Exploration des premières innovations zootechniques dans les sociétés du sud-ouest asiatique (5e-1er millénaires av. J.-C.) – EVOSHEEP
evoSheep : Archéologie de l’élevage du mouton depuis 8000 ans en Asie du sud-ouest
Très tôt, les recherches sur la néolithisation et la domestication des plantes et des animaux et les domaines de l'archéozoologie et de la biochimie moléculaire ont considérablement enrichi nos connaissances sur les origines de la domestication. Cependant, peu d'études ont été menées jusqu'à présent sur le développement des races domestiques et les pratiques zootechniques des premiers éleveurs.
L’origine des innovations zootechniques et le développement des races de moutons entre le VIe et le Ier millénaires av. J.-C.
Depuis sa domestication, le mouton a joué un rôle majeur dans le développement des sociétés orientales dans une région caractérisée par une grande diversité géo-climatique. Aujourd’hui, sous la forme de races distinctes aux caractéristiques spécifiques, le mouton se trouve sur tous les continents. Le projet EvoSheep a pour visée de documenter comment les sociétés du Proche-Orient et du Moyen-Orient ont développé l'élevage ovin et comment cela a influencé leur histoire. Parmi les enjeux, l’un est d’identifier l’émergence des races ovines au cours de la complexification des sociétés du Proche et Moyen-Orient, l’autre est de distinguer le rôle des pratiques d'élevage et des facteurs environnementaux dans les modifications biologiques et physiques des moutons par rapport à leur ancêtre sauvage. Une série de thématiques sont abordées : 1) l’évaluation des facteurs environnementaux et anthropiques dans la diversification initiale des types de moutons, 2) la contribution des éleveurs au modelage du mouton pour développer la production de lait et de toison, 3) les variétés de moutons après le Néolithique en Asie du Sud-Ouest, 4) l’apparition de caractéristiques phénotypiques (queue grasse, toison laineuse, pigmentation, disparition de la mue). La question majeure est la relation entre la maîtrise de l'élevage ovin associée aux connaissances zootechniques et la mise en place de nouveaux systèmes économiques et socioculturels (urbanisation, développement des cités-états, expansion des empires). Basé sur l'étude des faunes archéologiques, EvoSheep propose une approche originale en introduisant des données issues des sources cunéiformes - ce qui n'a pas encore été appliqué à ce domaine - et en s'appuyant sur les progrès méthodologiques récents en archéozoologie et en paléogénétique.
L'objectif scientifique et technique du projet est de confronter des disciplines et des méthodes différentes pour comprendre l'émergence des races agronomiques. L’approche archéozoologique se base sur l’étude des faunes de sites du Proche Orient, (Syrie, Liban), d’Anatolie (Turquie), du Moyen Orient (Iran) et du Sud Caucase (Arménie, Azerbaïdjan) datés de la fin du Néolithique à la fin de l' Âge du Bronze. Le projet bénéficie de la mise en commun par les archéozoologues du consortium de données en partie inédites. L’objectif est d’apprécier la place du mouton dans les économies d’élevage et de repérer les modifications des gabarits ovins selon les périodes et les régions. L'approche archéo-historique s’appuie sur la documentation iconographique et épigraphique mésopotamienne pour rassembler les informations sur les élevages et sur les caractéristiques physiques des ovins afin d’identifier les différentes variétés de moutons et de dater leur présence. Les méthodes en morphométrie géométrique (GMM) sont utilisées de manière exploratoire sur certains os (os pétreux, talus et humérus) pour tenter de discriminer les formes sauvages et les populations d’ovins domestiques. Les analyses génétiques ont pour objectif d’identifier des gènes clés dans le processus de domestication des ovins et des régions génomiques associées à des traits phénotypiques d’importance évolutive et économique (toison, cornes, couleur, queue grasse). Les analyses génomiques et protéomiques ont permis de valider des identifications taxomiques basées sur l’anatomie osseuse. Le cadre chrono-culturel a été consolidé au moyen d’une série d’analyses 14C. Un référentiel ostéologique moderne a été constitué avec des moutons de races connues au Liban, en Turquie, en Iran et en Ethiopie pour les développements méthodologiques en morphométrie. Enfin, une base de données en ligne et à capacité évolutive, à vocation à libre accès, a été développée pour emmagasiner les données archéozoologiques et biométriques brutes, ainsi que les données issues des textes et des images. Elle est accompagnée d’une application interactive pour l’exploration statistique et l’interprétation des données.
