Aspects moléculaires et cellulaires du cycle de vie des virus multipartites: les nanovirus – Nanovirus
Caractérisation du « mode de vie » atypique des virus multipartites
Maintien de l’intégrité d’un génome fragmenté où différentes parties de l’information génétique sont physiquement séparées
Maintien de l’intégrité d’un génome fragmenté où différentes parties de l’information génétique sont physiquement séparées
Les virus multipartites ont un génome constitué de plusieurs segments d’acide nucléique, chacun enfermé dans une particule virale distincte. Aucune de ces particules n’est seule infectieuse, car elle ne contient qu’une portion de l’information génétique totale. Cette organisation soulève une question biologique fondamentale : comment un virus peut-il fonctionner et se transmettre de manière efficace si ses gènes sont physiquement séparés ? Le projet NANOVIRUS a exploré cette problématique à travers une espèce virale du genre Nanovirus. L’objectif était de comprendre comment ces virus parviennent à maintenir leur génome intègre lors de l’invasion de la plante hôte et de la transmission d’hôte en hôte. Nous avons interrogé la notion même d’unité fonctionnelle virale et testé l’hypothèse d’une organisation collective, fondée sur la complémentation à distance entre cellules infectées par des segments distincts. Le projet visait aussi à identifier d’éventuels bénéfices fonctionnels de cette fragmentation du génome.
Nous avons combiné des approches classiques de virologie (purification des virus, inoculation par clone infectieux ou par insectes vecteurs, tests de transmission) avec des méthodes issues d’autres disciplines. Les virus purifiés ont permis de déterminer la structure atomique de la capside par cryo-microscopie électronique. Les plantes infectées et les pucerons vecteurs ont été analysés par microscopie électronique et confocale afin de localiser les segments viraux dans les cellules. Des extractions d’ADN et d’ARN ont permis de suivre la dynamique d’accumulation des segments du génome, d’analyser l’expression des gènes viraux, et de détecter d’éventuelles mutations par séquençage à haut débit. Une utilisation non conventionnelle de la PCR digitale a été initiée pour explorer les associations ou séparation de chaque segment à différentes étapes du cycle viral. Cette diversité d’approches a été indispensable pour analyser et comprendre un virus dont les fonctions sont codées sur des molécules d’ADN physiquement séparées.
Le projet a révélé un mode de régulation inédit : les virus peuvent ajuster l’expression de leurs gènes en modulant la fréquence relative de segments génomiques, sans mutation. Il met aussi en évidence un fonctionnement pluricellulaire, où des segments différents agissent dans des cellules distinctes, mais de façon coordonnée. Enfin, les insectes vecteurs peuvent transmettre séparément ces segments, élargissant le spectre des mécanismes de dispersion virale. Ces découvertes enrichissent le cadre conceptuel de la virologie.
Le projet a produit plusieurs articles structurants. Sicard?et?al. eLIFE?2019 et Di?Mattia?et?al. PNAS?2022 démontrent l’organisation du virus comme réseau de gènes intra et inter hôte. Torralba et al.?Virus?Evolution?2024 discute in situ des réassortiments issus de cette transmission non concomitante. Gallet?et?al. Virus?Evolution?2022 et Bonnamy?et?al. mBio & PLoS?Pathogens?2024) illustrent la régulation de l’expression génique au niveau populationnel intra-plante. Enfin, Di?Mattia?et?al. J.?Virol?2020 & Peer?Community?Journal 2023) décrivent un rôle atypique de la protéine NSP dans la transmission virale qui favorise la reconstitution des génomes complets.
Les objectifs principaux du projet étaient d’identifier et de caractériser un ou plusieurs bénéfices possibles du multipartitisme, et de comprendre comment ces virus pouvaient surmonter les coûts liés au maintien de l’intégrité de leur génome, en particulier au moment de la transmission.
Ces objectifs ont été atteints — et même dépassés — avec des résultats inattendus, ouvrant des perspectives jusqu’ici insoupçonnées. Le projet a permis de mettre en évidence une forme de vie virale pluricellulaire, où différentes cellules hébergent différentes parties du génome, et où ces segments peuvent être transmis indépendamment, puis se retrouver pour complémentation fonctionnelle. Ce mode de fonctionnement offre un espace considérablement élargi à la recombinaison naturelle en population, appelé dans ce cas réassortiment.
Le projet a également révélé un mécanisme inédit de régulation de l’expression des gènes viraux par variation de la fréquence des segments — un mécanisme réversible, sans mutation. Cette «régulation sans régulateur», ou contrôle collectif de l’expression, ouvre un pan de réflexion original sur l’évolution et la plasticité des systèmes viraux.
