Ciblage de la télomérase et/ou des G-quadruplexes pour un diagnostic tumorospécifique – TuMOR TAG
Le ciblage des structures inhabituelles d’ADN pour des applications anticancéreuses
Etudes in extenso de tétrades de guanines synthétiques hydrosolubles comme agents thérapeutiques à très fort potentiel : conception et synthèse des premiers prototypes de ligands de quadruplexe biomimétiques & études de leur propriétés anticancéreuses spécifiques.
La chimiothérapie s’appuie sur des molécules interagissant avec l’ADN des cellules cancéreuses, mais de façon peu sélective; une nouvelle perspective de sélectivité ? Les structures non-duplexes d’ADN
L'ADN est une cible anti-cancéreuse aussi connue que perfectible. Un nombre important de petites molécules capables de se lier fortement à l’ADN (appelés ligands ou plus souvent intercalants d’ADN) est actuellement utilisé en clinique. Cependant, ces molécules ne peuvent créer avec le duplexe d’ADN qu’un nombre limité de contacts, elles sont donc incapables de reconnaître des séquences d’ADN spécifiques ; ainsi, étant peu sélectives, elles sont responsables d’effets secondaires non désirés (alopécie, etc.). Ceci explique pourquoi l'intérêt pour l’ADN en tant que cible chimiothérapeutique s'est progressivement estompé. Très récemment, ce domaine a connu un nouvel essor avec la découverte que l'ADN n'existe pas seulement sous la forme de double-hélice (ou duplexe) dans la cellule, mais qu'il peut revêtir une grande variété de structures alternatives (triplexe, quadruplexe, etc.,) qui jouent des rôles clés dans un contexte tumoral. Cette découverte a offert aux chimistes un champ d’investigation sans précédent dans la conception et la synthèse de molécules originales qui, dans l’idéal, sont capables de reconnaître efficacement ces nouvelles cibles d’ADN (affinité) sans interagir avec le duplexe d’ADN (sélectivité). C’est dans ce contexte que notre laboratoire a décidé d’étudier une classe de composés spécifiques pour les quadruplexes d’ADN, dans le but d’établir une stratégie anticancéreuse plus efficace et sélective.
Le tout premier exemple de molécules capables d’interagir efficacement avec les quadruplexes d’ADN (appelés ligands de quadruplexe) a été reporté en 1997 par les groupes de S. Neidle (School of pharmacy, Londres, UK) et L. Hurley (University of Arizona, USA). Depuis, des recherches intensives ont conduit à l’identification de centaines de candidats prometteurs. Cependant la plupart d’entre eux ont été conçus à partir de motifs moléculaires propres aux intercalants d’ADN ; cette approche peut paraître peu judicieuse puisque les interactions avec les duplexes d’ADN sont à proscrire pour qu’un ligand de quadruplexe puisse être considéré comme un agent thérapeutique sélectif. Dans le cadre de ce projet ANR, nous avons mis en place une stratégie tout à fait nouvelle : pour interagir fortement mais surtout sélectivement avec les quadruplexes, nous nous sommes inspirés de la stratégie mise en place par la nature elle-même pour faire des quadruplexes des édifices très stables. L’idée est très simple : les quadruplexes d’ADN sont des structures très stables car elles résultent de l’empilement de tétrades de guanines (formées par l’auto-association de quatre guanines dans un même plan) ; la relation entre la stabilité des quadruplexes et le nombre de tétrades de guanines qui les composent est directe : plus le nombre de tétrades est élevé, plus le quadruplexe est stable. Nous avons donc conçu, synthétisé et étudié des tétrades de guanines synthétiques comme ligands de quadruplexes ; les composés obtenus sont les tous premiers exemples de ligands de quadruplexes biomimétiques.
