Identifier les acteurs invisibles du recrutement corallien pour la conservation des récifs – CoralMates
Identifier les acteurs invisibles du recrutement corallien pour la conservation des récifs
Comprendre les mécanismes façonnant les premiers stades de vie est essentiel pour élucider les processus permettant la recolonisation des populations coralliennes. Ceci est d'autant plus important dans le contexte de la dégradation actuelle des récifs coralliens à l'échelle de la planète. Notre but est d'identifier les acteurs du recrutement corallien (des organismes à la molécule) afin de favoriser la repeuplement des coraux et de soutenir la résilience des écosystèmes récifaux.
Identifier les acteurs du recrutement corallien (des organismes à la molécule) dans l'optique de favoriser la recolonisation des coraux et de soutenir la résilience des écosystèmes récifaux.
La survie des récifs coralliens est étroitement liée au recrutement des coraux. Les algues corallines hébergent une diversité de microorganismes qui pourraient avoir un rôle clé comme attracteur de larves de coraux et contribuer à l’ensemencement du microbiome de ces derniers lors des premiers stades de vie. Le projet CoralMates rassemble des chercheurs français et étrangers de plusieurs horizons pour comprendre l’association intime entre l’algue coralline et le corail. Il propose d’unir observations sur le terrain, expériences en laboratoire et techniques de pointe en génétique, microbiologie, écologie chimique et métabolomique environnementale pour : 1) identifier les espèces d’algues corallines ayant un rôle clé dans le recrutement du corail, 2) caractériser les procaryotes et les biomolécules qui régissent cette association, 3) déterminer les effets multi-stress sur ces « acteurs invisibles », et 4) évaluer leur application dans les techniques de restauration des récifs coralliens.
Le premier objectif combine des approches in situ et ex situ pour tester les effets spécifiques aux espèces des algues corallines sur les premiers stades de vie des coraux. Les approches in situ incluent: 1) une surveillance des associations coraux - algues corallines avec identifications taxonomiques détaillées. 2) Une surveillance long-terme d'interactions expérimentales et naturelles entre coraux juvéniles de différentes tailles et diverses espèces d'algues. Les approches ex situ incluent l'étude du comportement larvaire des coraux en réponse à des exsudats des algues corallines à l'aide des chambres expérimentales à double choix avec et sans flux d'eau de mer.
Pour le deuxième objectif, nous 1) déterminerons si les associations (ou inhibitions) entre les algues corallines et coraux sont en lien avec certains microbes et métabolites, 2) étudierons les effets des algues corallines sur le développement du microbiome des coraux, et 3) identifierons si certaines bactéries et extraits chimiques issus des algues corallines influencent le comportement larvaire, l'implantation et la survie des coraux. Cet objectif utilisera des techniques de pointe en microbiologie, génétique, écologie chimique et métabolomique.
Pour le troisième objectif, nous testerons l'hypothèse que la compétition avec les macroalgues (cf. stress local) et la hausse des températures (cf. stress global) altèrent l'implantation des coraux en affectant le microbiome et le métabolome des algues corallines et l'interaction corail-algue. Nous chercherons à distinguer les effets sur les signaux chimiques émis par les algues corallines et sur la perception larvaire de ces signaux.
Le quatrième objectif combinera élevage en laboratoire, méthodes de terrain, et modélisation écologique pour évaluer les coûts-bénéfices de la restauration récifale effectuée ex situ puis in situ sur des supports artificiels par rapport à la colonisation naturelle.
Le projet a donné lieu à une première publication qui a démontré expérimentalement que toutes les algues corallines ne sont pas bénéfiques pour la survie et la croissance des coraux juvéniles. Il y a donc une forte variabilité dans les directions et processus de compétition entre algues corallines et coraux.
Nos résultats suggèrent plusieurs mécanismes possibles en fonction de l’exposition du microhabitat. Dans le microhabitat exposé, les algues corallines sont bénéfiques à la survie des juvéniles par l’intermédiaire d’un effet inhibiteur sur le gazon algal. Dans le microhabitat semi-cryptique, elles exercent un effet négatif sur la survie des juvéniles par compétition directe.
De nombreux chercheurs et gestionnaires traitent les algues corallines (toutes espèces confondues) comme un facteur favorisant le recrutement corallien. Ces résultats remettent en cause cette idée grâce à une approche expérimentale robuste, avec des conséquences importantes dans nos prédictions du taux de recrutement potentiel et la façon dont nous gérons les récifs.
