Mariage et mobilité à Venise (fin XVIe-XVIIIe siècle) – Processetti
Processetti
Mariage et mobilités à Venise (XVIe-XVIIe siècle) <br />ou comment (re)tracer la mobilité
les processetti matrimoniali, une source pour l’histoire de la discipline matrimoniale et de la mobilité géographique
En prenant comme terrain d’étude, Venise, une grande ville cosmopolite de la Méditerranée à l’époque moderne, le projet a exploré une source majeure, des enquêtes pré-matrimoniales (processetti) destinées à vérifier l’état libre des futurs époux dans le contexte post-tridentin de disciplinisation des comportements et à un moment où la mobilité humaine pose un défi à l’Église car elle facilite l’occultation du passé et le risque de mariage antérieur. En croisant deux historiographiques disjointes – celle du contrôle du mariage et celle du contrôle de la mobilité -, ce projet entendait étudier le développement d’une procédure de contrôle fondée sur l’examen de témoins à Venise, à l’échelle italienne, et dans une perspective comparative, dans le monde orthodoxe méditerranéen. Comme l’Église a cherché à tracer la mobilité pour prouver l’état libre des futurs mariés, l’historien peut retracer les mobilités à partir des informations contenues dans les interrogatoires. Le second objectif de ce projet a donc visé à mettre au jour les structures et les bassins migratoires de la ville, à évaluer l’impact de la peste de 1630, et à suivre, entre l’installation à Venise et le mariage, des déplacements et parfois des mobilités intra-urbaines grâce à la reconstitution d’itinéraires individuels.
L’étude des structures et des parcours migratoires a reposé sur la réalisation d’une base de données dans la plateforme collaborative Geovistory (https://www.geovistory.org) développée par la société suisse Kleiolab. La richesse et l’hétérogénéité des processetti a requis un travail préalable de structuration et de modélisation des données qui a porté sur un grand nombre d’informations essentielles : les motivations à l’origine de l’enquête, la typologie des déplacements, la restitution des durées et des temporalités, la définition et l’agrégation des métiers, l’emboitement spatial des entités géographiques, la qualification des formes de relations entre le requérant et ses témoins. Cet effort méthodologique, dont la portée générale dépasse les besoins de ce projet, fut suivi d’autres étapes : la transcription des processetti, l’annotation sémantique, la rédaction des requêtes d’analyse, la visualisation des résultats sous forme de tableaux, de graphes et de cartes. Au total 4640 processetti ont été analysés, de manière exhaustive lors de la première décennie de leur conservation (1592-1604) - qui correspond aussi à une période de prospérité économique et d’attractivité urbaine – et en opérant des coupes et une annotation plus brève pour le premier XVIIe siècle et la période suivant la peste.
L’analyse quantitative de la base de données a produit des résultats inédits sur les structures démographiques et les structures migratoires, précisément sur l’âge au mariage des étrangers (26 ans en moyenne), l’âge de leur arrivée à Venise (13-14 en moyenne) qui correspond à la période d’apprentissage et de l’emploi domestique, la nature de la relation avec les témoins. Les bassins migratoires de Venise sont désormais connus avec un grand degré de précision, démontrant une capacité d’attraction de la cité à l’échelle européenne et méditerranéenne, mais surtout le poids considérable d’une immigration confinée aux frontières politiques de la République, sans qu’un événement comme la peste de 1630 ne bouleverse profondément cette géographie migratoire.
L’autre volet du projet, consacré à la procédure de vérification de la disponibilité matrimoniale des futurs époux, a apporté des résultats significatifs sur la circulation des pratiques administratives entre Église catholique et Église orthodoxe dans les possessions vénitiennes et sur l’homogénéisation de la procédure à l’échelle italienne au cours du XVIIe siècle du fait des instructions de la Congrégation du Saint-Office.
À condition d’utiliser la plateforme Geovistory, les outils sont prêts pour exploiter le même type de sources dans d’autres grandes villes dans la perspective d’une étude comparative de l’impact des grandes épidémies sur les structures et les bassins migratoires. Un projet ERC serait le cadre approprié pour opérer ce changement d’échelles.
