HOMinin TECHnology : Capacités cognitives, motrices et comportementales des artisans des premiers outils – HOMTECH
HOMinin TECHnology
Capacités cognitives, motrices et comportementales des artisans des premiers outils
Diversité et buissonnement des hominines et de leurs comportements au Pliocène final et du Pléistocène ancien en Afrique
Au cours des 20 dernières années, de nouvelles découvertes et études ont révélé des archives archéologiques inattendues, une diversité d’hominines accrue associée à une histoire évolutive complexe. Dans ce contexte, comprendre la diversité humaine passée en termes de taxonomie, de régime alimentaire, d’aptitudes locomotrices et de comportement culturel est plus que jamais un défi, particulièrement pour la période entre 3,5 et 1,5 millions d’années (Ma). <br />Cette période est en effet marquée par l’émergence des premières industries lithiques et par d’importants changements anatomiques, comportementaux, et environnementaux. Depuis la découverte du plus ancien site archéologique (Lomekwi 3 au Kenya, daté de 3,3 Ma, Harmand et al., 2015 ; Harmand, 2021), qui a mis en évidence que les premiers outils en pierre ont été fabriqués par des hominines qui ont précédé d’au moins 500 000 ans à la fois les plus anciens spécimens attribués aux premiers Homo mais aussi le début du registre archéologique, certaines questions fondamentales concernant l'origine des compétences technologiques et des processus d'hominisation sont désormais caduques.<br />Ce projet interdisciplinaire HOMTECH, intégrant archéologie, paléoanthropologie, archéozoologie, géologie, neurosciences cognitives et biomécanique vise à approfondir nos connaissances dans le domaine de la cognition, de la motricité, des innovations technologiques, et des processus d’hominisation.<br />Ce projet tend à mieux appréhender l’identité des artisans des industries lithiques et osseuses du Pliocène final et du Pléistocène ancien en Afrique, leur contexte environnemental, et à en caractériser leur diversité. Il contribue à mieux cerner la définition du genre Homo, sa phylogénie et ses spécificités comportementales. Il vise de surcroît à mieux comprendre l'évolution des fonctions cognitives complexes impliquées notamment dans la planification (e.g. recherche de nourriture, fabrication d’outils). Il s’agit également d’identifier les déterminants biomécaniques du membre supérieur nécessaires à la production d’outils lithiques anciens dans le but à la fois d’en identifier les corrélats ostéologiques chez l’humain actuel pour ensuite être en mesure de les distinguer des caractères classiquement associés à des fonctions locomotrices, notamment arboricole, chez les hominines plus anciens.
De nature interdisciplinaire, l’ANR HOMTECH se fonde à la fois sur des données de terrain collectées par le West Turkana Archaeological Project (WTAP/MKP dir. S. Harmand, qui présente la particularité d’avoir une séquence sédimentaire quasi-continue entre 4 et 0,7 Ma, incluant le plus ancien assemblage de pierre taillée, daté de 3,3 Ma (Lomekwi 3)), mais également sur les découvertes récentes de restes archéologiques, de faune et d’hominines en Afrique orientale, centrale et australe. Afin de répondre à nos objectifs, ont été développées (1) des analyses technologiques des productions lithiques; (2) des analyses géochimiques des sols et des restes fauniques (3) des approches comparatives sur les hominines fossiles et les primates humains et non humains actuels (morphologie interne et externe (données CT-Scan), micro-usures, morphométrie, neuroanatomie); (4) des programmes de réplications archéologiques expérimentales combinant une analyse biomécanique des membres supérieurs [mesure de l’activité musculaire (EMG), et de la mobilité des membres supérieurs (cinématique)] et une analyse de l’activité cérébrale non invasive (EEG), afin d’identifier les requis anatomiques les capacités cognitives et motrices impliquées par la production des plus anciennes productions techniques. La ré-évaluation des processus neuro-cognitifs en lien avec la planification a été couplée à une seconde approche, cette fois, morpho-fonctionnelle qui intégrait biomécanique humaine et morphologie comparative des éléments du membre supérieur. Dans un premier temps, l’axe biomécanique a évalué le niveau d’interaction entre morphologie et technique de percussion inférés à partir de registre archéologique du Pliocène final et du Pléistocène ancien en faisant appel à un expert archéologue expérimentateur. Des analyses cinématiques et électromyographiques ont permis d’enregistrer le degré de sollicitation musculaire et articulaire du membre supérieur de l’expert au cours des techniques de percussion. Dans un second temps, les données biomécaniques collectées ont alimenté un modèle musculo-squelettique du membre supérieur « hominine » implémenté des caractéristiques morphologiques classiquement identifiées chez des hominines fossiles.
