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CE02 - Terre vivante

Etude multi-échelle des avantages adaptatifs conférés par la capacité de modulation chromatique du contenu pigmentaire chez les cyanobactéries marines – EFFICACY

Avantage adaptatif de l'acclimatation chromatique chez les cyanobactéries marines: une étude multi-échelle

Le changement global influence les propriétés des océans et notamment la couleur de l'eau, un paramètre utilisé par les modélisateurs pour évaluer la biomasse globale de la chlorophylle. Pour les cellules du phytoplancton, les changements de couleur de l'océan sont perçus comme une modification de leur niche lumineuse et entraînent des changements dans la composition de la communauté. Le projet EFFICACY aborde la question de l'aptitude du phytoplancton à s'adapter à ces changements.

Comprendre et modéliser les effets des variations de la couleur de l'eau sur le phytoplancton marin

Pour aborder la question de l'aptitude respective des espèces phytoplanctoniques à s'adapter dans un océan aux propriétés spectrales altérées par le changement climatique, nous étudions la cyanobactérie Synechococcus, le second organisme phytoplanctonique le plus abondant de l'océan et le plus diversifié en termes de pigmentation avec sept types pigmentaires distincts identifiés à ce jour. Parmi ceux-ci, les acclimateurs chromatiques (CA4), c-à-d les cellules capables de modifier leur teneur en pigment pour correspondre à la couleur dominante de la lumière (bleu ou vert), sont les plus abondants, avec des densités à peu près égales de deux types génétiquement différents, CA4-A et CA4-B, qui présentent des niches écologiques complémentaires dans le milieu naturel. Dans le cadre d'EFFICACY, nous étudions l'importance écologique du processus CA4 et l'avantage évolutif qu'il confère, en utilisant une approche multi-échelle: i) nous caractérisons la fonction des gènes clés impliqués dans la CA4-B afin de dévoiler les différences moléculaires entre CA4-B et le processus mieux caractérisé CA4-A, ii) nous déterminons quel type pigmentaire est le mieux adapté en lumière bleue ou verte et à différentes intensités lumineuses, iii) nous étudions les variations saisonnières des proportions relatives des différents types pigmentaires de Synechococcus par une approche métagénomique à deux sites océanographiquement contrastés, les stations à long terme BOUSSOLE (en Mer Méditerranée) et ASTAN (en Manche), et iv) une fois acquises, les données dérivées de ces différentes tâches et de travaux antérieurs seront ensuite intégrées dans un puissant modèle océanique mondial (Darwin; https://darwinproject.mit.edu/) qui simulera la distribution mondiale actuelle des types pigmentaires Synechococcus et ses changements saisonniers et prédira l'effet du changement global sur cette structure de population au cours des décennies à venir, dans un contexte de changement global.

Dans le cadre d'EFFICACY, nous étudions les types pigmentaires de Synechococcus à quatre niveaux organisationnels : gène, cellule, population et océan global.
1. Au niveau gène, notre stratégie consiste à inactiver dans la souche modèle A15-62 les gènes potentiellement impliqués dans le processus CA4-B (phycobiline lyases mpeW et mpeQ, régulateurs fciA et fciB et un gène de fonction inconnue présent dans l'îlot génomique CA4-B). Puis, nous caractérisons le phénotype pigmentaire des mutants par rapport à la souche sauvage en utilisant diverses techniques biophysiques et biochimiques.
2. Au niveau cellulaire, nous essayons de comprendre i) pourquoi CA4-A et -B occupent des niches différentes dans le milieu marin malgré un même phénotype pigmentaire, et ii) l'avantage évolutif conféré par leur capacité à changer de couleur par rapport à des souches à pigmentation fixe. Pour cela, nous réalisons i) des études comparatives sur des mono-cultures de CA4-A et -B et ii) des co-cultures de CA4 et de souches à pigmentation fixe (spécialistes de la lumière bleue ou verte).
3. Au niveau population, nous étudions les variations saisonnières de la distribution des types pigmentaires à 2 stations à long terme, ASTAN en Manche et BOUSSOLE en Méditerranée. À chaque station, nous prélevons des échantillons d'eau de mer pour les métagénomes, d'où nous extrairons les gènes des pigments marqueurs, et collectons de nombreuses métadonnées associées, dont un profil du spectre lumineux sous-marin pour des analyses de corrélation.
4. Au niveau global de l'océan, nous modéliserons la répartition des types pigmentaires de Synechococcus partout dans l'océan et simulerons les variations saisonnières et celles dues au changement global au cours des prochaines décennies. Pour cela, les données acquises dans les autres tâches ainsi que les données précédemment publiées seront utilisées pour alimenter un modèle puissant simulant la biogéochimie de l'océan (Darwin; darwinproject.mit.edu/).

