« FAIRE CIRCULER LES MORTS ». ETUDE DES RITUELS ET DE L’ECONOMIE FUNÉRAIRES POSTSOCIALISTES EN CONTEXTE MIGRATOIRE. – REFPoM
« Faire circuler les morts » – Étude des Rituels et de l'Économie Funéraires Postsocialistes en contexte Migratoire (REFPoM)
Des morts mobiles<br />En Russie, le traitement des corps de défunts parmi les migrants centrasiatiques font l'objet de mobilisations communautaires. REFPoM a analysé leurs modalités et leurs enjeux. <br />Un projet interdisciplinaire<br />L'analyse implique des méthodes ethnographiques et statistiques.<br />Le projet a impliqué le LESC (Univ. Paris Nanterre/CNRS) puis le LADEC (Univ. Lumière Lyon 2) a débuté en avril 2018 et a pris fin en février 2023. Il a été entièrement financé par l'ANR à hauteur de 206 000€.
Deux axes forts de recherche: les ajustements économico-rituels et la dimension politique liés à la «mort au loin«
Les nouvelles territorialités des morts en migration témoignent des circulations inédites dans la région de par leur intensité et leur forme, autant qu'elle incitent les sociétés à innover, à penser de nouvelles pratiques rituelles et économiques pour y faire face.<br /><br />Ce projet souhaite les analyser selon deux axes d’études :<br />a. « Reterritorialiser ses morts. Impératifs symboliques, rituels et économiques ». Il s’agit d’analyser les modalités symboliques, rituelles et économiques de la reterritorialisation des morts en mobilité qui, dans la majorité des cas, incluent le rapatriement du corps du défunt. <br />Ici, en Asie centrale, et là, en Russie, les contraintes institutionnelles, politiques et économiques, contribuent à la création par les migrants et leurs familles de pratiques rituelles et économiques d’ajustement. L’analyse des décès des migrants centrasiatiques en Russie permettra ainsi de saisir les enjeux soulevés par les pratiques symboliques, rituelles et économiques de reterritorialisation auxquelles ils donnent lieu. Plus généralement, elle contribuera aux recherches portant sur ces « morts déterritorialisés ».<br /><br />b. « Rituels funéraires, construction mémorielle et résistance politique »<br />Ce 2e axe de recherche s’intéresse à la construction mémorielle et la dimension politique de ces pratiques rituelles transnationales. L'une des originalités du projet REFPoM réside dans l’approche politique du phénomène : il s’agit d’aborder le rituel comme le lieu d’une micro-politique qui permet de saisir, au-delà des transformations symboliques et familiales, la manière dont les migrations et les processus politiques actuels affectent les relations des populations à leurs institutions. Ici, les notions de « tactique » (Certeau et Giard 2010) et d’« infra-politique » (Scott 2006) nous serviront de point de départ théorique pour analyser les rapports entre les groupes sociaux (les migrants, leurs familles, etc.) et les institutions qui les gouvernent.
Le projet REFPoM propose d’explorer une région peu investie par l’anthropologie française et d’analyser un phénomène encore jamais étudié dans la région, les « morts au loin », au prisme d’une approche interdisciplinaire qui associe des méthodologies quantitatives et qualitatives.
Les anthropologues, sociologues et économistes associés au projet travailleront ensemble de manière particulièrement étroite autour des questions liées aux formes de prévoyances formelles et informelles des populations tadjikistanaises et ouzbékistanaises en Russie -- en particulier sur les risques de santé et de mort. L'élaboration du questionnaire de l'enquête statistique qui sera menée par les économistes s'appuiera sur les connaissances déjà acquises grâce aux enquêtes de terrain menées par les sociologues et anthropologues du projet.
Il s’agit donc de réfléchir de manière approfondie sur les possibles complémentarités des recherches quantitatives et qualitatives non pas seulement du point de vue de leurs résultats, mais aussi dans l’élaboration progressive des questions de recherche et des méthodes adoptées pour y répondre.
Les grandes lignes des résultats sont exposées dans la publication d'un numéro thématique, directement issu du projet, dans la Revue Européenne des Migrations Internationales. Ce sont:
1. La dimension politique du traitement des morts en contexte migratoire - les tensions entre implication étatique et organisations communautaires dans la gestion des corps de migrants décédés à l'étranger sont révélateurs des rapports que les États entretiennent avec leurs diasporas. Les défunts sont leviers d'action, par les diasporas, pour mobiliser politiquement des sociétés civiles autrement plutôt silencieuses - car «silenciées« - dans ces contextes autoritaires.
2. Les liens transnationaux entre pays d’origine (en Asie centrale) et pays d’arrivée (Russie) des migrants sont créés et renforcés par la circulation des morts. La centralité symbolique du pays d'origine demeure parmi les premières et deuxièmes générations de migrants. Le rapatriement au pays est un opérateur contre la distanciation d'avec le village d'origine.
