Insécurité et territoires: division sociale et participation politique – INSOCPOL
Insécurité et territoires en ïle-de-France depuis 1999
L’insécurité liée à la délinquance est un enjeu majeur des controverses politiques et des politiques publiques. On cherche à montrer comment cette insécurité se manifeste de façon variable selon les territoires. L’Île-de-France est un terrain propice pour un tel pro-jet : taux de victimation et indicateurs du sentiment d’insécurité y dépassent les moyennes nationales et les territoires y sont très divers.
Passer à l'analyse territoriale
L’analyse territoriale est une vieille branche de l’observation du crime. À l’arrière-plan, c’était les migrations qui étaient surtout visées, et les quartiers où s’installaient les migrants. La prise en considération des territoires a notamment resurgi dans le dernier tiers du 20ème siècle à travers l’attention portée aux désordres urbains. Les analyses, traditionnellement fondées sur les statistiques pénales, ont alors bénéficié de l’invention des enquêtes de victimation, qui interrogeaient aussi sur la manière dont les populations vivent la délinquance, le fameux sentiment d’insécurité. Des travaux, notamment américains, ont illustré la réapparition de l’analyse territoriale en utili-sant ces nouvelles bases de données et ont pointé la persistance des effets de quartier, amenant à écarter, pour prendre en compte ces effets, une analyse étiologique rivée à l’individu. En France, sur les deux dernières décennies, quelques travaux ont illustré la complexification progressive de l’analyse territoriale de l’insécurité, par la prise en compte non plus seulement des quartiers de relégation mais aussi de l’ensemble des territoires du pays. Des typologies de territoires ont commencé à se dessiner entre zones résidentielles aisées faiblement concernées par la délinquance, centres villes exposés à la victimation sans en être très inquiets, enfin des zones populaires de relégation également exposées mais beaucoup plus affectées. une première approche en Île-de-France a complété modèle en y ajoutant la figure plus paradoxale d’une banlieue excentrée faiblement exposée à la victimation et souvent peu apeurée, mais fortement crispée sur les préoccupations sécuritaires<br />Persistaient néanmoins plusieurs difficultés : tous ces travaux reposaient sur des populations d’individus – les enquêtés – alors qu’on cherche à atteindre des spécificités territoriales ; par ail-leurs, ils mobilisaient tous une seule source, l’enquête de victimation, utilisée pour renseigner à la fois sur les victimations et le sentiment d’insécurité, et pour saisir des caractéristiques territoriales à travers celles des individus-enquêtés. INSOCPOL a cherché à contourner ces problèmes en adoptant comme population d’analyse non plus des personnes mais des unités territoriales, puis en recherchant des indicateurs de ces territoires à travers une diversité de bases de données et non plus une seule sorte d’enquête. <br />Aux enquêtes de victimation n’ont été empruntées que des variables permettant de bâtir des indicateurs de victimations et de sentiment d’insécurité. La composition socioprofessionnelle venait en première ligne pour cerner les caractéristiques des territoires, mais elle ne suffisait pas. L’importance des débats sur l’immigration, son poids particulier en Île-de-France invitaient à disposer aussi de données sur la répartition migratoire des espaces. Enfin, la place de l’insécurité dans le débat public poussait à construire un indicateur des comportements politiques.
L’analyse travaille sur 4 bases de données
• Les enquêtes biennales de l’Institut Paris Région depuis 2001 ont fourni les données relatives aux victimations affectant les individus ou les ménages ; peurs dans les trans-ports en commun, le quartier, le domicile) ; préoccupations pour des problèmes sociaux (chômage, santé, pollution) ; troubles de voisinage.
On a cherché dans un premier temps à décrire et évaluer les évolutions dans ces groupes de variables à l’aide d’un premier fichier. L’analyse a révélé de faibles variations de l’ensemble de ces indicateurs au cours du temps. Pour valider cette première analyse descriptive, nous avons procédé à une analyse multi-tableaux sur fichier cumulé. Les évolutions observées sur certains indicateurs spécifiques n’étaient pas de nature à constituer des changements notables, et surtout elles affectaient de manière sensiblement identique les différents territoires, confortant ainsi la thèse de la stabilité en structure du rapport à l’insécurité sur une période de plus de quinze ans à l’échelle de l’Île de France. Il était donc légitime de travailler sur l’empilement des enquêtes IPR.
• la typologie de l’espace francilien établie par Edmond Préteceille à partir des recensements de 1999, 2008 et 2013 a fourni une double base de données :
o la composition socio-professionnelle ;
o la composition migratoire
• les comportements politiques ont été recueillis à partir des résultats des élections présidentielles, européennes et régionales entre 1999 et 2019.
