CE02 - Terre vivante

Les HYPERthermophiles et leur mécanisme de BIOMINeralisation – HYPERBIOMIN

Les Hyperthermophiles et leur mécanisme de biominéralisation

Les interactions entre hyperthermophiles et minéraux se produisent constamment dans les cheminées hydrothermales actives principalement composées de pyrite FeS2. Alors que sa formation, à haute température (> 200°C) dans la cheminée est bien connue, un stock important de FeS2 est formé par un mécanisme inconnu à basse température (< 150°C) qui implique probablement le vivant. J’ai alors suggéré que les Thermococcales peuvent contribuer à la formation de pyrite dans leur écosystème.

Un focus sur le mécanismes de biominéralisation chez les Thermococcales.

L’objectif du projet HYPERBIOMIN est d’explorer les mécanismes sous-jacents par lesquels les archées hyperthermophiles contribuent à la minéralogie et à la biogéochimie des cheminées hydrothermales riches en sulfures. De nombreux micro-organismes ont été isolés à partir de cheminées hydrothermales, y compris des archées capables de vivre bien au-dessus de 100°C. Cette biosphère hyperthermophile (c’est-à-dire >80 °C) contribue-t-elle de manière significative à la formation des minéraux qui forment la cheminée et à la biogéochimie du système hydrothermal?<br />J’ai mis en évidence que les Thermococcales appartenant au domaine des archées et principaux habitants des systèmes hydrothermaux, influencent directement la formation de pyrite FeS2, de greigite Fe3S4 et de phosphates de fer. Afin de fournir une évaluation significative de la contribution des Thermococcales et plus généralement de la biosphère hyperthermophile aux cycles et régulations biogéochimiques, il est maintenant temps de comprendre et d'étudier le mécanisme de biominéralisation à haute température précédemment identifié. <br />Plusieurs questions seront soulevées telles que : quelles sont les relations entre les disulfures de fer FeS2 (pyrite et marcassite) formés dans les parties externes des cheminées et les microorganismes hyperthermophiles ? Par quels mécanismes et par rapport à quels processus cellulaires, les biominéraux sont-ils générés par les archées hyperthermophiles ? Comment la formation minérale affecte-t-elle la survie et l’adaptation des archées hyperthermophiles? <br />L’objectif principal du projet HYPERBIOMIN est d’aborder ces questions selon trois axes : 1) déterminer les conditions physiologiques et physico-chimiques de l’environnement fluctuant qui influence et contrôle les taux de biominéraux produits par les Thermococcales, <br />2) explorer le mécanisme de biominéralisation, en utilisant la souche modèle Thermococcus kodakarensis, <br />3) identifier les stratégies adaptatives employées par les hyperthermophiles pour faire face à leur environnement à haute température et très riche en métaux.

Une combinaison d’approches expérimentales multidisciplinaires permettra d’étudier la biologie, la minéralogie, la biogéochimie des Thermococcales. La combinaison de la microbiologie, la géochimie, la minéralogie, la biologie moléculaire et les technologies génétiques visent à être poussées à un niveau très élevé assure la nouveauté et l’originalité du projet.
La culture des microorganismes hyperthermophiles et les expériences de biominéralisation sont réalisées en routine au laboratoire. Des analyses transcriptomiques sont actuellement en cours pour identifier les gènes potentiels impliqués dans le processus de biominéralisation. Des techniques biochimiques (telles que des dosages chimiques, des dosages ATPmétrie...) sont également couramment utilisées. Par exemple, l’activité cellulaire sera surveillée par des tests ATPmetry que j’ai développé pour les hyperthermophiles au laboratoire. Les phases minérales produites et les interactions cellule/minéral sont étudiées à l’aide d’un large éventail de méthodes telles que la diffraction des rayons X (DRX), la microscopie électronique à transmission, à balayage et la cryo microscopie électronique (TEM, SEM, Cryo-EM), la spectroscopie à rayons X à dispersion d’énergie (EDXS) et la microscopie électronique en transmission à balayage couplé à des analyses chimiques (STEM-EDX, STEM-EELS).

