CE41 - Inégalités, discriminations, migrations

Fabriquer les inégalités ou construire le lien social ? L’économie cérémonielle en Asie centrale socialiste et postsocialiste (années 1960- années 2020) – CEREMONIAC

Fabriquer les inégalités ou construire le lien social ? L’économie cérémonielle en Asie centrale socialiste et postsocialiste (années 1960- années 2020)

Le projet Ceremoniac a pour objectifs d’analyser et comprendre les rationalités qui président à l’inflation des dépenses cérémonielles dans les sociétés d’Asie centrale depuis la fin de la période soviétique à aujourd’hui. Il a pour finalité le questionnement de la production ou du renforcement des inégalités, engendré par ces pratiques alors qu’elles demeurent de puissants vecteurs de cohésion sociale.

Ethnographier, quantifier et questionner la régulation de l'économie cérémonielle

Les dépenses consacrées aux cérémonies du cycle de vie et à la sociabilité festive ont progressé chez les populations d’Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Tadjikistan) jusqu’à devenir ostentatoires entre la fin des années 1960 et aujourd’hui. Leur caractère disproportionné a conduit les Etats à légiférer pour limiter leurs effets sur le développement économique et le budget des familles. <br />Ce projet a l’ambition de saisir ce phénomène dans une double dimension. Il entend aborder l’économie cérémonielle et son caractère inflationniste comme moteur des reconfigurations du lien social dans les sociétés d’Asie centrale en tant qu’il construit les cohésions de groupe. Mais aussi, il cherche à analyser comment la surenchère et l’injonction sociale à la dépense contribuent à fabriquer de la différentiation sociale et in fine à affirmer des hiérarchies et des solidarités, qui renforcent les inégalités statutaires autant qu’économiques et politiques. <br />Le passage d’un système de consommation soviétique déficitaire et discrétionnaire à l’économie de marché néolibérale et au consumérisme constituera un paramètre essentiel pour analyser ces transformations. <br />Cette recherche doit contribuer à mettre au jour les rationalités de cette économie cérémonielle afin de la comparer aux formes inflationnistes qu’elle prend dans de nombreuses sociétés du monde, telle qu’au Sénégal, en Chine, au Vietnam, etc. Elle pourra apporter des éléments d’expertise aux institutions et aux acteurs de la société civile aux prises avec cette question.<br /><br />Cette recherche s’organise en trois axes. (1) Nous proposons une anthropologie historique et contemporaine des cérémonies qui cherche à reconstruire la progression des dépenses rituelles et des moyens qu’elle mobilise depuis les années 1960 et à ethnographier les liens sociaux à l’œuvre dans cette économie. (2) Nous conduisons une enquête socioéconomique, quantitative et qualitative, sur le budget des cérémonies à l’échelle des ménages et de l’ensemble de leurs réseaux. Elle est corrélée à une étude portant sur développement du marché des prestations de service, des biens de consommation et du crédit bancaire orientée vers l’économie cérémonielle. Elle doit notamment permettre une analyse des formes et modalités de l’endettement. (3) Enfin, nous étudions les politiques publiques de régulation de ces pratiques et de l’usage politique et clientéliste des cérémonies. Cet aspect s’articule à une recherche sur les acteurs religieux musulmans et leur implication dans le débat public sur l’éthique de ces dépenses cérémonielles, comme dans le marché des prestations.