Restait encore à déterminer à quelle échelle territoriale on pouvait combiner, dans une même analyse, des données individuelles qui fassent sens pour les intéressés et des données collectives décrivant les espaces.
L’échelle à laquelle le projet prévoyait d’opérer était l’IRIS : mais les données de victimation et d’insécurité ne présentaient que 50 000 cas irisés utilisables ce qui était nettement insuffisant compte tenu du nombre d’IRIS franciliens. Ce qui aurait été gagné en précision territoriale aurait été perdu en fiabilité de l'information statistique.
Au bout du compte, la commune – ou l’arrondissement à Paris – s’est imposée comme le meilleur choix d’unité territoriale. On a cependant abandonné les communes comptant moins de 50 enquêtés dans l’empilement des enquêtes. Situées en grande banlieue, quoique très nombreuses, elles ne réunissent au total, en raison de leur petite taille, que quelque 12% de la population francilienne.
À partir des caractéristiques des IRIS, on a défini un type par commune – ou par arrondisse-ment à Paris – qui reflète le type majoritaire (en nombre d’habitants) des IRIS qui la composent. Les typologies réalisées à partir des individus, projetées dans le périmètre territorial des IRIS, sont ainsi étendues à une échelle supérieure.
On a assemblé toutes ces données dans un tableau où chaque ligne est une commune francilienne, chaque colonne une variable indiquant son profil de composition sociale et migratoire, de victimation, de peurs, de préoccupations, de rapport au quartier et enfin de résultats électoraux. On compare ainsi des territoires et non des individus. On a soumis ce tableau à une analyse factorielle multiple suivi d’une classification qui a produit 8 classes représentant 4 pôles.
Deux pôles parisiens, l’un peu exposé à la délinquance, l’autre survictimé, résistent au senti-ment d’insécurité. Un troisième pôle de banlieue éloignée, quoique peu exposé à la délinquance, voit fleurir de grandes préoccupations liées à la délinquance. Le quatrième pôle combine exposi-tion élevée à la délinquance et importants sentiments d’insécurité.
Dans cette typologie, les indicateurs de victimation, de peurs et de préoccupation sécuritaire se combinent de façons variées selon les territoires : si l’exposition à la délinquance tient à la position géographique – elle culmine dans la capitale et dans sa proche banlieue prolétaire – l’insécurité, elle, tient plus à une position sociale dominée.
Certaines de ces combinaisons sont logiques. Ainsi des territoires très bourgeois de l’ouest pari-siens qui combinent faible victimation et faible sentiment d’insécurité. Autre cas de figure logique : les territoires à forte composante immigrée de la proche banlieue nord-est subissent une forte pression délinquante qui vient s’ajouter à une précarité économique et sociale ; logique-ment, on y observe aussi une forte insécurité.
D’autres configurations sont contre-intuitives. Ainsi de territoires parisiens peuplés de diverses classes supérieures : une exposition marquée aux victimations de proximité n’y déclenche pour-tant pas d’insécurité. Autre cas de figure inattendu : aux confins nord, est et sud, peuplés de pe-tites classes moyennes ou de classes populaires traditionnelles, la faible pression délinquante n’empêche pas une préoccupation sécuritaire où se lit la hantise de la précarisation et le souci de se distinguer d’un prolétariat à forte dimension immigrée qui se manifeste par un éloignement progressif des partis traditionnels de droite comme de gauche et une progression continue depuis 2011 du front (Rassemblement) national.
Au cours de la période étudiée, les territoires franciliens ont vu leurs caractéristiques bouger : leur composition socioprofessionnelle a glissé vers les groupes supérieurs. La pression migratoire a aussi notablement évolué. Quant aux votes, le renforcement de l’extrême-droite, l’émergence des écologistes et du macronisme ont déstabilisé le duopole droite-gauche. Par contraste, les structures de l’insécurité sont restées plutôt stables, en tous cas davantage que leur profil social ou l’origine migratoire de leurs populations. Ainsi une analyse résolument territoriale fait émerger des particularités qui échappent souvent à l’analyse centrée sur les individus.
Au total, cet exercice présente l’inconvénient de n’avoir pu descendre à une échelle infra-communale faute de disposer d’effectifs suffisants d’enquêtés, et plus encore peut-être de n’avoir pu, pour la même raison, inclure pleinement les petites communes du rurbain. Cette double li-mite ne l’empêche pas de contribuer au dévoilement de la typologie territoriale de l’insécurité. On est tenté de le répliquer au-delà de la seule Île-de-FranceFrance sur la base des enquêtes Cadre de vie et sécurité conduites entre 2007 et 2019 par l’INSEE en valorisant des variables territoriales confidentielles rendues disponibles par la diffusion récente des fichiers via le CASD. On pourrait explorer les questions suivantes :.