Dans son ensemble, le projet redéfinit notre manière de penser les unités fonctionnelles des virus :
i) non plus la cellule comme unité spatiale du cycle de réplication, mais une échelle supérieure — celle du tissu, voire de l’hôte entier — où le virus déploie une différenciation fonctionnelle avec des cellules spécialisées dans des fonctions distinctes ;
ii) non plus le génome comme unité de sélection et de régulation, mais la population virale, envisagée comme un système génétique plastique et modulable selon l’environnement, sans qu’il soit besoin de mutation. Un système génétique complexe au niveau duquel apparaissent clairement des propriétés émergentes totalement ignorées jusqu’à ce jour.
Le projet a produit plusieurs articles structurants. Sicard?et?al. eLIFE?2019 et Di?Mattia?et?al. PNAS?2022 démontrent l’organisation du virus comme réseau de gènes intra et inter hôte. Torralba et al.?Virus?Evolution?2024 discute in situ des réassortiments issus de cette transmission non concomitante. Gallet?et?al. Virus?Evolution?2022 et Bonnamy?et?al. mBio & PLoS?Pathogens?2024) illustrent la régulation de l’expression génique au niveau populationnel intra-plante. Enfin, Di?Mattia?et?al. J.?Virol?2020 & Peer?Community?Journal 2023) décrivent un rôle atypique de la protéine NSP dans la transmission virale qui favorise la reconstitution des génomes complets.
Les virus émergeants chez les plantes représentent une menace pour l’agriculture mondiale. L’étude détaillée de leur cycle de vie est un prérequis pour pouvoir imaginer des méthodes de lutte alternatives, respectueuses de l’environnement. Ce projet cible la famille Nanoviridae pour des raisons finalisées et fondamentales : i) les nanovirus dévastent les cultures de bananes (genre Babuvirus) et de légumineuses (genre Nanovirus) partout dans le monde, et ii) ils ont adopté une organisation génomique « multipartite » totalement incomprise, avec un génome composé de nombreux segments d’ADN, chacun encapsidé individuellement dans une particule virale distincte. Avec le nombre de segments génomiques le plus élevé connu à ce jour, les nanovirus s’imposent comme un modèle biologique idéal pour rechercher et comprendre les raisons spécifiques pouvant expliquer que l’architecture multipartite des génomes viraux ait évolué si fréquemment. En particulier, l’infection de nouvelles cellules ou hôtes par ces systèmes viraux avec au moins une copie de chacun des segments paraît improbable. La littérature scientifique considère même que ce problème est insurmontable pour l’évolution de tels systèmes viraux si on les considère dans le cadre conceptuel classique de virologie. En d’autres termes, avec notre vue de virologie actuelle, les virus multipartites ne devraient pas exister. De façon cohérente, nous avons récemment démontré que le cycle de réplication d’un nanovirus est totalement atypique. Ce virus disperse ses différents segments génomiques dans différentes cellules de l’hôte. Les fonctions respectives de ces différents segments se complémentent à distance, d’une cellule à une autre, définissant ainsi un mode de vie pluricellulaire. Cette découverte remarquable nécessite maintenant une investigation approfondie afin de comprendre les mécanismes spécifiques qui la sous-tendent. Le groupe de Björn Krenz étudie le rôle de chaque protéine virale dans l’interaction avec la plante hôte, alors que celui de Stéphane Blanc s’intéresse en priorité à la dynamique/génétique des populations virales et aux mécanismes de la transmission par insectes vecteurs. Au travers de ce projet, nous souhaitons combiner notre effort de recherche pour comprendre les mécanismes qui expliquent le cycle de vie surprenant des nanovirus. Nous proposons de décortiquer les propriétés biochimiques et biologiques des différentes protéines virales en interaction avec l’hôte et le puceron vecteur. Notre but ultime et de décrire comment des segments génomiques, donc des gènes viraux, exprimés dans des cellules différentes de l’hôte peuvent tout de même se coordonner et assurer un infection efficace à un niveau supra-cellulaire. Nous focaliserons sur les gènes qui ont une fonction encore totalement inconnue et sur les propriétés reliées au trafic intra- et intercellulaire pour expliquer la complémentation transcellulaire. En parallèle, nous analyserons comment les particules virales et tous les segments génomiques traversent les cellules de l’intestin et des glandes salivaires chez le pucerons, et ainsi le processus par lequel le virus assure le maintient de l’intégralité de son génome durant la transmission. Au delà d’un besoin urgent de connaissance sur la biologie de virus émergeants d’importance agronomique majeure, l’ambition additionnelle de ce projet est de décrire les mécanismes spécifiques qui permettent un mode de vie pluricellulaire chez ces virus. L’impact du projet positionnera notre découverte comme un horizon totalement nouveau dans les recherches du domaine de la virologie.
Coordination du projet
Stephane Blanc (Biologie et Génétique des interactions Plantes-parasites pour la Protection Intégrée)
L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.
Partenariat
BGPI Biologie et Génétique des interactions Plantes-parasites pour la Protection Intégrée
DSMZ Leibniz Institute DSMZ-German Collection of Microorganisms and Cell Cultures
Aide de l'ANR 210 701 euros
Début et durée du projet scientifique :
février 2019
- 36 Mois