Pour explorer ces questions dans leur complexité, ce projet réunit une équipe pluridisciplinaire de chercheurs historiens, économistes et sociéconomistes, anthropologues, sociologue et géographe. Jusqu’à présent, les recherches- exclusivement anthropologiques- portant sur les dépenses cérémonielles se sont proposées d’analyser le phénomène sur des périodes courtes, et de façon très localisée, quitte parfois à l’isoler des évolutions plus larges qui affectent la société centrasiatique. L’analyse diachronique et pluridisciplinaire permet au contraire de saisir un phénomène dans le temps, dans les liens étroits qu’il entretient avec d’autres domaines de la pratique sociale : le système économique soviétique collectiviste puis l’économie de marché, l’encadrement institutionnel des pratiques rituelles, la reconfiguration des rapports politiques locaux, les transformations du champ religieux islamique en cours de transnationalisation, l’évolution des pratiques de consommation, etc. Dans cette perspective, ce projet, qui s’appuie sur différents types d’enquêtes : de l’observation participante sur des terrains ruraux et urbains d’Ouzbékistan, du Kazakhstan, du Kirghizstan et du Tadjikistan ; des enquêtes d’histoire orale et des recherches en archives ; des enquêtes par entretiens semi-directifs auprès des acteurs institutionnels du crédit formel autant qu’informel, ainsi qu’auprès des petits et moyens entrepreneurs de l'économie cérémonielle et religieuse.
Enfin, afin d'estimer la part allouée dans les budgets des ménages aux dépenses cérémonielles, nous mènerons une enquête statistique reposant sur une approche réseau à partir d'un échantillon de 500 ménages. L'objectif est d'étudier le poids à court et moyen terme des revenus affectés notamment au cycle du mariage et d'en déterminer les origines, ainsi que les situations et formes d'endettement.

En raison de la pandémie de covid, les investigations de terrain et la collecte des données empiriques et archivistiques ont été ajournées à l’exception des quelques enquêtes menées par le partenaire ouzbek. Ces enquêtes, ainsi que la veille en ligne de la presse, ont abouti dans un premier temps à l'hypothèse que l'expérience de pandémie allait non seulement conduire à davantage de modestie dans les rassemblements et les dépenses cérémonielles mais allait servir de prétexte pour les couches les moins aisées de la société pour se libérer de la pression sociale à inviter généreusement. Or, cette hypothèse s'est avérée inopérante. Dès l'étau desserré, les cérémonies ont repris un cours quasi-normal tout en étant des lieux de contamination privilégiés du covid 19. Les commensalités quotidiennes ont par ailleurs retrouvé leur rythme habituel. La contrainte liée à la pandémie met ainsi en évidence la primauté de l'injonction cérémonielle sur les risques vitaux encourus lors des regroupements. Cette situation interroge à nouveaux frais le statut des aînés, les plus vulnérables mais aussi les plus sensibles aux engagements sociaux qui fondent leur honneur.
D'autre part nous avons conduit un séminaire à l’EHESS (https://enseignements.ehess.fr/2020-2021/ue/698), qui a porté sur l'état de l'art, sur l'étude comparative de cas avec le Mexique, l'Amérique du nord et la France, ainsi que sur des points de théorie et de méthode.
Sur la base des acquis (données recueillies en 2019 et avant) et des réflexions conduites collectivement, les membres du projet ont publié des articles parus ou à paraître et sont intervenus à l’occasion de conférences internationales, de workshops et de séminaires.

Nous allons conduire les enquêtes de terrain ajournées à cause de la pandémie.
Les questions soulevées par la pandémie sur l'inconditionnalité des prodigalités rituelles seront intégrées aux futures enquêtes du projet Ceremoniac.

Parmi les publications, notons 1- Cleuziou, Juliette et Dufy, Caroline, “Marriages, divorces and mutual indebtedness: perspectives from Tajikistan”, Journal of Extreme anthropology, accepté, à paraître et 2-Mory, Guéorgui, « ‘The security of mutual indebtedness?’: life-cycle rituals, gifts and bonds without debt in two Kyrgyz villages », Journal of Extreme anthropology, accepté, à paraître.