Les travaux réalisés dans le cadre d'EFFICACY nous ont déjà permis d'obtenir plusieurs résultats importants:
1. Nous avons déterminé la fonction de deux enzymes, MpeW et MpeQ essentielles pour le processus CA4-B. En effet, ces enzymes sont en compétition, MpeW fixant un pigment capturant le vert à un site particulier de la principale protéine de l'antenne photosynthétique en lumière verte, tandis que MpeQ fixe un pigment capturant le bleu à cette même position en lumière bleue (Grébert et al. 2021a, PNAS). Cette étude nous a également permis de comprendre pourquoi deux types de CA4 sont apparus au cours de l'évolution : l'acquisition d'un ilot génomique CA4-A semble avoir permis à des souches spécialistes du vert de devenir des acclimatateurs chromatiques, tandis que des spécialistes du bleu ont acquis cette capacité en intégrant un ilot CA4-B.
2. Une autre enzyme de la même famille que mpeW/Q, MpeV, a également été caractérisée: elle fixe un pigment bleu par double liaison covalente à un autre site de la même protéine, mais n’intervient pas dans la CA4 (Carrigee et al., 2021; J. Biol. Chem.).
3. Par ailleurs, nous avons étudié les mécanismes d’évolution des types pigmentaires de Synechococcus et montré que la complexification progressive de la pigmentation observée chez ce genre, depuis celle des spécialistes du vert jusqu'au acclimatateurs chromatiques, s'est accompagnée d'une complexification parallèle de la région génomique rassemblant les principaux gènes impliqués dans la biosynthèse des antennes photosynthétiques. Ce travail en cours d'évaluation est disponible en pré-article sur BioRxiv (Grébert et al. 2021b).
4. Nous avons collaboré avec le Prof. Jef Huisman (VU University Amsterdam) à l’élaboration d’un modèle prédisant les niches spectrales sous-marines en fonction de la charge en particules des eaux. Il met en évidence l’influence des vibrations des molécules d’eau sur le spectre de la lumière sous-marine (Holtrop et al. 2021, Nature Ecol. Evol.).

Si les progrès sur les tâches planifiées dans le cadre d'EFFICACY ont été retardées par la pandémie de covid-19, nous avons déjà obtenu des résultats prometteurs détaillés ci-dessus. Les paragraphes qui suivent dressent un état de lieu de l'avancement de nos travaux.
1. Pour ce qui est de la compréhension des bases moléculaires du processus d'acclimatation chromatique de type CA4-B, l'obtention de mutants des autres gènes impliqués dans le processus CA4-B (fciA, fciB et unk10) par une approche CRISPR est en cours et la caractérisation de ces mutants va être réalisée dans les mois qui viennent.
2. Les comparaisons de la croissance et l'activité photosynthétique de souches CA4-A et B dans différentes conditions de lumière est également en cours et devrait nous apporter des éléments pour comprendre la distribution différentielle de ces deux types pigmentaires dans le milieu naturel. Les résultats de ces expériences ainsi que de co-cultures seront ensuite simulés avec un modèle de compétition, en collaboration avec nos collègues de l'université d'Amsterdam.
3. Pour ce qui est des séries temporelles, nous avons déjà un cycle annuel complet de prélèvement d'eau de mer et métadonnées associés aux deux stations à long terme ASTAN et BOUSSOLE. Lorsque nous aurons collecté suffisamment d'échantillons, l'analyse des métagénomes nous permettra d'étudier les variations saisonnières de l'abondance relative des types pigmentaires et leur lien avec les variations des paramètres environnementaux.
4. Enfin, l'ensemble de ces données nous permettra de nourrir un modèle de distribution globale des types pigmentaires de Synechococcus qui nous permettra simuler leurs variations saisonnières dans l'ensemble de l'océan et prédire les variations à plus long terme dans un contexte de changement global.

1. Carrigee L.A., Frick J.P., Karty J.A., Garczarek L., Partensky F. & Schluchter W.M. 2021. MpeV is the lyase isomerase for the doubly-linked phycourobilin on the ß-subunit of phycoerythrin I & II in marine Synechococcus. Journal of Biological Chemistry 296: 100031. DOI: 10.1074/jbc.RA120.015289
2. Grébert T., Nguyen A.A., Pokhrel S., Joseph K.L., Chen B., Ratin M., Dufour L., Haney A.M., Trinidad J., Karty J.A., Garczarek L., Schluchter W.M., Kehoe D.M. & Partensky F. 2021. Molecular basis of an alternative dual-enzyme system for light color acclimation of marine Synechococcus cyanobacteria. Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA. 118 (9) e2019715118. DOI: 10.1073/pnas.2019715118
3. Grébert T., Garczarek L., Daubin V., Humily F., Marie D., Ratin M., Devailly A., Farrant G.K., Mary I., Mella-Flores D., Tanguy G., Labadie K., Wincker P., Kehoe D.M. & Partensky F. 2021. Diversity and evolution of pigment types and the phycobilisome rod gene region of marine Synechococcus cyanobacteria. BioRxiv DOI: 10.1101/2021.06.21.449213.
4. Hess, W.R., Garczarek, L. & Partensky, F. 2021. Chapter 3: Marine Cyanobacteria. In: “The marine microbiome”, 2nd Edition, L.J. Stal and M.S. Cretoiu (eds.), Springer International Publishing, Switzerland, sous presse.
5.Holtrop T., Huisman J., Stomp M., Biersteker L., Aerts J., Grébert T., Partensky F., Garczarek L & van der Woerd H.J. 2021.Vibrational modes of water predict spectral niches for photosynthesis in lakes and oceans. Nature Ecology and Evolution 5: 55-66. DOI: 10.1038/s41559-020-01330-x.