Depuis le démarrage du projet, deux articles ont été publiés. Le premier papier publié en 01/22 entre dans l’axe 1 du projet. Il démontre l’impact du métabolisme employé par les Thermococcales sur la nature des minéraux de sulfures de fer produits. Ainsi, il est nécessaire que les Thermococcales utilisent le soufre et donc métabolisent le S(0) pour produire des pyrites. Les vésicules de soufre (initialement utilisées comme un moyen de détoxification du soufre intracellulaire) sont indispensables pour la formation de pyrites car présentent le soufre réactif à la surface des cellules. Lorsque les cellules poussent dans un milieu avec de la L-cystine (un autre composé soufré, état S-1), elles ne produisent pas de pyrite. Cependant dans les deux conditions, les Thermococcales sont capables de produire des greigites lors du processus de biominéralisation. Il a été suggéré que la production de greigite provient de la sulfuration des phosphates de Fer (III) amorphes, près de la surface des cellules.
Un autre élément important est la reprise de croissance cellulaire à partir d’un certain temps de minéralisation en condition S(0). Il eJ’ai suggéré que la précipitation des sulfures de fer (à partir des phosphates de fer) pouvaient libérer les phosphates (source importante pour l’ATP) et d’autres nutriments qui peuvent être utilisées par une partie de la population cellulaire (non lysée et non minéralisée) permettant ainsi un retour de la croissance cellulaire. Il est important, maintenant, d’étudier cette fraction cellulaire capable de résister à ces fortes concentrations en fer.
Le deuxième papier publié entre dans l’axe 2. Il s’agit d’une review expliquant le rôle des vésicules chez les archées (09/21). Les vésicules de soufre (produites par les Thermococcales en condition S(0)) semblent avoir un rôle majeur car permettent la minéralisation de la pyrite. Afin de comprendre d’avantage le rôle de ces vésicules dans la production de minéraux, il est nécessaire de minéraliser des vésicules purifiées.
Enfin un troisième papier vient d'être récemment soumis. Il montre que les sphérules de pyrite, produites en quelques jours par les Thermococcales consistent en un assemblage de nanocristaux ultra-petits, de quelques nanomètres à quelques dizaines de nanomètres. La production de ces sphérules de pyrite implique un basculement redox du soufre de S0 à S-2 puis à S-1, impliquant une comproportion des états d’oxydation -II et 0 du soufre. De plus, des composés organiques sont détectés en petites quantités dans les sphérules. Toutes ces caractéristiques combinées font de ces sphérules de pyrite des candidats potentiels de biosignatures que l'on peut retrouver dans les environnements extrêmes.

Afin de comprendre d’avantage le rôle des vésicules dans la formation et/ou la nucléation des minéraux, il est nécessaire de minéraliser des vésicules purifiées. En parallèle, des expériences de minéralisation avec des souches mutantes déficientes dans la production de vésicules (certaines sont déjà disponibles au laboratoire) seront réalisées afin de tester si ces mutations affectent les étapes de biominéralisation et/ou affectent la formation des minéraux de fer.
Des analyses transcriptomiques sont actuellement en cours afin d'identifier des gènes potentiels impliqués dans les phénomènes de biominéralisation.

C. Truong, S. Bernard, A. Gorlas, P. Le Pape, G. Morin, C. Baya, P. Merrot, P. Lefebvre and F. Guyot. Production of pyrite spherules by hyperthermophilic Thermococcales. (Submitted, Frontiers in Microbiology)

Gorlas A, Morey L, Mariotte T, Truong C, Bernard S, Guigner JM, Oberto J, Baudin F, Landrot G, Baya C, Le Pape P, Morin G, Forterre F and Guyot F (2022) Precipitation of greigite and pyrite by Thermococcales: adaptation to Fe- and S-rich environments? Environmental Microbiology 24: 626–642. doi: 10.1111/1462-2920.15915

Liu J, Soler N, Gorlas A, Krupovic V, Krupovic M, Forterre P (2021) Extracellular membrane vesicles and nanotubes in Archaea. Microlife 2: uqab007. doi: 10.1093/femsml/uqab007

