CE41 - Inégalités, discriminations, migrations

Gouverner l’humain, contrôler la reproduction. Trajectoires (post)coloniales de l’eugénisme – EUGENE

Résumé de soumission

Comment l’eugénisme, avec son postulat d’une inégalité ontologique entre les individus, s’est-il trouvé encastré dans la pensée universaliste de l’État moderne ? Loin de disparaître après ses usages meurtriers sous le nazisme, la référence eugéniste fut non pas évincée mais reconfigurée jusqu’à aujourd’hui. C’est cette vie discrète qu’on s’attache à exhumer, en étudiant les politiques de contrôle reproductif des populations en France et en Union soviétique, abordées ici dans leurs dynamiques impériales. Dans ces deux sociétés, l’eugénisme, sans donner lieu à des politiques labellisées comme telles, a d’abord connu une certaine reconnaissance, avant de faire l’objet de vives critiques et de connaître de multiples redéfinitions. De nombreux indices attestent, en effet, la prégnance d’une préoccupation pour l’amélioration de la « qualité » de la population, même après 1945 : il en va ainsi notamment dans les régions (ex)colonisées et périphériques, où, face aux craintes suscitées par une démographie jugée galopante de segments de la population, les idées et pratiques eugénistes purent se déployer.
Afin de retracer les chaînes de réélaborations successives du projet eugéniste, une triple perspective est adoptée. 1°) Une démarche comparative, focalisée sur trois études de cas (La Réunion, Algérie et Tadjikistan), vise à saisir comment les espaces (ex)colonisés et périphériques ont constitué des laboratoires de l’eugénisme, lorsque son acceptabilité sociale fut contestée. La confrontation de ces cas ouvrira une réflexion sur ce que fut la domination impériale et la façon dont elle s’est articulée à la pensée et à des pratiques eugénistes. 2°) Cette comparaison est complétée par une approche transnationale, attentive aux circulations d’idées et de modèles qu’a impulsées l’Union soviétique, érigée au XXe siècle en pôle de référence des luttes contre les dominations coloniales, raciales, sociales et de genre. En étudiant leurs appropriations en France, en métropole comme dans ses colonies, l’objectif est de mettre au jour l’entremêlement de la pensée eugéniste avec des idéologies politiques à visée universaliste, égalitariste ou émancipatrice (socialiste, féministe, républicaine, antiraciste) : on verra comment ces convergences permirent l’émergence d’un relatif consensus eugéniste et empêchèrent sa mise en cause radicale. 3°) Enfin, pour rendre compte de la globalisation des pratiques eugénistes et des dynamiques centre-(ex)périphéries qui la sous-tendent depuis les années 1960, sera réalisée une enquête multi-située sur le Depo-Provera, ce contraceptif longtemps interdit en raison de ses effets nocifs sur la santé des femmes, mais largement utilisé pour limiter la reproduction de certaines populations : l’enquête se focalisera sur son usage dans l’espace français, dès les années 1970 (dans les hôpitaux psychiatriques comme dans les régions (ex)colonisées), et, à partir des années 2010, dans l’espace postsoviétique.
À la croisée de l’histoire des savoirs et des idées politiques et de la socio-histoire de l’action publique, ce projet de recherche mobilise des corpus archivistiques distincts (archives du pouvoir à ses différentes échelles, archives scientifiques et politiques) et les confronte à d’autres types de matériaux (documentation scientifique, administrative et militante ; entretiens). Cette diversification des sources permettra de reconstituer les trajectoires, sous-terraines bien souvent, de l’eugénisme et d’éclairer le statut paradoxal qu’il semble avoir aujourd’hui : celui d’une idéologie savante moralement condamnable, associée aux errements du XXe siècle, mais pourtant vivace et demeurant au principe des politiques de gouvernement des populations. C’est ainsi que ce projet de recherche entend nourrir le débat public sur ces questions, toujours actuelles, du contrôle de la reproduction d’individus discriminés pour des motifs biologiques, sociaux ou culturels, et de l’élimination des vies jugées indignes d’être vécues.

Coordination du projet

Isabelle Gouarné (Centre universitaire de recherches sur l'action publique et le politique. Epistémologie et Sciences sociales - UMR CNRS 7319)

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

CMH Centre Maurice Halbwachs
IRSS Université de Liège / Institut de Recherches en Sciences Sociales
CURAPP-ESS Centre universitaire de recherches sur l'action publique et le politique. Epistémologie et Sciences sociales - UMR CNRS 7319
CRESPPA Centre de Recherches Sociologiques et Politiques de Paris - CRESPPA
IFEAC Institut français d'études sur l'Asie centrale

Aide de l'ANR 289 764 euros
Début et durée du projet scientifique : mars 2022 - 42 Mois

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