Stabilité et préservation des bâtiments du patrimoine culturel en maçonnerie de pierre après incendie – POSTFIRE
Stabilité et préservation des bâtiments du patrimoine culturel en maçonnerie de pierre après incendie
L'incendie de Notre-Dame de Paris en 2019 a révélé la vulnérabilité de l'architecture historique et la stabilité résiduelle des monuments en maçonnerie de pierre. Garantir la fiabilité structurelle des bâtiments patrimoniaux est essentiel pour leur préservation et restauration. POSTFIRE approfondit les recherches sur la maçonnerie en pierre de Lutétien après incendie, en tenant compte de la complexité liée à l'hétérogénéité des matériaux.
POSTFIRE relie les conditions d'incendie (ex. température, vitesse de chauffage) aux dommages structurels et aux propriétés mécaniques, physiques et chimiques résiduelles des composants de maçonnerie.
Enjeux et objectifs: 3000 caractères<br />L'un des principaux défis pour la restauration durable du patrimoine bâti réside dans le comportement complexe des structures sous charges de service. Les connaissances sont limitées par l'absence de protocoles d’essai standardisés et de modèles liant les mécanismes de dommage aux paramètres de conception. Dans la région parisienne, où les monuments historiques sont en calcaire local, reconnu pour sa durabilité, les principes de conservation exigent une étude approfondie de ses performances sous charges accidentelles pour garantir sa longévité et préserver sa valeur patrimoniale.<br />Parmi les calcaires lutéciens, utilisés dans de nombreux monuments majeurs, on constate une grande diversité de typologies, propriétés physiques et mécaniques, et profils pétrographiques. Les rapports historiques offrent une caractérisation limitée des matériaux, sans données sur les propriétés résiduelles après exposition au feu. De plus, les procédures d’évaluation des dommages liés au feu ne sont pas standardisées, et les conditions de feu doivent être reproduites en laboratoire pour alimenter des modèles numériques d’évaluation de la capacité résiduelle de la maçonnerie.<br />Les variations des échantillons et des conditions d’exposition limitent la validité des conclusions entre études. POSTFIRE surmonte ces obstacles grâce à une méthodologie d’essais extensifs et de minimisation des effets liés aux échantillons. Les coûts élevés des tests de feu sur maçonnerie sont un frein, mais POSTFIRE les réduit en menant des essais à petite échelle et en extrapolant les résultats. Le projet se termine par des tests de validation sur des prototypes de murs en maçonnerie, fournissant des retours sur les modélisations thermiques.<br />Les objectifs de POSTFIRE sont les suivants :<br />1) Améliorer la compréhension de la maçonnerie historique en pierre exposée à de hautes températures, en étudiant les corrélations entre phénomènes chimiques, physiques et changements dans les propriétés thermiques et structurelles via des tests pétrographiques, thermiques et mécaniques.<br />2) Développer une base de données des matériaux post-incendie et des modèles numériques pour évaluer la performance structurelle. Les modèles sont validés par des tests sur des murs à grande échelle, tandis que des échantillons réduits servent à tester des hypothèses et des phénomènes de dommage, réduisant ainsi les coûts.<br />3) Proposer des lignes directrices pour l’évaluation post-incendie des bâtiments historiques en maçonnerie, afin de rendre les résultats accessibles aux professionnels, chercheurs et comités de normalisation, pour le bénéfice des communautés.<br />4) Réaliser une étude de cas sur la cathédrale Notre-Dame de Paris, en appliquant les méthodes innovantes du projet pour valider les corrélations entre les profils de dommages et la dégradation post-incendie des matériaux, en s’appuyant sur les résultats de la recherche et les observations de terrain.
Des essais au feu à l’échelle des matériaux ont été réalisés sur sept calcaires lutéciens du Bassin parisien (Saint-Vaast, Saint-Leu, Sébastopol, Saint-Maximin Ferme et Franche, Liais de Ouachée, Croix Huyart) et cinq autres calcaires français (Tuffeau, Savonnière, Tervoux, Euville, Lens, Massangis). Classés selon leur résistance en compression (NF DTU 20.1), leurs caractéristiques pétrographiques et thermiques ont été étudiées par MEB, DRX, microscopie polarisée, porosimétrie au mercure (MIP) et ATG/DSC. Des cylindres standardisés ont permis de mesurer la résistance à la compression/traction, le module d’élasticité et le coefficient de Poisson à l’état initial et après chauffage à 200, 400, 600 et 800°C. La porosité, l’absorption d’eau, la conductivité thermique et les coefficients de dilatation thermique ont été analysés.
