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Présence d'esprits: Modalités de présentification des entités invisibles dans l'aire himalayenne – présencedesprits

Présence d'esprits. Modalités de présentification des puissances invisibles dans l'Himalaya

Notre projet s’inscrit dans une recherche fondamentale en anthropologie. Il veut contribuer au renouvellement de l’étude des phénomènes de possession en général (incluant le chamanisme) à partir de 1) l’étude des procédés de présentification des puissances spirituelles incluant leurs différentes formes matérielles (artefacts, langage rituel, manifestations naturelles) et 2) l’étude comparée des variations et des transformations de ces procédés dans les sociétés himalayennes.

Modélisation des phénomènes chamaniques et de possession à partir du traitement des micro-transformations régionales

Contrairement à d’autres domaines régionaux, comme l’ethnologie amérindienne par exemple, les études himalayennes n’ont guère de visibilité en tant que telles, comme si, située entre l’Inde et le Tibet, la région n’était pas parvenue à se forger une identité ni à se constituer en source d’inspiration ethnographique dans l'élaboration des débats anthropologiques. Un premier objectif de notre projet est de contribuer à sortir les études himalayennes et plus généralement notre discipline anthropologique de l’éclatement qu’elles traversent dans une période qui a rejeté les grandes théories généralisantes afin de proposer une réflexion collective commune pour surmonter les problèmes d’hyper-spécialisation, tout en profitant des compétences qu’elle génère. Notre projet a pour ambition de parvenir à modéliser les phénomènes chamaniques et de possession à partir du traitement des micro-transformations régionales, une recherche que seul un travail collectif peut mener à bien. <br />Les premiers ethnographes dans la région se sont attachés à identifier les spécialistes rituels qu’ils rencontraient et à définir les catégories auxquelles ils pouvaient rattacher leurs descriptions (Hitchcock, J et Jones, R. L. 1976). Dans un second temps, ils ont sociologisé leurs analyses, en inscrivant les phénomènes religieux qu’ils observaient dans l’histoire politique et dans les rapports de forces entre groupes (Lecomte-Tilouine 2009). Cependant, l'approche ne cherchait alors pas à étudier ces phénomènes pour eux-mêmes. Les remises en question récentes de la dichotomie entre sujet et objet inspirées de la philosophie (Latour, B. 1999), les études sur l’agentivité des objets (Gell, A. 1998) ou les réflexions sur la matérialité (Miller, D. 2005) et celles sur les modes de présence des acteurs sociaux (Piette , A. 1999), fournissent les questionnements théoriques et méthodologiques nécessaires à renouveler notre approche des phénomènes de possession.<br />

La méthode comparative vise à éclairer le jeu de correspondances et de transformations dans le temps et dans l’espace qui caractérise les pratiques chamaniques et de possession à l’échelle régionale, afin d'en comprendre les articulations et ainsi approfondir notre compréhension des différentes façons dont les êtres humains appréhendent le monde dont ils participent.
Afin de poser les jalons d'une analyse combinatoire de la possession visant à saisir les transformations spatiales et temporelles qui la caractérisent, nous avons isolé quelques unes de ses “formes élémentaires”, que nous étudierons à une échelle régionale et inter-ethnique.
Vocabulaire. Un travail préliminaire consistera à établir le noyau sémantique de la possession et du chamanisme, par la constitution d'un lexique de sa métalangue et l'analyse de ses champs de signification.
Langage ritual. Une attention toute particulière sera portée à la partie langagière du rituel: sa polysémie, qui confère au caractère restreint du lexique un champ interprétatif large et ouvert, ses archaïsmes, l’utilisation d’une langue cosmopolite empruntant une part importante de son lexique à des langues étrangères, son usage exclusivement rituel ou pas etc.…
Procédés de présentification du divin et étude des artefacts associés. Chamanisme et possession se caractérisent par l'incorporation du divin, c’est-à-dire par la fabrication de « dieux-sujets » aux méthodes de communication verbales et comportementales, qui n'excluent pourtant pas les « dieux-objets » (Marc Augé 1998) et les objets cultuels. Ces derniers, s'ils ne forment pas le coeur du champs rituel, l'entourent de leurs présences fondamentalement mystérieuses dans un sens qu’il nous faudra définir.