Au cours des trois années de ce projet, nous avons réussi le pari de convertir un concept (l’utilisation de tétrades de guanines synthétiques en tant que ligands de quadruplexes biomimétiques), sans aucun précédent scientifique, en une réalité scientifique : nous avons tout d’abord validé le concept avec l’étude de composés nommés DOTASQ et PorphySQ qui sont les toutspremiers prototypes de ligands biomimétiques. Puis une seconde génération de ligands biomimétiques a été conçue, se caractérisant par une reconnaissante dite « intelligente » des quadruplexes d’ADN (faisant intervenir un réarrangement structural du ligand au contact de sa cible quadruplexe seulement), faisant de ces composés nommés PNA-DOTASQ et PNA-PorphySQ, les tous premiers prototypes de ligands intelligents (dit « smart ligands » en anglais). L’ensemble de ces composés s’est aussi illustré par la diversité de ses applications, devenant des pierres angulaires de développements nanotechnologiques (i.e., pre-catalyseurs de réactions enzymo-mimétiques de type TASQzyme et/ou DNAzyme, etc.).
Les résultats obtenus dans le cadre du projet TuMOR TAG sont intéressants non seulement per se mais aussi pour l’ensemble des perspectives qu’ils ouvrent : avant nos travaux, les ligands de quadruplexes étaient conçus selon un processus certes efficace mais stratégiquement risqué, car basé principalement sur une validation a posteriori des ligands sur la base d’une analyse empirique des résultats obtenus. L’approche est ici différente en ce sens où les tétrades de guanines synthétiques ont non seulement été validées en tant que premiers exemples de ligands biomimétiques (extrêmement prometteurs qui plus est), mais aussi parce qu’elles permettent l’avènement de nouvelles générations de ligands encore plus sophistiquées, comme les ligands dit « intelligents » que sont les PNA-DOTASQ par exemple. Dès lors, seule la créativité des chercheurs représente un frein à l’émergence de ligands biomimétiques dotés de nouvelles propriétés et, alors que nous travaillons actuellement à leur application en tant que sondes d’imagerie (par fluorescence notamment) par exemple, il nous est difficile de réellement sonder leur potentiel applicatif tant les possibilités sont multiples et multidirectionnelles. Nous pouvons en tous cas parier d’ores et déjà et sans risque sur le fait que l’avenir proche nous confirmera rapidement tous les espoirs que nous plaçons dans les ligands d’ADN biomimétiques, que ce projet ANR nous a permis de découvrir et étudier.
L’ensemble de ces travaux a été très bien perçu par notre communauté comme en témoigne le nombre et la qualité des articles qu’ils ont générés (13 articles publiés dans des journaux internationaux à fort facteurs d’impact IF (J. Am. Chem. Soc. 2011 & 2013 (IF=10.67), Chem. Commun. 2011 & 2013 (IF=6.38), Chem. Eur. J. 2011 & 2013 (IF=5.83), Nucleic Acids Res. 2012 (IF=8.28), ChemBioChem 2012 (IF=3.74), Org. Biomol. Chem. 2012 (IF=3.57), Biochimie 2012 (IF=3.14), ChemMedChem 2014 (IF=3.07), Inorg. Chem. 2014 (IF=4.59) et Nanoscale 2014 (IF=6.23), avec un IF moyen de 6.03)). L’intérêt que nous ont porté nos pairs s’est également manifesté par des invitations à participer à des ouvrages, avec un chapitre sur les applications nanotechnologiques des tétrades synthétiques dans « DNA in Supramolecular Chemistry and Nanotechnology », E. Stulz, G.H. Clever (Eds.), Wiley-VCH: Weinheim, 2014 et deux chapitres sur la reconnaissance biomimétique des quadruplexes dans « Biological relevance and therapeutic applications of DNA and RNA quadruplexes », D. Monchaud (Ed.), Future Science: London, 2014, dont j’ai l’honneur d’avoir été nommé éditeur.
