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Minéraux tenebrescents par modélisation in silico – TeneMod

Tenebrescence des minéraux par modélisation in silico

Vers une meilleure compréhension du mécanisme de photochromisme de minéraux d'origine naturelle de la famille des sodalite au moyen des méthodes de calcul de la chimie quantique.

Mise en place d'un protocole d'étude par chimie quantique de la ténébrescence des sodalites.

Le photochromisme, appelé ténébrescence en géologie, consiste en un changement réversible de la couleur d’un matériau sous l’effet d’une stimulation lumineuse. Il s’agit d’un domaine de recherche en pleine expansion car ce phénomène peut être utilisé dans divers applications de haute technologie. Deux axes de recherches se développent dans ce domaine. Le premier porte sur le développement de cristaux de molécules organiques. L’autre axe de recherche développé par la communauté est celui des photochromes inorganiques. La force des matériaux inorganiques comparée aux matériaux organiques réside dans leur grande stabilité thermique et leur stabilité dans les conditions réelles d’utilisation. Mais malgré ces points forts, les matériaux inorganiques sont moins étudiés que les matériaux organiques. La principale raison est la grande liberté de synthèse offerte par la chimie organique permettant d’adapter les molécules aux propriétés désirées.<br />L’adaptabilité qui manque aux matériaux inorganiques pourrait venir de minéraux naturels appelés sodalite. Cette famille d’aluminosilicate est connue pour être photochrome depuis près d’un siècle mais n’a commencé à être étudiée que depuis les années 70. Ce n’est que très récemment qu’il a été montré que le photochromisme des sodalites pouvait être adapté en changeant la composition du matériau faisant d’eux des candidats pour des matériaux photochromiques inorganiques adaptables. Mais le mécanisme de photochromisme des sodalites reste pour l’heure mal-connu. L’objectif du projet est de développer un protocole fiable pour simuler les propriétés de ces minéraux au moyen de la chimie quantique afin d’offrir pour la première fois une interprétation atomistique de la spectroscopie de ces minéraux avec pour finalité une prédiction de la couleur de ces minéraux pour aider à mieux cerner leur potentialité pour des applications comme matériaux photochromes.

Les détails méthodologiques des calculs qui ont été faits dans ce projet peuvent se trouver dans les articles du projet. Voici brièvement les étapes clefs de la procédure pour simuler les états excités dans les aluminosilicates :
1- Les géométries de tous les systèmes ont été optimisées avec le code CRYSTAL17 avec la fonctionnelle hybride PBE0. Cette fonctionnelle a été choisie car elle reproduit avec fiabilité les paramètres structuraux de minéraux. Les bases utilisées étaient de type double-zeta voire triplet-zeta. Pour l’électron piégé, nous avons optimisé une base triple-zeta de type 111G(d) pour chaque système. Les défauts étaient réalisés dans des supermailles de type 2x2x2 (autour de 350 atomes) et les calculs ont été faits sur une seul point-k (le point gamma).
2- Un cluster est ensuite découpé autour du défaut en incluant le premier polyèdre de sodium et la première cage-ß conduisant à des systèmes de près de 200 atomes lorsque l’on étudie la transition à transfert de charge entre S22- et la lacune de chlore.
3- Ce cluster est ensuite environné par une sphère de cation remplacé par des pseudo-potentiels (replaçant les ions Si4+ et Al3+) et un nuage de charges ponctuelles ajusté pour reproduire le potentiel électrostatique du cristal (environ 46000 charges). Pour générer ces charges, nous avons utilisé un algorithme appelé «Ewald » que nous avons adapté à notre système.
4- Les calculs TD-DFT sont réalisés sur ce cluster environné avec les mêmes bases que pour le calcul périodique et avec soit une fonctionnelle hybride locale (comme PBE0) soit une fonctionnelle hybride à séparation de portée (comme cam-B3LYP) en fonction des transitions à étudier.