3. Les pratiques de mutualisation des ressources et d’atténuation des risques peuvent être à l’origine de / ou viennent renforcer la base communautaire parmi les migrants en Russie. Les pratiques de mutualisation des ressources sont beaucoup plus fréquentes et importantes que ce à quoi nous nous attendions. Elles opèrent selon une grande variété de procédure mais le budget annuel que les migrants investissent dans ces caisses est relativement significatif. Nombre d'entre elles participent au développement du sentiment communautaire et à une forme de réciprocité attendue, encadrée, par différents discours identitaires, ethniques, religieux, etc.
4. Cimetières, discrétion funéraire et les deathscapes transnationaux. Nos travaux ont montré la nécessité de s'intéresser de plus près aux nouveaux modes de traitement des défunts centrasiatiques en Russie (inhumations in situ) ainsi que la profusion d'image et de discours en ligne qui encadrent et légitiment ces nouvelles modalités de gestion du funéraire.
Avant la guerre en Ukraine, nous envisagions d’approfondir le développement de l’activité politique des communautés diasporiques en Russie qui, visiblement, sont en mesure pour certaines d’entre elles de se mobiliser sur certaines causes particulières (ce que la guerre en Ukraine a aussi rendu visible, mais nous l’avions déjà observé lors des exactions de l’armée birmane contre les Rohingyas). Mais dans le même temps, un grand nombre d’activistes qui travaillaient pour le droit des migrants en Russie a dû fuir le pays avec la vague généralisée de répression contre les « agents de l’étranger » menée par le gouvernement à l’encontre des milieux associatifs et militants.
Parmi les pistes à suivre, la question de l’exil « des caisses » pourrait être un aspect intéressant à approfondir : ces groupes transnationaux étendent-ils leurs réseaux ? Assiste-t-on au développement de réseaux de solidarité au-delà des territoires russo-centrasiatiques ? D’autant qu’avec la situation de crise chronique en Russie, des réseaux vers l’Europe et les Etats-Unis sont de plus en plus importants : il faudrait pouvoir mettre en lumière l’expansion des réseaux migratoires au travers de celle des caisses de morts – on sait d’ailleurs que se soigner aux Etats Unis ou encore rapatrier un défunt vers l’Asie centrale génèrent des difficultés autrement plus grandes qu’en Russie. Comment les communautés transnationales s’adaptent-elles à ces nouveaux contextes migratoires ?
La guerre en Ukraine entraine aussi une reconfiguration des mobilités dans la région : l’implication des migrants ouzbékistanais et tadjikistanais dans la conquête de l’Ukraine, et en particulier dans les travaux de construction, de manutention et de transports sur l’arrière front et dans les territoires conquis. On sait que le gouvernement russe promet aussi un accès accéléré à la citoyenneté également pour les étrangers s’engagent dans l’armée.
Les premiers rapatriements de défunts centrasiatiques ont déjà eu lieu, mais le manque d’accès aux informations et au terrain rend encore difficile l’appréhension de l’ampleur du phénomène ou de ses logiques. Dans tous les cas, l’impact de la guerre en Ukraine sur les projets migratoires et les mobilisations idéologiques de ces diasporas mériterait d’être approfondi.
International
Revues à comité de lecture : 6 publications
Ouvrages ou chapitres d’ouvrage : 1 publication
Communications (conférence) : 5 communications
France
Revues à comité de lecture : 1 publication
Ouvrages ou chapitres d’ouvrage
Communications (conférence) : 7 communications en conférence (et bien plus en séminaires, ici non recensées)
Articles vulgarisation: 59 publications blog
Tous les articles du blog « Carnets de Refpom » rédigés par les membres du projet et par des rédacteurs invités.
Vulgarisation autre: 2 productions filmiques
En détail:
Cleuziou Juliette (2023), “Editorial: Death and Migration: Perspectives from the Post-Soviet Space”, Revue européenne des migrations internationales, vol. 39 - n°1 | -1, 7-26
Cleuziou Juliette et Aksana Ismailbekova (2023), “Transferring Deceased Bodies, Building Transnational Communities. The Case of Kyrgyz and Tajik Migrants in Russia”, Revue européenne des migrations internationales, vol. 39 - n°1 | -1, 77-100.
Cleuziou Juliette (2023) « Aider les migrants en Russie : retours d’expérience de deux activistes originaires d’Asie centrale. Entretiens avec Zarnigor Omonillaeva et Karimdzhon Yorov », Revue européenne des migrations internationales, vol. 39 - n°1 | -1, 131-151.
Pellet, Sandra et Marine de Talancé (2023). “Labor Migrants at Risk: Formal and Informal Insurance Strategies among Central Asians in Moscow”, Revue Européenne des Migrations Internationales, 39(1), 101-129.
Pellet, Sandra et Marine de Talancé (2023) Is there a gender gap among migrants in Russie ? The journal of Development studies, doi.org/10.1080/00220388.2023.2253986
Zevaco Ariane (2023), « Portfolio. En migration du Tadjikistan vers la Russie : intimités et risques en images ». Revue européenne des migrations internationales 39, 2023, 153-159
Cleuziou Juliette, « Au nom des morts ». Gestion des défunts tadjiks en Russie, in Carolina Kobelinsky et Lilyane Rachédi Éds., Traces et mobilités posthumes. Rêver les futurs des défunts en contextes migratoires, Paris, Pétra, 2023.