L’intégration des observations et la mobilisation de nos différents champs d’expertise (issues de l’archéologie, la neuroanatomie, la biomécanique, la paléontologie et la géologie…) a permis des comparaisons précieuses qui, reconsidérées dans un cadre théorique cohérent, aboutissent à une ré-évaluation de la taxonomie et la diversité des hominines du Pliocène final et du Pléistocène ancien (Prat, 2022), leur relation phylogénétique (Capparos et Prat, 2021, 2022), leur cadre environnemental (Boës et al., 2024 ; Quinn et al., 2021), leurs éventails de comportements de subsistance (Daujeard et Prat, 2022 ; de Chevalier et al., 2022 ; Garcia et al., 2021 ; Hanon et al., 2021) et leurs capacités de manipulation (Macchi et al., 2021 ; Prat, 2023) ainsi que les régions cérébrales impliquées dans les opérations cognitives liées à la planification comme la recherche de nourriture chez les primates non-humains actuels (Louail et al., 2019 ; Bouret et al., 2020, 2024). En outre, les productions d’outils anciens ne se distinguent pas tant que cela d’un point de vue biomécanique suggérant l’absence de morphologie facilitante (Macchi et al., 2021). Parallèlement à ce travail, les descriptions des plus anciens vestiges d’hominines connus à ce jour ont été publiés et ce projet s’est aussi alimenté de nos réflexions sur les relations formes-fonctions du membre supérieur (Daver et al., 2022 ; Blasi-Toccacceli, 2022).
HOMTECH a ainsi permis de mieux cerner la diversité des hominines du Pliocène final et du Pléistocène ancien en Afrique, leur cadre environnemental et culturel et les relations formes-fonctions du squelette crânien, dentaires et postcrâniens de ces hominines anciens. Cette clarification du cadre conceptuel interprétatif de la morphologie des hominines anciens s’est nourrie d’approches expérimentales (biomécaniques, neuroanatomique) et morphologiques (ex. cladistique, quantification de la forme 2D et 3D).
Ces résultats contribuent au débat en cours sur la définition du genre Homo, ses spécificités comportementales et les processus évolutifs sous-jacents. Tous ces aspects sont essentiels pour comprendre l'origine des compétences technologiques (innovation) et les processus d'hominisation. Il s'agit d'un vaste débat lié à une question majeure : qu'est-ce qui fait de nous des êtres humains ? et comment peut-on définir notre propre genre, le genre Homo ?
HOMTECH a permis de mieux cerner les relations formes-fonctions du squelette crânien, dentaires et postcrâniens d’hominines anciens. Il apparaît que d’une part certains hominines (ex. Paranthropus), jusque-là écartés du rôle d’artisan des outils en pierre du Pliocène final et du Pléistocène ancien doivent désormais être considérés sérieusement et que d’autre part les productions d’outils anciens ne se distinguent pas tant que cela d’un point de vue biomécanique suggérant l’absence de morphologie facilitante. Cette clarification du cadre conceptuel interprétatif de la morphologie des hominines anciens s’est nourrie d’approches expérimentales (biomécaniques, neuroanatomique) et morphologiques (ex. cladistique, quantification de la forme 2D et 3D). A ce stade, un retour à l’étude de la variation morphologique des premiers représentants des genres Homo et Paranthropus en particulier est désormais nécessaire et constitue un axe de recherche des plus prometteurs.
En termes d’analyse du geste de percussion au cours de la production d’outils en pierre, l’étude de la variation des gestes impliqués au cours de la percussion, selon différents niveaux de compétences peut notamment s’avérer utile afin de mieux identifier les requis anatomiques (et non ostéologiques) nécessaires à cette activité.