Ce projet possède deux volets. Le premier correspond à la mise en place d'une méthodologie de calculs pour simuler les états excités dans les aluminosilicates. Le second correspond à l’application de cette méthodologie pour comprendre l’origine du photochromisme dans ces minéraux.
Mise en place de la méthodologie : Nous avons montré que l’utilisation d’une approche cluster environné par des charges ponctuelles ajustées pour reproduire la constante de Madellung du cristal donnait des propriétés spectroscopiques simulées par TD-DFT très proches de l’expérience. Les pseudo-potentiels entre le cluster et les charges permettent une meilleure convergence des calculs. Un très bon accord théorie expérience pour la simulation des spectres d’absorption des électrons piégés, des spectres d’émission de l’ion S2- et des transitions à transfert de charge pour la formation de l’électron piégé ont été obtenus.
Compréhension des phénomènes : En combinant nos calculs aux résultats expérimentaux du groupe de Mika Lastusaari, nous avons montré que la stabilisation de l’électron piégé responsable de l’apparition de la couleur venait du mouvement d’un atome de sodium du système. Dit autrement, c’est la structure cristallographique de ces minéraux qui permet le phénomène de photochromisme d’être observé. Cela nous a permis de comprendre l’origine du temps de vie plus court de la couleur dans les minéraux de la famille des scapolites.
Notre méthodologie a aussi permis de comprendre les phénomènes de photochromisme dans les sodalites lorsqu’elles sont exposées à d’autres rayonnements (rayons X, Gamma, Alpha). Enfin, la combinaison entre nos calculs et les mesures du groupe de M. Lastusaari a permis de comprendre le phénomène de photoluminescence (avec des temps de vie de plusieurs minutes) aussi observée dans ces matériaux.

La méthodologie maintenant en place, nous envisageons de compléter l'étude de ces minéraux toujours en collaboration avec le groupe du professeur Lastusaari. Par exemple, ce groupe vient de montrer que de nouvelles colorations étaient possibles par l'insertion de calcium dans le matériau.
D'un point de vue méthodologique, nous souhaitons améliorer les techniques d’environnement pour aller au-delà des charges ponctuelles. Pour y arriver, nous envisageons d'utiliser la méthode ALMO (Absolutely Localized Molacular Orbitals) et l'appliquer non seulement au photochromisme des sodalites mais plus généralement à la simulation des états excités dans tous types de solide.

Publication(s):
• S. Vuoria, P. Colinet, J.-P. Lehtiöb, A. Lemiere, I. Norrbo, M. Granström, J. Konu, G. Ågren, P. Laukkanen, L. Petit, A. J. Airaksinen, L. van Goethemi, T. Le Bahers*, M. Lastusaari*, Reusable radiochromic hackmanite with gamma exposure memory, Mater. Horizons accepted (IF : 15.7)
• P. Colinet, H. Byron, S. Vuori, J.-P. Lehtiö, P. Laukkanen, L. Van Goethem, M. Lastusaari*, T. Le Bahers*, The Structural Origin of the Efficient Photochromsim in Natual Minerals, Proc. Natl. Acad. Sci. USA PNAS, 2022, 119, e2202487119. (IF = 12.8)
• S. Vuori, P. Colinet, I. Norrbo, R. Steininger, T. Saarinen, H. Palonen, P. Paturi, L.C.V. Rodrigues, J. Göttlicher, T. Le Bahers, M. Lastusaari*, Detection of X-Ray Doses with Color-Changing Hackmanites: Mechanism and Application Adv. Opt. Mater., 2021, 9, 2100762. (IF : 10.0)
• P. Colinet, A. Gheeraert, A. Curutchet, T. Le Bahers*, On the Spectroscopic Modelling of Localized Defects in Sodalites by TD-DFT, J. Phys. Chem. C 2020, 124, 8949-8957. (IF : 4.1)
• C. Agamah, S. Vuori, P. Colinet, I. Norrbo, J. Miranda de Cavalho, L. K. O. Nakamura, J. Lindblom, L. van Goethem, A. Emmermann, T. Saarinen, T. Laihinen, E. Laakkonen, J. Lindén, K. Konu, H. Vrielinck, D. Van der Heegen, P. F. Smet, T. Le Bahers*, M. Lastusaari*, Hackmanite - The Natural Glow-In-The-Dark Mineral, Chem. Mater. 2020, 32, 20, 8895-8905. (IF : 10.5)
• Norrbo, A. Curutchet, A. Kuusisto, J. Mäkelä, P. Laukannen, P. Paturi, T. Laihinen, J. Sinkkonen, E. Wetterskog, F. Mamedov, T. Le Bahers*, M. Lastusaari*, Solar UV Index and UV Dose Determination with Photochromic Hackmanites: From the Assessment of Fundamental Properties to the Device, Mater. Horizons 2018, 5, 569-576. (IF : 15.7)