L’expansion de l’élevage moutonnier est datée dans le nord de la Mésopotamie du IVe millénaire av. J.-C. dans un contexte de pré-urbanisation. Dès le 3e millénaire av. J.-C., il existe un brassage des moutons avec des importations de différentes régions. La diversification des toisons, des couleurs de pelage et des queues grasses est attestée dès 2500 av.J.-C. Les innovations zootechniques intègrent la pratique du retrempage (reproduction de brebis domestiques avec des mouflons sauvages) dont l’ancienneté n’était pas connue jusqu’à présent. Les races agronomiques, apparues bien après la dispersion des ovins par l’homme hors du centre de domestication au Proche-Orient, suivent une trajectoire évolutive qui leur est propree, comme le révèlent les caractéristiques morphométriques différentes des races orientales et des races africaines du corpus. Les régions génomiques clés associées à des traits phénotypiques d’importance évolutive et économique (toison, cornes, couleur, queue grasse) ont été mises en évidence. Trente-cinq nouveaux génomes complets de moutons des périodes Néolithiques et de l’âge du Bronze ont pu être générés, ce qui représente une quantité exceptionnelle pour des régions particulièrement arides et peu propices à la préservation d’ADN ancien. Enfin, de nouveaux référentiels biométriques sur des races indigènes orientales et africaines plus adéquats que les races européennes ont été constitués au cours du projet.
Le projet a permis de générer un grand nombre de données archéozoologiques, en morphométrie géométrique et en génomique. Les protocoles de morphométrie géométrique développés et validés dans le cadre d'EVOSHEEP pourront être réutilisés dans d'autres études archéozoologiques et dans la biométrie animale en général. De même, le référentiel de races modernes et les données métriques des moutons seront à la disposition de la communauté des archéozoologues.
La série exceptionnelle de modèles 3D réalisés pour les analyses GMM pourra être valorisée pour des recherches complémentaires. Déjà les recherches en GMM sur le talus ont inspiré un projet de thèse ambitieux en Sciences Fondamentales et Appliquées à l’université Côte d’Azur (M. Cornelli, CEPAM ; tutrice M. Vuillien, CEPAM) en codirection avec l’université Lyon 2 (E. Vila, Archéorient). La thèse a pour objectif de développer des solutions de « Machine Learning » pour capitaliser sur les capacités fines de catégorisation de l’intelligence artificielle dans le traitement des problématiques archéozoologiques (reconnaissance de forme des os de caprinés).
La base de données réalisée dans le cadre du projet EvoSheep, associée à une application Shiny et conçue pour pouvoir évoluer, offre une plateforme attractive à d’autres archéozoologues pour explorer, analyser et interpréter leurs données de manière approfondie. Elle va accueillir très prochainement une nouvelle section « Plant remains » (archéobotanique) qui va s’élaborer dans le cadre de l’ANR SWEED (PI M. Tengberg, AASPE et partenaire Archéorient-J. Chahoud).
Les résultats des recherches EvoSheep ont fait l’objet de cinq publications dans des revues internationales à comité de lecture et d’un chapitre d’ouvrage, de deux sessions et de dix-sept communications dans des colloques internationaux, de quatre articles IST (information scientifique et technique), de trois workshops et de trois séminaires.
EVOSHEEP se propose d’étudier comment les sociétés du Proche et Moyen Orient ont développé l'élevage ovin et comment ce dernier a influencé leur histoire. Notre projet s’appuie sur une approche pluridisciplinaire croisant les faisceaux de preuves provenant de sources de l'archéozoologie, de l'épigraphie, de l'iconographie et de la paléo-génétique à partir de séries archéologiques disponibles à grande échelle temporelle (6000-1000 BC) et géographique (Proche et Moyen-Orient, Caucase). Cette approche sur l’ancien sera complétée par des travaux sur des races de moutons actuelles du Liban, d’Iran, et d'Ethiopie. L’originalité d’EVOSHEEP est de croiser des approches morphométriques et génétiques sur les races anciennes et modernes afin de tenter de coupler phénotype et génotype pour retrouver le processus d'émergence des races de moutons dans le contexte de la complexification des sociétés du Proche et Moyen-Orient.
Coordination du projet
Emmanuelle VILA (Archéorient - Environnements et sociétés de l'Orient ancien)
L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.
Partenariat
Smurfit Institute of Genetics
AMIS Anthropologie moléculaire et imagerie de synthèse
Archéozoologie - CNRS Archéozoologie, archéobotanique
Archéorient - CNRS Archéorient - Environnements et sociétés de l'Orient ancien
LECA - UGA Laboratoire d'écologie alpine
Aide de l'ANR 558 608 euros
Début et durée du projet scientifique :
mars 2018
- 48 Mois