Les dépenses consacrées aux cérémonies du cycle de vie et à la sociabilité festive ont progressé chez les populations d’Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Tadjikistan) jusqu’à devenir ostentatoires entre la fin des années 1960 et aujourd’hui. Leur caractère disproportionné a conduit les Etats à légiférer pour limiter leurs effets sur le développement économique et le budget des familles.
Ce projet a l’ambition de saisir ce phénomène dans une double dimension. Il entend aborder l’économie cérémonielle et son caractère inflationniste comme moteur des reconfigurations du lien social dans les sociétés d’Asie centrale en tant qu’il construit les cohésions de groupe. Mais aussi, il cherche à analyser comment la surenchère et l’injonction sociale à la dépense contribuent à fabriquer de la différentiation sociale et in fine à affirmer des hiérarchies et des solidarités, qui renforcent les inégalités statutaires autant qu’économiques et politiques.
Le passage d’un système de consommation soviétique déficitaire et discrétionnaire à l’économie de marché néolibérale et au consumérisme constituera un paramètre essentiel pour analyser ces transformations.
Pour explorer ces questions dans leur complexité, ce projet réunira une équipe pluridisciplinaire de chercheurs historiens, économistes et sociéconomistes, anthropologues, sociologue et géographe. Jusqu’à présent, les recherches- exclusivement anthropologiques- portant sur les dépenses cérémonielles se sont proposées d’analyser le phénomène sur des périodes courtes, et de façon très localisée, quitte parfois à l’isoler des évolutions plus larges qui affectent la société centrasiatique. L’analyse diachronique et pluridisciplinaire permettra au contraire de saisir un phénomène dans le temps, dans les liens étroits qu’il entretient avec d’autres domaines de la pratique sociale : le système économique soviétique collectiviste puis l’économie de marché, l’encadrement institutionnel des pratiques rituelles, la reconfiguration des rapports politiques locaux, les transformations du champ religieux islamique en cours de transnationalisation, l’évolution des pratiques de consommation, etc. Dans cette perspective, ce projet, qui s’appuiera sur des enquêtes de terrain dans des milieux ruraux et urbains d’Ouzbékistan, y compris d’histoire orale, du Kazakhstan, du Kirghizstan et du Tadjikistan, s’organisera en trois axes. (1) Nous proposerons une anthropologie historique et contemporaine des cérémonies qui cherchera à reconstruire la progression des dépenses rituelles et des moyens qu’elle mobilise depuis les années 1960 et à ethnographier les liens sociaux à l’œuvre dans cette économie. (2) Nous conduirons une enquête socioéconomique, quantitative et qualitative, sur le budget des cérémonies à l’échelle des ménages et de l’ensemble de leurs réseaux. Elle sera corrélée à une étude portant sur développement du marché des prestations de service, des biens de consommation et du crédit bancaire orientée vers l’économie cérémonielle. Elle devra notamment permettre une analyse des formes et modalités de l’endettement. (3) Enfin, nous engagerons une étude des politiques publiques de régulation de ces pratiques et de l’usage politique et clientéliste des cérémonies. Cet aspect s’articulera à une recherche sur les acteurs religieux musulmans et leur implication dans le débat public sur l’éthique de ces dépenses cérémonielles, comme dans le marché des prestations.
Cette recherche doit contribuer à mettre au jour les rationalités de cette économie cérémonielle afin de la comparer aux formes inflationnistes qu’elle prend dans de nombreuses sociétés du monde, telle qu’au Sénégal, en Chine, au Vietnam, etc. Elle pourra apporter des éléments d’expertise aux institutions et aux acteurs de la société civile aux prises avec cette question.

Coordinateur du projet

Madame Isabelle Ohayon (Centre d'Etudes des Mondes Russe, Caucasien et Centre-Européen)

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

HSE National Research University Higher School of Economics / Laboratory for Studies in Economic sociology
IIEAN Académie des Sciences d'Ouzbékistan / Institut d'histoire et d'ethnologie
CED Centre Emile Durkheim
CERCEC Centre d'Etudes des Mondes Russe, Caucasien et Centre-Européen

Aide de l'ANR 420 136 euros
Début et durée du projet scientifique : novembre 2019 - 48 Mois

Liens utiles

Explorez notre base de projets financés

 

 

L’ANR met à disposition ses jeux de données sur les projets, cliquez ici pour en savoir plus.

Inscrivez-vous à notre newsletter
pour recevoir nos actualités
S'inscrire à notre newsletter