Ces perspectives de recherche d’ordre morphologique, biomécanique et comportementale pourront également bénéficier de la nouvelle convention de partenariat entre l’université de Poitiers, notamment le laboratoire PALEVOPRIM et le parc zoologique de la Vallée des Singes. Cette convention comprend trois volets :
Un volet « Recherche » qui vise à mener des observations sur les primates vivants de la Vallée des Singes afin de comparer et d’améliorer les interprétations par rapport aux fossiles de primates dont dispose le laboratoire universitaire.
Un volet « Conservation du patrimoine », permettant de sauvegarder les ossements des primates de la Vallée des Singes arrivés en fin de vie, et de leur donner une vie scientifique en les intégrant dans les collections de l’Université de Poitiers.
Un volet « Transfert des connaissances » à destination des étudiants de l’université de Poitiers, notamment du Master Paléontologie ainsi qu’à destination du public avec des actions de médiation conjointes Palevoprim – Vallée des Singes sur l’évolution des primates (conférences, panneaux explicatifs, ateliers…).
Ce projet a déjà fait l’objet de publications de 18 articles dans des revues internationales telles que L’Anthropologie, Cortex, Elife, Frontiers in Evolution and Ecology, iScience, Journal of Archaeological Science: Reports, Journal of Human Evolution, Nature, Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology, Philosophical Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences et 5 chapitres d’ouvrage.
Les résultats ont été présentés dans 36 colloques. Tous nos articles publiés ont été mis sur Hal et un site web dédié à ce projet (http://homtech.prd.fr/) a été mis en place.
Nous avons également eu une démarche de diffusion auprès du grand public, à travers la publication d’articles dans Archeologia, mais également lors de conférences grand public.
Productions scientifiques :
Blasi-Toccacceli A., Daver G., Domalain M. (2022). BMSAP 34 (2), 1-13.
Boës, X, Van Bocxlaer B., Prat S., Feibel C., Lewis J., Arrighi V., Taylor N., Harmand S. (2024). Journal of Human Evolution, 186, 103466.
Bouret S. Paradis E., Prat S., Castro L., Gilissen E., Garcia C. (2024). Elife.87780.2
Bouret S., Louail M., Prat S., Garcia C. (2020). Med Sci 36 : 103-105.
Caparros M., Prat S. (2021). iScience 24, 102359.
Caparros M., Prat S. (2022). Star Protocol 3, 101191.
Daujeard C., Prat S. (2022). Frontiers in Evolution and Ecology 10, 103389.
Daver G., Guy F., Mackaye H.T., Andossa L., Boisserie J.-R., Moussa A., Pallas L., Vignaud P., Nekoulnang C. (2022). Nature 609, 94-100.
de Chevalier G., Bouret S., Bardo A., Simmen B., Garcia C., Prat. S. (2022). Frontiers in Evolution and Ecology. 10: 812804.
Garcia C., Bouret S., Druelle F., Prat S. (2021). Philosophical Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences. 376: 20190667.
Hanon R., Francesco d’Errico F. Lucinda Backwell L., Prat S., Péan S., Patou-Mathis M. (2021). Journal of Archaeological Science: Reports 39 , 103129.
Harmand S. 2021. In : Un bouquet d'ancêtres - Premiers humains : qui était qui, qui a fait quoi, où et quand ? Dir Yves Coppens & Amélie Vialet. CNRS Éditions.
Louail M., Gilissen E., Prat S.*, Garcia C.*, Bouret S.* (2019). Cortex, 118: 262-274
Macchi R., Daver G., Brenet M., Prat S., Hugheville L., Harmand S., Lewis J., Domalain M. (2021). J. R. Soc. Interface, 18, 20201044.
Prat, S. (2022). L'Anthropologie, 126, Issue 4,103068.
Prat S. (2023). L’Anthropologie, 127, issue 4, 103187.
Quinn, R. L., Lewis, J., Brugal, J. P., Lepre, C. J., Trifonov, A., Harmand, S. (2021). Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology, 562, 110074.