À l’échelle muret, des blocs de Saint-Leu (faible résistance), Tervoux (moyenne) et Massangis (élevée) ont été assemblés avec des mortiers à base de chaux pure ou additionnée de ciment, adaptés à la résistance des pierres. Les murets (56×36×10 cm) ont été soumis à un chauffage unilatéral selon des régimes lents et rapides. La déformation et la fissuration ont été suivies à l’aide de thermocouples et de jauges de déformation positionnés en face arrière. Après chauffage, la résistance résiduelle en compression a été évaluée, et la morphologie des fissures thermiques ainsi que les variations de couleur ont été cartographiées en profondeur.
Des essais sur murs grandeur nature (3×3×0,2 m) ont complété les essais sur murets. Pour chaque pierre, un mur a été testé libre et un autre sous 50 % de la charge admissible (Eurocode 6). Les murs ont été exposés à la courbe ISO 834-1 pendant deux heures, suivies d’un refroidissement sur 24 heures. Une instrumentation avancée (thermocouples, capteurs de déplacement, corrélation d’images numériques, caméras thermiques, endoscopie) a permis un suivi précis des phénomènes thermiques et mécaniques. Après refroidissement, la capacité portante résiduelle a été déterminée par chargement jusqu’à rupture.
La simulation numérique s’appuie sur une approche multi-échelle utilisant CODE_ASTER, intégrant un comportement élasto-plastique thermo-dépendant à l’échelle matériau et une analyse structurelle à l’échelle murale. Les études paramétriques incluent les effets de la déformation thermique transitoire, le traitement des conditions limites et les gradients thermiques locaux pierre-mortier. Les résultats de simulation (cinétique de réaction, déformabilité, perte de résistance) sont calibrés par les essais expérimentaux.
Enfin, l’étude de cas de l’incendie de Notre-Dame de Paris (2019) confronte les observations de terrain du LRMH (carottages) aux essais de laboratoire, validant ainsi la méthodologie POSTFIRE. Un document de recommandations compile les résultats expérimentaux et propose des protocoles normalisés pour l’évaluation post-incendie du patrimoine culturel.
À l’échelle du matériau, le comportement des calcaires sous feu dépend de leur composition minéralogique. Les calcaires riches en calcite se dilatent initialement, puis se contractent à haute température par décarbonatation, entraînant jusqu’à 44 % de perte de masse au-delà de 800°C. Les calcaires contenant du quartz subissent des contraintes internes liées à la transition a-ß à 573°C. La sensibilité thermique dépend aussi de la texture : de gros grains amplifient l’expansion thermique, tandis qu’une forte cimentation à faible porosité concentre les contraintes aux interfaces. Après 600°C, la fissuration thermique connecte les pores inaccessibles, augmentant la porosité et l’absorption capillaire. Tous les calcaires perdent leur résistance mécanique : la résistance en traction chute dès 200°C, la compression dès 400°C, la rigidité diminue fortement après 600°C, avec une déformabilité accrue. Les gros grains aggravent les déformations et les dommages internes.
À l’échelle du bloc, des taux de chauffage rapides produisent de forts gradients thermiques, générant des expansions différentielles et des macrofissures. La face chaude se dilate, contrainte par la face froide, induisant compression sur la face chaude et traction sur la face froide. Ce phénomène a été observé après l’incendie de Notre-Dame de Paris (2019), où des fissurations sous-surfacielles accompagnées de variations de couleur et de perte de rigidité ont été relevées. Les murets chauffés jusqu’à 650°C ont montré un décollement prématuré des joints de mortier, lié à une perte de 20 % de rigidité dès 200°C. Les pierres dures à faible porosité résistent mieux au début mais finissent par se désolidariser du mortier, en raison d’une faible adhérence physico-chimique.