Ce projet a nourri des interventions et des publications individuelles qui convergeront vers la réalisation de deux ouvrages collectifs, l’un sur la procédure de contrôle prématrimonial, l’autre sur les espaces migratoires et les formes de mobilité à Venise entre XVIe et XVIIe siècle. Un site interne, comportant une présentation de la méthodologie, la visualisation des principaux résultats, une recherche libre, sera accessible à la fin de l’année 2023.
Ce programme de recherche historique porte sur les interactions entre une institution et une pratique : d’un côté, le mariage, sacrement de l’Église et étape essentielle dans l’établissement professionnel et l’inclusion sociale ; de l’autre, la mobilité, prise dans sa double acception spatiale et sociale. Il prend pour terrain d’enquête, la Venise moderne, qui était à la fois une très grande ville de plus de 150000 habitants à la fin du XVIe siècle et une ville-monde dont la population mêlée venait de tout le pourtour méditerranéen et de pays transalpins. À ce titre, elle constitue un observatoire privilégié pour étudier les mariages interconfessionnels (entre catholiques et orthodoxes), entre étrangers et entre natifs et immigrés.
Ce projet repose sur une documentation massive : les processetti matrimoniali. Ces enquêtes étaient conduites par l’Église catholique pour s’assurer que les futurs époux étaient bien célibataires ou veufs. Elles portèrent d’abord sur ceux pour qui existaient un doute sur leur état matrimonial, en particulier les non-natifs de la ville. Elles reposaient sur l’audition de témoins consignée dans dans 340 registres entre 1592 et 1807. Cette documentation sérielle et diachronique donnera lieu à une base de données collaborative réalisée à partir de la plateforme d’hébergement de projets (symoghi.com) porté par le Pôle d’histoire numérique du LARHRA et sera alimentée par le dépouillement du tiers du fonds (120 registres, soit environ 10000 enquêtes).
Cette documentation originale fera l’objet d’un double traitement. On l’étudiera, d’abord, comme l’élément central du dispositif mis en place par l’Église catholique pour tenter de concilier la mobilité avec le respect des règles matrimoniales. L’analyse de la procédure sera élargie à la péninsule italienne et au monde grec sous domination vénitienne afin de mieux comprendre la circulation des normes et des pratiques ecclésiastiques.
C’est, ensuite, le moyen de saisir le mariage comme un moment pivot d’un parcours migratoire et d’un processus inclusion sociale. Les processetti se prêtent à la fois à une approche quantitative et qualitative qui permet de reconstituer toute une gamme de parcours migratoires, par exemple féminins (qui laissent peu de traces dans les sources habituelles utilisées). On examinera, enfin, comment au terme d’un parcours migratoire le mariage pouvait être un instrument d’intégration sociale en interrogeant le sens des mariages exogames et interconfessionnels – et de mobilité sociale, en prêtant une attention particulière à la séquence de la peste de 1630 qui semble avoir ouvert des opportunités matrimoniales et économiques. Ce programme de recherche vise à mieux comprendre ce que inclusion et mobilité sociale signifient dans une ville ouverte et cosmopolite, mais marquée par la persistance de barrières juridiques, religieuses et sociales.
Ce projet repose sur un partenariat entre le LARHRA-Université de Lyon 2, l’Université de Padoue, les Écoles françaises de Rome et d’Athènes et l’Université nationale d’Athènes.
Coordination du projet
Jean-François Chauvard (LABORATOIRE DE RECHERCHE HISTORIQUE RHONE-ALPES (MODERNE ET CONTEMPORAINE))
L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.
Partenaire
Université Nationale et Capodistrienne d'Athènes / Faculté d'histoire et d'archéologie
Ecole française de Rome
Università degli Studi di Padova / Dipartimento di Scienze Storiche, Geografiche e dell'Antichità
EFA École française d'Athènes
LARHRA-CNRS LABORATOIRE DE RECHERCHE HISTORIQUE RHONE-ALPES (MODERNE ET CONTEMPORAINE)
Aide de l'ANR 332 535 euros
Début et durée du projet scientifique :
janvier 2019
- 48 Mois