HOMTECH (HOMinin TECHnology) vise à caractériser les capacités cognitives, motrices et les comportements de subsistance des artisans des plus anciennes industries connues à ce jour (Lomekwien et Oldowayen). Ce projet transdisciplinaire intègre l'archéologie, la paléoanthropologie, l'archéozoologie, les neurosciences cognitives et la biomécanique. Depuis la découverte du plus ancien site archéologique (site de Lomekwi 3 au Kenya, daté de 3,3 millions d’années (Ma)), par les membres de ce projet, qui (1) a repoussé le début du registre archéologique de 700 000 ans et (2) est antérieur au genre Homo de 500 000 ans, certaines questions fondamentales concernant l'origine des compétences technologiques et des processus d'hominisation sont désormais caducs. Le projet innovant HOMTECH offre une occasion unique de discuter de la singularité des premiers artefacts en pierre taillée, de combler les lacunes archéologiques entre les sites Lomekwiens (3,3 Ma) et Oldowayens (2,6 Ma), et de comprendre les différences en terme de complexité des actions entre le Lomekwien et l’Oldowayen, ainsi que la fonction de ces outils. Ce projet tend à mieux appréhender l’identité des premiers artisans d’outils en pierre, de caractériser leur diversité et d’évaluer le lien entre cette dernière et leurs différences en terme de comportements de subsistance. Par ailleurs, HOMTECH contribuera à mieux comprendre (1) l'évolution des fonctions cognitives complexes (incluant la fabrication d’outils et la recherche de nourriture), ce qui nécessite l’étude de fossiles d’hominines et une comparaison avec les Hommes et les primates non-humains actuels ; et (2) l’analyse des caractères fonctionnels du membre supérieur et de la main associés à une manipulation de type humain, de ceux liés à des comportements locomoteurs notamment arboricoles.
Ce projet sera centré sur des travaux de terrain et sur l’étude de fossiles du Kenya, pays considéré comme l’un des « berceaux de l'humanité ». Nous nous focaliserons sur la période comprise entre 3,5 et 1,5 Ma, qui correspond aux premières industries lithiques et à la période d'un changement important tant du point de vue culturel, comportemental, anatomique que climatique. De nature pluridisciplinaire, HOMTECH se fonde sur des données de terrain extrêmement riches collectées par le West Turkana Archaeological Project (Nord Kenya WTAP/MKP dir. S. Harmand)), incluant le plus ancien assemblage de pierre taillée, daté de 3.3 Ma (Lomekwi 3) et les découverte récentes de nouveaux sites archéologiques et de restes de faune et d’hominines. Nous développerons une analyse technologique des productions lithiques, utilisant le concept de chaîne opératoire comme outil d’analyse et une approche comparative anatomique et morphométrique sur les hominines fossiles, les humains et les primates non-humains (ostéologie, neuroanatomie). Nous développons également un programme de réplications archéologiques expérimentales, combinant l’analyse de l’activation cérébrale (EEG) et la simulation biomécanique afin d’étudier les capacités cognitives et motrices impliquées lors des plus anciennes productions techniques.
Ce projet de recherche fondamentale en évolution humaine et archéologie préhistorique et cognitive a pour objectif de contribuer à l’avancée de nos connaissances dans le domaine de l'origine des innovations technologiques, de la cognition, de la motricité, de l’origine de l’Homme et des processus d’hominisation. Ce domaine de recherche répond à une demande importante tant de la communauté scientifique que du grand public au niveau national et international. Les résultats attendus alimenteront la discussion actuelle portant sur la définition du genre Homo, ses spécificités comportementales et les processus évolutifs sous-jacents. Ceci nous renvoie à un questionnement fondamental : dans quelle mesure la fabrication d’outils en pierre est-elle le propre de l’Homme?
Coordination du projet
Sandrine PRAT (Histoire naturelle de l'Homme préhistorique)
L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.
Partenariat
MNHN - UMR 7194 Histoire naturelle de l'Homme préhistorique
IPHEP Institut de paléoprimatologie, paléontologie humaine : évolution et paléoenvironnements
Aide de l'ANR 351 009 euros
Début et durée du projet scientifique :
février 2018
- 48 Mois