Les composés photochromiques sont à la base de nombreuses applications de haute technologie incluant les verres adaptatifs ainsi que les interrupteurs et mémoires optiques. Jusqu’à présent, ce champ de recherche a été dominé par les matériaux organiques à cause de la grande flexibilité offerte par la synthèse organique pour optimiser les molécules. Le manque d’adaptabilité des matériaux inorganiques est le principal frein à leur développement bien qu’ils possèdent certains avantages comme une bonne stabilité dans les conditions d’utilisation. Le manque d’adaptabilité des matériaux inorganiques pourrait être résolu par des minéraux naturels de la famille des sodalites. Le photochromisme de ces minéraux est connus des géologues (qui appellent ce phénomène ténébrescence) depuis environ 50 ans mais a commencé à être étudié sérieusement récemment. Jusqu’à présent, le mécanisme supposé était un transfert d’électron photo-induit depuis une impureté à base de soufre vers une lacune de chlore créant un centre-F, donnant sa couleur au système. Mais aucun modèle atomistique de ce système n’a été développé pour clairement confirmer ce mécanisme. Ce constat est le point de départ du projet TeneMod. Nous voulons développer une méthodologie, fondée sur la chimie quantique, dévoilant les étapes élémentaires du mécanisme de photochromisme des sodalites, conduisant à la simulation de ce phénomène ainsi que de la couleur du système. Avec cette méthodologie, nous ferons une grande étude de simulations de couleur et d’énergie d’activation de tous les minéraux photochromiques naturels de la famille des sodalites et de sodalites artificiels synthétisables pour déterminer le spectre des propriétés accessibles par cette famille, nécessaire pour des études plus poussées.
Le projet TeneMod est organisé en cinq taches. La tache 1 est dédiée au développement de la méthodologie sur la plus simple des sodalites photochromiques. Cette approche implique des géométries obtenues par DFT périodique et des simulations d’état excité (TD-DFT, SAC-CI…) calculées à partir de clusters venant des géométries PBC environnés de manière à reproduire le potentiel de Madelung du cristal. La méthodologie est ensuite testée sur d’autres minéraux naturels ténébrescents que sont les tugtupites et les scapolites dans la tache 2, avec l’objectif d’améliorer la méthodologie si nécessaire et ensuite de comprendre l’influence da la structure cristalline sur le photochromisme. La tache 3 portera sur les sodalites artificielles avec la simulation de leurs propriétés photochromiques en changeant la nature chimique des atomes les constituant ainsi que le dopant afin de démontrer l’adaptabilité de ces minéraux pour des applications pratiques. Dans la tache 4, nous nous tournerons vers la simulation réaliste de la couleur de ces minéraux en incluant dans le modèle la diffusion de la lumière par la poudre. La tache finale a pour objectif de prouver que la méthodologie développée par TeneMod peut être utilisée pour d’autres modélisations spectroscopiques tels que la difficile simulation du polychromisme des alexandrites et cordierites.
D’un point de vue pratique, un financement d’environ 160k€ est demandé pour ce projet. Une grande part de ce financement ira à une bourse thèse. Au delà du doctorant et de moi-même, TeneMod inclura un des experts mondiaux sur la synthèse des sodalites artificielles, Pr. Mika Lastusaari, et certains de mes collègues du laboratoire hôte. Le projet TeneMod correspond à un nouveau champ de cherche dans mon laboratoire. Ce projet sera la première étude par chimie quantique de grande envergure sur cette famille de minéraux, amenant mon équipe a la première place pour la modélisation de ces composés avec l’objectif d’offrir à la communauté à la fois un point de vue atomistique qui manque au champ de recherche des matériaux photochromiques inorganiques et la preuve qu’un matériau adaptable, stable et peu coûteux peut être développé pour les systèmes photochromiques.

Coordination du projet

Tangui LE BAHERS (Laboratoire de chimie / ENS Lyon)

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

LCH / ENS de Lyon Laboratoire de chimie / ENS Lyon

Aide de l'ANR 154 272 euros
Début et durée du projet scientifique : septembre 2017 - 48 Mois

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