Les changements globaux en cours devraient avoir de nombreuses conséquences sur les propriétés physico-chimiques des océans, et notamment sur la «couleur de l’eau», un signal utilisé par les modélisateurs pour évaluer la biomasse de la chlorophylle à l'échelle mondiale. Pour les cellules de phytoplancton, les changements de couleur de l'eau sont perçus comme une modification de leur niche lumineuse induisant une compétition entre espèces, pouvant conduire à des changements drastiques de la composition des communautés. Pour aborder la question de l'aptitude respective des espèces du phytoplancton à survivre dans des environnements aux propriétés spectrales altérées, nous nous concentrerons sur la picocyanobactérie Synechococcus, le deuxième organisme phytoplanctonique le plus abondant de l'océan et le plus diversifié en ce qui concerne sa pigmentation, avec au moins sept types pigmentaires présentant des signatures génétiques distinctes, ce qui permet de les différencier sur la base de trois gènes marqueurs. Nous avons récemment montré que les acclimateurs chromatiques (CA4), c’est-à-dire les cellules capables de modifier leur teneur en pigment de manière à capturer la couleur dominante du milieu (bleue ou verte), constituaient le type pigmentaire le plus abondant de l’océan, avec des abondances relatives similaires de deux types génétiquement différents, CA4-A et CA4-B, qui présentent des niches écologiques très complémentaires dans le milieu. Au cours du projet ANR EFFICACY, nous étudierons l’importance écologique et l’avantage adaptatif conférés par le processus CA4 en utilisant une approche multi-échelle. Nous allons : i) caractériser la fonction des gènes clés de l’îlot génomique CA4-B afin de révéler les différences moléculaires entre CA4-B et le processus bien caractérisé CA4-A afin de mieux comprendre en quoi et pourquoi la sélection naturelle a favorisé ces deux processus d'acclimatation chromatique; ii) faire des expériences de compétition entre des souches CA4 et d’autres souches de Synechococcus à pigmentation fixe afin de déterminer lesquelles sont les mieux adaptées à la lumière bleue ou verte et à différents intensités lumineuses afin de faciliter l'interprétation des variations spatiales et temporelles de ces types pigmentaires; iii) étudier les variations saisonnières de l’abondance relative des différents types pigmentaires de Synechococcus à deux sites océanographiquement distincts, les stations d’observation à long terme BOUSSOLE (Méditerranée) et ASTAN (Manche), en utilisant une approche métagénomique, et iv) intégrer les données dérivées des deux dernières tâches et de travaux antérieurs de l’équipe d’accueil dans un puissant modèle de l’océan mondial (Darwin) qui simulera la répartition spatiale et temporelle globale actuelle des types pigmentaires de Synechococcus et prédira l’effet du changement global sur la structure des communautés au cours des décennies à venir. En utilisant des technologies de pointe et un modèle océanique puissant afin d’étudier la diversité pigmentaire d'un microorganisme écologiquement important à toutes les échelles d'organisation, des gènes à l'océan mondial, incluant les variations saisonnières, cet ambitieux projet interdisciplinaire devrait apporter des connaissances sans précédent dans le domaine de la microbiologie environnementale et ouvrir la voie à une prévision plus précise de l'évolution des communautés phytoplanctonique dans son ensemble, dans le contexte du changement global.

Coordination du projet

Frédéric Partensky (Adaptation et diversité en milieu marin)

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenariat

AD2M Adaptation et diversité en milieu marin
LOV Laboratoire d'océanographie de Villefranche
MIT Massachusetts Institute of Technology / Dept. of Earth, Atmospheric and Planetary Sciences
NOC National Oceanography Centre / Department of Ocean and Earth Science
IU Indiana University / Department of Biology
UNO University of New Orleans / Department of Biological Sciences

Aide de l'ANR 502 987 euros
Début et durée du projet scientifique : décembre 2019 - 48 Mois

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