Le présent projet tend à développer une nouvelle génération d’outils moléculaires pour l’imagerie médicale tumoro-spécifique. Ce projet, résolument à l’interface des domaines de la chimie, de la biophysique et de la biologie, vise plus particulièrement le développement et les applications de nouveaux radio-traceurs sélectifs des tissus tumoraux. Pour cela, nous allons synthétiser de petites molécules équipées d’un complexe de radio-métal qui permettra la détection via des techniques d’imagerie médicale nucléaire. Nous allons nous attacher tout particulièrement à utiliser des molécules d’accès synthétique aisé, avec des cibles biologiques bien identifiées et surexprimées dans un contexte tumoral (par rapport à un contexte sain) Notre approche sera donc progressive :
a) notre première série de molécules ciblera la télomérase ; cette enzyme, dont les découvreurs ont tout récemment été les lauréats du Prix Nobel de Médecine, est une protéine particulièrement importante car elle joue un grand rôle dans le processus d’immortalisation des cellules cancéreuses. La télomérase est surexprimée dans une vaste majorité des cancers (~85% des tissus testés) alors qu’elle ne l’est pas dans les cellules saines, et ne l’est qu’à un niveau basal dans les cellules germinales. La télomérase est ainsi un « marqueur de tumeur » à très fort potentiel, car très spécifique. Nous nous proposons donc de développer des molécules capables de cibler une courte séquence d’ARN accessible au niveau de son site actif, via une stratégie de type ‘anti-sens’ ; pour cela, nous allons développer des chimères d’ADN, de type peptidique (PNA, pour peptidic nucleic acids, ou GPNA, pour guanidine-based PNA), connus pour être plus simple à synthétiser que l’ADN correspondant, plus robustes en milieu intracellulaire, et capables de former des duplexes chimériques PNA/ARN de très haute stabilité. Ces dérivés seront ensuite équipés d’un macrocycle polyazoté (de type cyclène ou cyclame), capable de fixer efficacement et durablement des radio-métaux (tel que l’111In par exemple) utiles à la détection par imagerie médicale nucléaire.
b) notre deuxième série de molécules ne ciblera plus seulement la télomérase mais simultanément l’enzyme ET son substrat. Comme son nom l’indique, la télomérase interagit avec les télomères, qui sont des complexes nucléoprotéiques qui stabilisent les extrémités des chromosomes ; la télomérase interagit plus particulièrement avec le composant ADN de ces complexes, l’ADN télomérique. Sachant que cet ADN est riche en guanine et qu’il est présent naturellement sous une forme simple brin, il possède la caractéristique de pouvoir se structurer dans une conformation tridimensionnelle particulière, l’ADN quadruplexe. Ainsi, nous allons dans un deuxième temps équiper les peptides précédemment préparés ((G)PNA - macrocycles polyazotés) avec des molécules capable de se fixer durablement avec des quadruplexes d’ADN (dits « ligands de quadruplexe »). Ce faisant, nous espérons augmenter l’efficacité de notre détection, en accroissant non seulement la spécificité de l’interaction molécule/cible, mais également en augmentant le temps de résidence cytoslique de nos conjugués, gage d’une amélioration du signal de détection.
c) enfin, notre troisième série de molécules ne ciblera plus que les quadruplexes d’ADN. En effet, il est désormais acquis que ces structures particulières d’ADN jouent un rôle important dans de nombreux processus biologiques clés ; en revanche, alors que l’existence a été largement démontrée in vitro, il existe toujours un débat quant à la véracité de leur existence in vivo. C’est pourquoi, sur la base de l’expérience qui sera acquise au cours des investigations précédentes, nous développerons une série de complexes de radio-métaux sélectifs pour les quadruplexes, qui nous permettra « d’imager » les quadruplexes d’ADN in situ, et ainsi de contribuer à lever l’ambiguïté relative à leur existence in vivo.
Coordination du projet
David MONCHAUD (CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE - DELEGATION REGIONALE CENTRE-EST)
L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.
Partenaire
ICMUB CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE - DELEGATION REGIONALE CENTRE-EST
Aide de l'ANR 185 000 euros
Début et durée du projet scientifique :
- 36 Mois