Les rythmes bureaucratiques de l'urbanité impériale : Droit, propriété et vie publique en Asie du Sud moghole, vers 1650–1750 – MugUrba
L’Empire moghol (1526-1857) atteint sa plus forte extension territoriale en Asie du Sud vers 1700 et devient alors un des régimes bureaucratiques les plus complexes du monde moderne. Pourtant, l’histoire des villes de ce géant de la première modernité demeure très largement inexplorée dans sa dimension socio-juridique. Le projet MugUrba se propose d’analyser les processus d’urbanisation entre 1650 et 1750 qui ont commencé avec la consolidation de la capitale impériale de Delhi dans les années 1650, avant de se développer au sud-est pour former un triangle dynamique au sein de la plaine fluviale de Yamuna avec les villes d’Agra et de Mathura. Dans les années 1740, les occupations militaires successives de l’Inde du nord ont transformé l’urbanisme, entraînant un déclin des infrastructures et de la sécurité. À partir d’archives multilingues et multisituées, le projet propose une histoire juridique et urbaine des artisans, des marchands, des soldats et des fonctionnaires pour montrer comment les marchés, les rues et les places de l’Inde du Nord étaient aussi des espaces de contestation juridique et des lieux de vie publique.
Tout comme les villes de l’empire ottoman et des khanats d’Asie centrale, les villes mogholes étaient régies par des idéologies et des institutions issues du droit hanéfite, une des quatre écoles juridiques de l’islam sunnite. Ainsi, au XVIIe siècle, plus de 20 % de la population mondiale vivait sous différents types de régimes juridiques hanéfites, l’un des plus grands systèmes juridiques de l’époque moderne comparable au droit civil et au Common law. Dans une société urbaine composée de différentes communautés, castes et religions, des relations de pouvoir asymétriques existaient entre les autorités légales et les sujets. Les non-musulmans, considérés dhimmis ou des « communautés protégées » de l’État moghol, jouissaient d’une autonomie en matière de relations religieuses, rituelles et de parenté. Des personnalités publiques telles que les juges, les censeurs, les agents, les policiers et les gouverneurs géraient les principaux centres urbains. Comment les autorités juridiques ont-elles maintenu les conventions juridiques islamiques et limité leur transgression tout en permettant aux sujets ordinaires de poursuivre leur vie sociale ?
Comment les normes et pratiques juridiques hanéfites ont-elles façonné l’urbanisme moghol dans une société multireligieuse et pluriethnique ? Le projet étudie l’évolution des fonctions des agents de l’État et des règlements administratifs. Il interroge les pratiques administratives et commerciales dans les tribunaux publics des grandes villes afin de donner à voir le rôle majeur joué par les dépositaires du pouvoir public impérial. Il étudie le développement des banlieues grâce aux privilèges impériaux accordés pour l’aménagement d’agglomérations et grâce à l’installation des marchands et des communautés artisanales de l’arrière-pays rural. Il examine comment les droits et l’autonomie des sujets ordinaires ont été protégés par l’intermédiation et l’arbitrage des fonctionnaires de rang moyen. Comment les sujets ont prouvé qu’ils avaient été victimes de fraude devant les tribunaux, ont géré des délits mineurs ou payé les frais d’utilisation de l’eau, tout en s’accommodant d’une police musclée et d’une paperasserie administrative pléthorique ? Le projet s’intéresse plus particulièrement à la manière dont les fonctionnaires ont réglementé le paysage écologique urbain afin de trouver un équilibre entre les intérêts privés et le maintien de l’ordre public. MugUrba fait ainsi dialoguer l’histoire urbaine moghole avec l’histoire impériale et institutionnelle du monde musulman.
Coordination du projet
Naveen KANALU RAMAMURTHY (Centre de recherches historiques)
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Partenariat
CRH Centre de recherches historiques
Aide de l'ANR 311 059 euros
Début et durée du projet scientifique :
décembre 2023
- 48 Mois