Juin 2019, Panel « ‘Circulating the dead’. Funerary ritual and economy in migratory context in the post-Soviet space”, ESCAS Conference, Exeter, 2019. Avec les interventions de Cleuziou Juliette et Sandra Pellet.
Juin 2020, Juliette Cleuziou « ‘Au nom des morts’ : les enjeux moraux et politiques de la prise en charge des Tadjiks décédés en Russie », Colloque international « Mort en contexte de migration », C. Kobelinsky, L. Rachédi [en ligne].
De Talancé, M. et Pellet, S., Accès à l'assurance et aux réseaux d'entraide de migrants en Russie, Revue d’Economie du Développement, 2022/2-3 (Vol. 31), 197-202
Tous les articles du blog « Carnets de Refpom » rédigés par les membres du projet et par des rédacteurs invités.
Ariane Zevaco, « Marhamat », court-métrage documentaire, 2022, 9’15’’
Ariane Zevaco, « À l’aéroport de Douchanbé », court-métrage documentaire, 9’30’’
En Asie centrale postsocialiste, les mobilités internationales orientées principalement vers la Russie se sont considérablement intensifiées depuis l’effondrement du bloc soviétique en 1991. Ces circulations migratoires s’accompagnent parfois, au gré des aléas des trajectoires, de la mort des migrants. Le projet REFPoM s’intéresse aux questions que posent justement les morts en mobilité en Russie et en Asie centrale (Ouzbékistan, Tadjikistan, Mongolie). Il propose d’explorer une région peu investie par l’anthropologie française et d’analyser un phénomène encore jamais étudié dans la région, les « morts au loin », au prisme d’une approche interdisciplinaire qui associe des méthodologies quantitatives et qualitatives. Les nouvelles territorialités des morts en migration témoignent des circulations inédites dans la région de par leur intensité et leur forme. En outre, elles incitent les sociétés à innover, à penser de nouvelles pratiques rituelles et économiques pour y faire face. Ce projet souhaite les analyser selon deux axes d’études.
(a) « Reterritorialiser ses morts. Impératifs symboliques, rituels et économiques »
Il s’agit d’analyser les modalités symboliques, rituelles et économiques de la reterritorialisation des morts en mobilité qui, dans la majorité des cas, incluent le rapatriement du corps du défunt. Il s’agira de saisir quelles sont l’idéologie funéraire, les pratiques rituelles transnationales et les relations familiales qui les sous-tendent. Les décès soulèvent des questions quant au choix du lieu de sépulture, aux modalités de l’accomplissement rituel et aux coûts financiers que ces décès représentent, pour lesquelles il faut tenir compte de la diversité des populations (tadjikes, ouzbèkes, mongoles, etc.) et des religions (islam, bouddhisme, etc.) qui seront étudiées par les participants au projet.
Ici, en Asie centrale, et là, en Russie, les contraintes institutionnelles, politiques et économiques, contribuent à la création par les migrants et leurs familles de pratiques rituelles et économiques d’ajustement. L’analyse des décès des migrants centrasiatiques en Russie permettra ainsi de saisir les enjeux soulevés par les pratiques symboliques, rituelles et économiques de reterritorialisation auxquelles ils donnent lieu. Plus généralement, elle contribuera aux recherches portant sur ces « morts déterritorialisés ».
(b) « Rituels funéraires, construction mémorielle et résistance politique »
Ce 2e axe de recherche s’intéresse à la construction mémorielle et la dimension politique de ces pratiques rituelles transnationales. L'une des originalités du projet REFPoM réside dans l’approche politique du phénomène : il s’agit d’aborder le rituel comme le lieu d’une micro-politique qui permet de saisir, au-delà des transformations symboliques et familiales, la manière dont les migrations et les processus politiques actuels affectent les relations des populations à leurs institutions. Ici, les notions de « tactique » (Certeau et Giard 2010) et d’ « infra-politique » (Scott 2006) nous serviront de point de départ théorique pour analyser les rapports entre les groupes sociaux (les migrants, leurs familles, etc.) et les institutions qui les gouvernent. En comprenant les rituels transnationaux comme une « arène de contestation » (Gardner et Grillo 2002) plus ou moins visible ou consciente, ce projet permettra de rendre visibles des rapports politiques entre communautés et État, rapports qui ne sont pas incarnés dans des institutions mais plutôt dans des pratiques – ici funéraires – qui visent le plus souvent à les contourner.
Il s’agira pour cette équipe de recherche d’analyser le rôle et les dynamiques de l’économie funéraire au sens large pour saisir à la fois les pratiques d’entraide dans la migration, la gestion de la mort en contexte de mobilité et, plus largement, les dynamiques qui sous-tendent les rapports entre société et politique en contexte postsocialiste.
Coordination du projet
Juliette Cleuziou (Laboratoire d'Anthropologie des Enjeux Contemporains)
L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.
Partenariat
LESC Laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative
LADEC Laboratoire d'Anthropologie des Enjeux Contemporains
Aide de l'ANR 206 270 euros
Début et durée du projet scientifique :
mars 2018
- 24 Mois