Les résultats de ces 6 premiers mois consistent en 1) un séminaire de recherche mensuel, 2) la préparation d’un site web et 3) la préparation des missions qui, à part celle d’Anne de Sales en avril 2014, commenceront à l’automne 2014 .
Notre programme de recherche a commencé officiellement le 15 février 2014 mais Marie Lecomte-Tilouine et Anne de Sales y ont travaillé en amont, en organisant un séminaire doctoral sur le thème de recherche du programme qui a commencé le 6 décembre 2013. Ce séminaire avait une visée comparative, voire théorique, et n’était pas centré exclusivement sur l’aire culturelle himalayenne. Cependant deux spécialistes reconnus de l’Himalaya, John Leavitt Professeur à l’université de Montréal et Gregory Maskarinec, professeur à l’université de Hawaï, ont été invités à faire une conférence. Leur présence en France a été l’occasion de deux réunions plus amicales autour d’un dîner. En outre, chacune de ces sept séances de séminaire public ont été prolongés par une réunion interne aux membres du projet qui étaient présents en France à ce moment.
Dans la mesure du possible, les conférences ont été enregistrées et sont déposées sur le site web dédié au projet qui reste à être nourri. Par ailleurs, Anne de Sales a fait une première mission sur le terrain au Népal (5/04/2014-16/05/2014) avec le projet de commencer à repérer une certaine répartition des spécialistes rituels dans la vallée de Katmandou. Marie Lecomte-Tilouine a conçu un questionnaire sur les manifestations de l’invisible, qui s’adresse à des spécialistes rituels comme à des gens ordinaires. Tant qu’elle était sur le terrain, Anne de Sales a organisé trois assistants népalais chargés de mener ces entretiens, de les enregistrer et de les transcrire afin de commencer à construire un corpus de données. Ce projet est de longue haleine et se poursuivra dans les mois qui viennent.

Les perspectives sont de deux ordres : 1) des missions sur le terrain pour commencer un travail de collecte de données dans la perspective de notre argument sur la présentification des puissances invisibles ; 2) l’organisation de plusieurs séances de « retour du terrain » en interne avec les membres du projet ; 3) l’invitation de conférenciers afin de poursuivre notre réflexion théorique et enfin 4) l’organisation d’une première journée d’étude sur le thème de l’interface des hommes et des objets dans les rituels de possession et chamaniques.
Sont prévues pour l’automne 6 missions sur le terrain : Marie Lecomte-Tilouine fera une mission avec l’ethnomusicologue Frank Bernède dans l’ouest du Népal où la tradition bardique est encore exceptionnellement vivante; David Andolfatto explorera les sites archéologiques fort mal étudiés jusqu’à présent à la recherche notamment d’indices concernant la présence de médiums dans l’architecture médiévale khas, à l’ouest du Népal; Grégoire Schlemmer partira sur le terrain au sein d’une communauté Rai de l’est du Népal très désireuse de filmer elle-même ses propres rituels; Anne de Sales poursuivra sa recherche comparative des spécialistes rituels dans la vallée de Katmandou mais explorera aussi une tradition de possession dans une région frontalière avec le Tibet et caractérisée par la rencontre entre des populations d’origine tibétaine et bouddhistes et des populations hindoues ; enfin Daniela Berti retournera sur son terrain indien, en Himachal Pradesh pour étudier notamment l’interdiction récente des sacrifices sanglants et ses conséquences.

Aucune publication ne peut être encore rattachée à ce programme de recherche, mais Marie Lecomte-Tilouine et Anne de Sales sont sur le point d’achever l’édition d’un collectif sur les « Paroles de vérité dans l’Himalaya » qui prolonge la réflexion sur la présence des puissances invisibles à travers le langage —l’un des trois thèmes sur lesquels notre programme soumis en janvier 2013 prévoyait de se concentrer (cf. Méthodes).