• la quadripartition observée à partir des données INSOCPOL se retrouve-t-elle à l'échelle nationale ?
• les agglomérations des grandes métropoles régionales présentent-elles les mêmes caractéristiques que l'agglomération parisienne ?
• existe-t-il une configuration globale homogène de l'insécurité en milieu rurbain et rural ?
• pour l'Île de France seule, obtient-on les mêmes résultats avec les CVS et avec les données IPR ? (ce qui permettra de calibrer la comparaison entre différences d'instruments et différences de territoires) ;
Ce projet valoriserait des fichiers inédits des enquêtes CVS, en réalisant une compilation géolocalisée des fichiers. Il enrichirait cette base à partir des données du recense-ment et des résultats électoraux, mettant ainsi à disposition de la communauté scientifique de nouvelles typologies exploitables et réutilisables. Il s’appuie sur l’avis favorable de l’INSEE et du Comité du Secret Statistique pour l’accès aux données et la réalisation des traitements (scss 3515-1 – point M1139). La recherche permettra d’étudier de façon inédite des territoires n’ayant jamais fait l’objet d’une analyse quantitative spécifique en matière de victimation et d’insécurité (métropoles régionales, zones rurales). La comparaison avec les enquêtes IPR et le retour d’expérience du programme CVS permettront d’enrichir la réflexion en cours sur la conception des futures enquêtes de victimation – la plus importante mesure de la criminalité à victime directe - dont le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSM-SI) aura la charge à partir de 2022. Les méthodes utilisées s’inscrivent dans le développement récent de l’analyse multivariée des grandes bases de données, en associant approches linéaires (géomé-triques) et non linéaires (topologies), et en valorisant le géocodage des enquêtes et dé-bouchant sur des visualisations factorielles, spectrales et cartographiques. Elle ouvre la perspective à une approche combinée des méthodes multivariées et des modélisations multiniveaux.
Jardin, A., Préteceille E., Robert Ph., Zauberman R., 2021 Territoires et insécurité en Île-de-France, Déviance et Société 45, 2, 319 55. doi.org/10.3917/ds.452.0121
La question sociale est-elle en train de revenir sous les espèces d’une question urbaine du risque? À cette interrogation, ce projet veut répondre en analysant, dans une grande métropole, les inscriptions sociales de l’insécurité en fonction de la distribution socioprofessionnelle des espaces urbains et des positions poli-tiques.
Il mobilise trois bases de données, en opérant au niveau de l’IRIS pour atteindre un niveau précis d’analyse territoriale. À partir des enquêtes sur la victimation et l’insécurité en Île-de-France il explorera les différentes combinaisons de ses deux facettes, l’exposition à la victimation et le sentiment d’insécurité, et localisera leurs territoires. Ces résultats (produits par le CESDIP) seront confrontés avec les données sur la division sociale de l’espace francilien et son évolution (OSC) et celles sur les comportements politiques tirés des résultats électoraux publiés par le Ministère de l’Intérieur. Les bases disponibles permettent de comparer également les évolutions de ces trois sortes de données sur plus d’une quinzaine d’années (1998-2015).
La jonction des données est opérée sur une base cartographique à partir de la ventilation des données dans le découpage de référence des IRIS. La deuxième tâche est l'analyse de type typologique des bases de données ainsi constituées. Les techniques avancées d'analyse géométrique des données (AFM, MCOA, STATIS) sont mobilisées pour contourner les écueils de l'erreur écologique survenant dans les approches classiques de modélisations. L'utilisation des méthodes de classification non supervisée (KRLS) permettra cependant de formaliser les relations entre les variables observées. Les bases de données compilées dans le cadre de ce projet, tout comme les supports cartographiques permettant d'associer le découpage des IRIS à celui des bureaux de vote, seront pérennisées et diffusés à la communauté scientifique, offrant de nom-breuses perspectives pour de prochaines analyses et l'établissement de comparaison régionales à l'échelle française ou internationale.
Cette pérennisation sera facilitée par l’existence d’un Observatoire scientifique du crime et de la Justice (OSCJ oscj.cesdip.fr) créé dans le cadre d’un projet de recherche ISIS de l’Université Paris Saclay.
Coordination du projet
Renée Zauberman (Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales)
L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.
Partenariat
CESDIP Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales
FNSP-OSC FONDATION NATIONALE DES SCIENCES POLITIQUES - Observatoire sociologique du changement
Aide de l'ANR 156 565 euros
Début et durée du projet scientifique :
septembre 2016
- 36 Mois