Les sources hydrothermales océaniques profondes sont souvent des systèmes anaérobies riches en fer et en soufre. Alors que la pyrite FeS2 se forme abiotiquement à l’intérieur des cheminées à des températures élevées (> 250°C), un important stock de FeS2 (pyrite et marcasite) est également produit dans les parties plus froides des cheminées à des températures plus basses (< 150°C) par un mécanisme encore inconnu. Il a été montré en laboratoire que les Thermococcales, organismes prédominants des parties chaudes des sources hydrothermales, produisent rapidement d’abondantes quantités de pyrite (FeS2) dans les cellules et les vésicules, alors que de la greigite (Fe3S4) se forme sur les substances polymères extracellulaires (EPS), ce qui suggère qu’elles pourraient contribuer à la formation importante géochimiquement de FeS2 à « basse température ». Afin de fournir une évaluation de la contribution des Thermococcales et plus généralement de la biosphère hyperthermophile (T>80°C) aux cycles biogéochimiques, il est maintenant temps de progresser dans la compréhension du mécanisme de biominéralisation à haute température précédemment identifié. Thermococcus kodakarensis sera l’organisme de choix pour le projet HYPERBIOMIN, puisque de nombreux résultats intéressants ont déjà été obtenus pour cette souche et dans notre laboratoire ; les outils génétiques pour cette archée hyperthermophile sont bien établis. Le projet HYPERBIOMIN répond à trois questions principales :
(1) Quelles sont les conditions physiologiques des cellules et les paramètres physico-chimiques du milieu de vie qui influencent et contrôlent les minéraux produits par T. kodakarensis?
(2) Quelles sont les entités biologiques et les gènes impliqués dans les mécanismes de minéralisation par T. kodakarensis ?
(3) Quelles sont les stratégies adaptatives développées par les hyperthermophiles pour influencer et faire face à leurs environnements à haute température hautement minéralisés?
Pour répondre à ces questions, le projet suivra trois approches complémentaires :
(1) La première approche consiste à déterminer et à analyser quantitativement les minéraux produits dans différentes conditions physico-chimiques imitant l’environnement fluctuant des cheminées hydrothermales. Jusqu’à présent, j’ai limité les études de biominéralisation aux paramètres de croissance optimaux des Thermococcales. En collaboration avec un étudiant en thèse et un master, nous allons déterminer les impacts de la température et du pH, mais aussi des changements métaboliques des Thermococcales (production H2S vs production H2) induits par les conditions environnementales sur la composition, la structure et les propriétés des minéraux formés.
(2) La deuxième approche porte sur l’exploration des mécanismes moléculaires de biominéralisation par T. kodakarensis. À ce jour, aucune information n’est disponible sur les relations entre la production de minéraux et des gènes putatifs impliqués. Nous allons détecter et identifier les principaux partenaires moléculaires impliqués dans le mécanisme de biominéralisation de T. kodakarensis. Nous nous concentrerons d’abord sur les gènes codant pour les ferritines et les transporteurs de fer en raison de leur importance potentielle dans le processus de biominéralisation du fer. J’explorerai ensuite les gènes impliqués dans la synthèse et l’expression des vésicules qui ont été reportés comme impliquées dans la formation de pyrite par Thermococcales.
(3) Dans une troisième approche, j’étudierai l’importance de ces processus de biominéralisation pour les mécanismes d’adaptation des Thermococcales et des archées méthanogènes de l’écosystème hydrothermal. Des expériences impliquant à la fois T. kodakarensis et Methanocaldococcus jannaschii seront menées pour déchiffrer dans cet écosystème simplifié les réponses adaptatives face à l’environnement hydrothermal extrême, en présence ou absence de minéraux dont le rôle potentiel dans l’adaptation sera étudié.

Coordination du projet

Aurore Gorlas (Institut de Biologie Intégrative de la Cellule)

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

I2BC Institut de Biologie Intégrative de la Cellule

Aide de l'ANR 255 540 euros
Début et durée du projet scientifique : décembre 2020 - 48 Mois

Liens utiles

Explorez notre base de projets financés

 

 

L’ANR met à disposition ses jeux de données sur les projets, cliquez ici pour en savoir plus.

Inscrivez-vous à notre newsletter
pour recevoir nos actualités
S'inscrire à notre newsletter