Présence d’esprits :
modalités de présentification des entités invisibles dans l’Himalaya

Ce programme s’inscrit dans une recherche fondamentale en anthropologie et veut contribuer au renouvellement de l’étude des phénomènes de possession en général (incluant le chamanisme) à partir de 1) l’étude des procédés de présentification des puissances invisibles incluant leurs différentes formes matérielles (artefacts, langage rituel, manifestations naturelles) et 2) l'étude comparée des variations et transformations de ces procédés dans les sociétés himalayennes. À l’intérieur de systèmes religieux et d’idéologies hérités de l’Inde, du Tibet et même de l’occident, les populations de ces régions ont développé et cultivé les pratiques médiumniques et chamaniques. Cette forme de religiosité qui fait s’exprimer des puissances invisibles par le corps et la bouche des hommes vise à intervenir sur le sort des êtres humains et à contrôler les aléas de leur existence. Loin de représenter des occurrences marginales, sorte de dérapages des systèmes dominants, il faut comprendre ces pratiques en interaction avec ces derniers.
Maladie, malchance, ou cataclysmes sont «pris en charge» par des pratiques de communication directe avec les puissances invisibles censées présider au contingent et à l’inexplicable. Les événements sont ainsi rendus intelligibles et situés dans une chaîne d’explications causales d’où l’homme n’est pas absent, mais au contraire se place en position d’y remédier. En somme, les humains parviennent à instaurer un ordre dans leur existence en investissant des puissances invisibles du pouvoir d’y présider. On considérera qu'il s'agit d'une sorte d’enchâssement d’agentivités par lequel les humains tiennent leur pouvoir d'action de celui dont ils créditent des entités invisibles. Ce point de vue permet de réinterroger le vaste ensemble des pratiques de possession dans les sociétés himalayennes et au-delà.
En effet, dans les travaux à visée théorique traitant de ces pratiques, il a longtemps été question de délimiter de manière catégorique les registres propres au médiumnisme ou au chamanisme. Or les individus concernés sont plus préoccupés par l’efficacité de ces pratiques que par leur catégorisation. C’est pourquoi notre étude se propose de recueillir de nouvelles observations en donnant une place primordiale à la dimension émique de ces phénomènes qui a été trop négligée. On se focalisera en premier lieu sur les expériences, les conceptualisations et les matérialisations des puissances invisibles, incluant aussi bien les discours ordinaires (récits de rêves, de révélations, de rencontres avec des êtres fantastiques) que les discours rituels, dont plusieurs études ont déjà montré qu’ils étaient « chosifiés » ; les procédés rituels que les artefacts ; les manifestations naturelles que les performances artistiques dont certaines atteignent au divin par leur perfection ; les interactions enfin, rituelles ou pas, entre les acteurs. Notre réflexion portera sur la tension entre le caractère immatériel des puissances invisibles sur lequel repose leur autorité et leur matérialisation qui leur confère leur pouvoir. Certains ont suggéré que plus les divinités étaient conçues comme hors de la portée des humains et plus grands étaient les efforts mis dans leur matérialisation. Comment placer les phénomènes de possession par rapport à cette hypothèse ? Une enquête comparative fine doit nous permettre d’envisager plusieurs modalités de présentification des entités invisibles afin d’approfondir notre compréhension des différentes façons dont les êtres humains appréhendent le monde dont ils participent. Enfin, ces phénomènes sont inscrits dans des systèmes sociohistoriques dynamiques, qui recèlent les conditions mêmes de leurs transformations et l'émergence de nouvelles configurations suscitant rejet ou violence retiendra notre attention, comme une nouvelle sorte de possession féminine apparue récemment au Népal.

Coordinateur du projet

Madame Anne DE SALES (Laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative - UMR 7186) – anne.de-sales@mae.u-paris10.fr

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

CNRS Laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative - UMR 7186

Aide de l'ANR 256 601 euros
Début et durée du projet scientifique : février 2014 - 42 Mois

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