ANR REDLOSSES regroupait dix partenaires : SECALIM (INRAE) ; IFIP ; MICALIS (INRAE, AgroParisTech) ; LUBEM (Université de Brest) ; AERIAL ; ITAVI ; MaIAGE (INRAE) ; COOPERL ; LDC ; ULg (Université de Liège).