À l’échelle de la maçonnerie, tous les murs atteignent la résistance au feu REI120. Après une heure, les gradients thermiques révèlent moins de 100°C à 5 cm de profondeur et moins de 20°C sur la face froide, générant des courbures thermiques horizontales et verticales. Cette déformation, jusqu’à 20 % de l’épaisseur, induit des excentricités de charge compromettant la stabilité globale. Ce comportement n’est pas pris en compte par les abaques de l’Eurocode 6, qui sous-estiment les besoins d’épaisseur. La réglementation française CCH ne propose pas de critères adaptés aux pierres naturelles : seule une évaluation expérimentale certifiée permet de déterminer la résistance au feu.
Les simulations numériques confirment que la géométrie et la taille des blocs influencent la distribution des plastifications et la dissipation des contraintes thermiques. L’élancement des blocs accentue les déformations plastiques. Les analyses paramétriques montrent que la résistance en traction et le module d’Young sont les paramètres clés du comportement thermomécanique. L’intégration de la déformation thermique transitoire améliore la précision des modèles, en particulier pour les murs sous charge.
POSTFIRE a validé une méthodologie intégrée pour l’évaluation des dommages subis par la maçonnerie en pierre lors d’un incendie. Cependant, la phénoménologie des dégâts résulte à la fois de l’exposition au feu et du refroidissement. Ainsi, un suivi en temps réel des phases de chauffe et de refroidissement permettrait d’analyser plus finement la cinétique des dégradations.
Des essais complémentaires sur murs maçonnés devraient prendre en compte la courbe feu ISO 834 comme référence, afin de reproduire l’élévation brutale de température lors d’un incendie, suivie d’un refroidissement rapide à l’eau simulant l’intervention des pompiers.
La compatibilité pierre-mortier mérite d’être approfondie en testant un éventail plus large de mortiers historiques et de techniques de construction (ex. rainurage, traitements de surface, consolidation).
Les phénomènes de fatigue devraient être étudiés au-delà du scénario linéaire feu-extinction, en intégrant des cycles d’altération et des protocoles de vieillissement pour évaluer la durabilité des matériaux.
Une méthodologie intégrant des jauges de déformation/LVDT et la corrélation d’images numériques, couplée aux essais ultrasoniques et autres méthodes non destructives, permettrait de cartographier l’évolution des dommages de manière plus détaillée.
Les approches expérimentales et numériques doivent être affinées en intégrant des scénarios d’incendie réels.
Les modèles prédictifs numériques pourraient explorer l'importance des conditions aux limites, l’évolution des propriétés de la pierre avec la température, et de la déformation thermique transitoire dans la prédiction du comportement thermomécanique des murs. Cette étude constitue une base solide pour l'amélioration des modèles numériques et la prévision du comportement des structures en pierre calcaire en situation d'incendie.
Enfin, la réparation et la consolidation des maçonneries en pierre après incendie doivent être envisagées en respectant l’éthique et la valeur patrimoniale du bâti.
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Le projet POSTFIRE traite de la vulnérabilité et de la résilience des systèmes urbains, avec pour objectif principal de faciliter la réparation des bâtiments du patrimoine culturel après incendie. Le projet étudiera le comportement de la maçonnerie en pierre après une exposition à haute température à l'échelle du matériau puis de la structure, en tenant compte du refroidissement sous eau. Le projet établira une base de données de propriétés résiduelles post-incendie pour les matériaux sélectionnés, ainsi que des modèles à l’échelle du matériau d’applicabilité immédiate à des approches analytiques et numérique d'évaluation et de calcul des performances structurelles. La fiabilité des modèles sera testée à l’échelle structurelle. Enfin, le projet proposera des lignes directrices pour l’évaluation post-incendie des bâtiments du patrimoine français dans l’objectif d’une diffusion auprès des universitaires, restaurateurs et des comités de normalisation nationaux et internationaux.
Coordination du projet
Albert NOUMOWÉ (LABORATOIRE DE MECANIQUE ET MATERIAUX DU GENIE CIVIL - EA 4114)
L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.
Partenariat
L2MGC LABORATOIRE DE MECANIQUE ET MATERIAUX DU GENIE CIVIL - EA 4114
CSTB CTRE SCIENTIFIQ ET TECHNIQ DU BÂT
CRC Centre de Recherche sur la Conservation
CTMNC CTRE TECH MATERIAUX NATUREL CONSTR
LaMé Laboratoire de Mécanique Gabriel Lamé
ROCAMAT
Aide de l'ANR 505 985 euros
Début et durée du projet scientifique :
- 48 Mois