Le projet est en cours de réalisation.
Jorissen H, Baumgartner C, Steneck RS, Nugues MM (2020) Contrasting effects of crustose coralline algae from exposed and subcryptic habitats on coral recruits. Coral Reefs DOI 10.1007/s00338-020-02002-9
Les coraux produisent des larves planctoniques qui doivent se fixer sur un substrat approprié pour compléter leur cycle de vie. La persistance des populations coralliennes est étroitement liée au succès de l’implantation des larves et à la survie des jeunes recrues. Dans les récifs coralliens, les algues corallines jouent avec les coraux hermatypiques un rôle important de bioconstructeur et de puit naturel de carbone. Elles hébergent aussi une diversité de microorganismes qui pourraient avoir un rôle-clé comme attracteurs de larves de coraux. Une étude récente suggère que les espèces d’algues corallines favorisant l’implantation des larves de coraux ont une grande proportion de bactéries qui inhibent la croissance de pathogènes chez les coraux. Vice versa, les espèces moins bénéfiques pour les larves hébergent une large proportion de pathogènes et cyanobactéries. Certaines macroalgues qui entrent en compétition avec les coraux adultes peuvent causer le blanchissement et la mort des polypes. Plusieurs bactéries pathogènes des coraux ont été retrouvées à la surface des macroalgues. Il est donc fort possible que les larves de coraux sélectionnent comme substrat d’accrochage et de développement les espèces d’algues corallines contenant des bactéries qui leur sont bénéfiques. En outre, la reconnaissance bactérienne par les larves de coraux semble s’opérer par l’intermédiaire de composés chimiques produits par ces mêmes bactéries, mais les composés suggérés jusqu’à présent (ex : tétrabromopyrrole) induisent un faible taux d’accrochage. Des composés directement associés à la trame calcifiée des algues corallines sembleraient plus prometteurs, mais aucun n’a été caractérisé jusqu’à présent. Les médiateurs chimiques et microbiens qui régissent l’interaction entre les algues corallines et les coraux sont donc méconnus.
Ce projet propose d’unir observations sur le terrain, expériences en laboratoire, et techniques de pointe en microbiologie, génétique, écologie chimique et métabolomique pour comprendre l’association intime entre les algues corallines et les coraux. Les deux premiers objectifs sont: 1) d’identifier les espèces d’algues corallines ayant un rôle clé dans le recrutement du corail et 2) de caractériser les procaryotes et les biomolécules qui régissent cette association. Le changement climatique pourrait affecter le lien fragile entre ces organismes et interagir avec les facteurs locaux pour perturber le recrutement corallien. Le troisième objectif est donc: 3) de déterminer comment les menaces globales et locales altèrent l’interaction microbienne et chimique entre les algues corallines et les coraux. Enfin, le quatrième objectif est: 4) d’évaluer l’utilisation de ces « acteurs invisibles » (algues, procaryotes et biomolécules) pour la restauration des récifs coralliens. Cet objectif inclut une analyse coût-bénéfice de la restauration par rapport à la colonisation naturelle.
Au vu de la vulnérabilité des récifs coralliens face au changement climatique, ces recherches répondent à la nécessité de mieux comprendre les mécanismes du recrutement corallien afin de favoriser le repeuplement des récifs en déclin. Elles amèneront de nouveaux résultats sur les acteurs et les mécanismes régulant le fonctionnement et l’évolution des écosystèmes et de la biodiversité pour mieux prédire l’impact des hommes et du changement climatique. Au contraire des nombreuses études démontrant les effets négatifs des algues et des microbes sur les coraux, ce projet valorise les interactions positives entre espèces. Il améliorera notre compréhension du rôle des microorganismes et des biomolécules dans la dynamique du recrutement corallien et permettra la découverte de nouvelles molécules ayant un intérêt fondamental et appliqué dans la gestion et la restauration des récifs. Enfin, ce projet favorisera le développement de techniques de restauration qui réduisent les prélèvements de coraux sauvages et pourra donc ainsi contribuer à l’économie locale.
Coordination du projet
Maggy Nugues (Centre de recherche insulaire et observatoire de l'environnement)
L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.
Partenaire
LECOB Laboratoire d'Ecogéochimie des Environnements Benthiques
CRIOBE Centre de recherche insulaire et observatoire de l'environnement
ENTROPIE Ecologie marine tropicale dans les Océans Pacifique et Indien
Aide de l'ANR 600 494 euros
Début et durée du projet scientifique :
March 2019
- 48 Mois