De la publicité au marketing scientifique : entreprises, médecins et construction des marchés pharmaceutiques – GEPHAMA
De la publicité au marketing scientifique :
entreprises, médecins et construction des marchés pharmaceutiqu
Une étude des transformations des relations entre sciences et marchés du médicament au 20ème siècle
Depuis le début des années 1990 l’histoire de la pharmacie a été profondément renouvelée par une attention accrue pour la production des savoirs, les « trajectoires » de médicaments et la régulation des marchés du médicament. Paradoxalement, cette nouvelle historiographie n’a pas pris pour objet la commercialisation même si la pharmacie était, durant la première moitié du 20ème siècle, par lemontant de ses investissements, un producteur de réclames et d’annonces publicitaires. L’objectif du<br />projet GEPHAMA était donc d’entreprendre une histoire comparative de la publicité pharmaceutique au 20ème siècle en France et en Allemagne ; une histoire qui prenne en compte à la fois les savoirs, les pratiques et les usages des médicaments objets de cette publicité. Il s’agissait de s’intéresser non seulement aux activités de marketing des firmes et des publicitaires mais aussi aux liens qu’elles entretiennent avec la recherche, avec la prescription et le travail clinique, avec le droit et les régulations du médicament. L’ambition du projet était d’apporter par là une meilleure connaissance de ce qu’a été et est encore aujourd’hui le marketing pharmaceutique afin d’échapper a un double piège : celui des explications du type « capture » des professionnels par une industrie créatrice de « faux » besoins, et celui des lectures en termes « d’exception » voyant dans le développement des marchés du médicament un problème ’innovation freinée par les régulation bureaucratiques.
Pour analyser la construction des marchés du médicament en France et en Allemagne au 20ème siècle, le projet entendait privilégier les pratiques des firmes et des compagnies et a porté sur un nombre limité de classes thérapeutiques : antalgiques, somnifères et psychotropes, hormones sexuelles, et antidiabétiques.
Le point de départ était une périodisation en deux régimes qui a été confirmée et affinée par l’enquête croisée :
1 – Celui de la réclame dominant jusqu’aux années trente, celui-ci est caractéristique d’une période où l’industrie et la pharmacie d’officine (en charge de la préparation directe des compositions thérapeutiques) cohabitent de manière conflictuelle. Dans ce monde, la promotion des spécialités est souvent une affaire de nom (on peut en effet obtenir une marque déposée mais pas breveter) ; elle passe surtout par l’annonce et l’écrit ; elle prend pour cible aussi bien les patients que les médecins (ce
d’autant plus que de nombreuses spécialités sont en vente directe).
2 – Celui du marketing scientifique qui ne devient dominant que dans les années 60 quand la réorganisation industrielle du secteur est achevée. Le passage au marketing correspond à une « professionnalisation » de la promotion associée au changement d’ampleur des campagnes, à la
mobilisation intégrée de toute une palette d’outils prenant pour cible les médecins plutôt que les patients (les visiteurs médicaux en sont une pièce essentielle). Mais il renvoie aussi à une « scientifisation » de la promotion qui s’est faite selon deux registres. D’une part, en lien avec la révolution thérapeutique et le changement d’échelle des marchés, la mobilisation croissante des résultats de la recherche biomédicale (de laboratoire et clinique). D’autre part, le marketing devient, dans la même période, une activité de recherche.
Les résultats les plus importants concernent l’émergence du régime du marketing scientifique et ses caractéristiques. Celui-ci apparaît, en France comme en Allemagne, comme un système intégré de promotion pharmaceutique dans l’après-guerre même si, dans le second cas, la transition est initiée dès les années 20. Il s’inscrit dans une configuration plus générale de la grande entreprise capitaliste, non spécifique à la pharmacie, dans laquelle dominent ingénieurs et experts techniques et l’organisation en divisions. Ce qui est propre à la pharmacie est la place prise par la recherche clinique dans la construction des marchés. Le cas des antidépresseurs montre par exemple de façon éloquente les effets
de boucle entre les nouvelles pratiques de promotion et le travail de diagnostic et prescription des médecins. Le marketing scientifique n’est pas une simple réponse aux « besoins » sanitaires mais un dispositif de construction de ces derniers par le biais du marché. Cette construction prend appui sur les savoirs médicaux mais elle les modifie également en profondeur. Dit autrement, le marketing scientifique change le sens des indications, des catégories médicales et les normes d’intervention : il
est une force de redéfinition des pathologies et de leurs frontières.
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Une base de données de publicités couvrant les années 1915-1970 a été créée en sélectionnant deux journaux destinés aux généralistes : pour la France le Concours médical, pour l’Allemagne le Deutsche medizinische Wochenschrift. Outre la constitution et l’exploitation collective de cette base de données, le projet a donné lieu à de nombreuses publications dont deux présentant les résultats collectifs
1) un numéro spécial de la revue History and Technology sous la direction de Jean-Paul Gaudillière et Ulrike Thoms: Pharmaceutical firms and the construction of drug markets: From branding to scientific marketing (à paraître fin 2013).
2) un ouvrage dans la collection Studies for the social history of médicine chez Pickering & Chatoo : Jean-Paul Gaudillière und Ulrike Thoms (eds.): The Birth of Scientific Marketing (à paraître 2014)
Coordination du projet
Jean-Paul GAUDILLIÈRE (Organisme de recherche)
L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.
Partenaire
Aide de l'ANR 230 000 euros
Début et durée du projet scientifique :
- 36 Mois