GENO - Appel Spécifique Génocides et violences de masse

Dislocations et résistances. Persécutions et violences génocidaires des Roms, Sinti et Voyageurs en Europe de l’Ouest, 1940-1946. – ROMARESIST

Dislocations et résistances. Violences génocidaires et persécutions des Roms, Sinti et Voyageurs en Europe de l'Ouest, 1939-1946

Ce projet étudie, suivant une approche comparative et transversale, les persécutions contre les Roms et Sinti, désignés comme Tsiganes, Zigeuner, Zingari ou Nomades dans l’arc géographique regroupant les Pays-Bas, la Belgique, la France, l’Italie et la Slovénie occupée. L’analyse croisée des étapes et des dispositifs d’une persécution comprend une étude des parcours à l’échelle des individus et des collectifs, à partir d’une enquête à la fois historique et ethnographique.

Une approche renouvelée des étapes et des effets d’une persécution ciblée

Le projet RomaResist envisage l’étude, suivant une approche comparative et transversale, des diverses dimensions des persécutions de collectifs désignés comme tsiganes (Zigeuner, Zingari) ou nomades en Europe de l’Ouest. Dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, Roms, Sinti et Voyageurs furent la cible de persécutions multiples et de violences génocidaires dont la chronologie et l’intensité ont profondément varié selon les parties de l’Europe. L’occultation souvent délibérée et la reconnaissance tardive de ces persécutions contribuèrent à la marginalisation, dans les historiographies et les mémoires nationales, de faits qui entraînèrent l’élimination physique de plus de 100.000 personnes à l’échelle de l’Europe et la dislocation irréversible des société romani d’avant-guerre. La connaissance des différentes phases des violences génocidaires contre cette population est désormais bien avancée pour l’Europe sous contrôle direct du régime national-socialiste (le Reich) et les territoires périphériques de l’Europe en guerre. À l’Ouest de l’Europe, les logiques à l’œuvre et les modalités distinctes d’une violence génocidaire spécifique, combinée à des violences ciblées ou conventionnelles, restent à définir dans leur globalité. Ce projet souhaite ainsi poser les bases d’une étude comparative et transnationale des modalités et des effets d’une persécution multiforme et pose l’hypothèse de variations d’intensité du génocide à l’Ouest. À partir d’une étude croisée des actions répressives et des processus à l’œuvre, inscrits dans la chronologie européenne des mesures anti-tsiganes, les recherches conduites associent l’observation ethnographique, fondée sur une connaissance étroite des sociétés romani, et la recherche en archive afin de dégager la nature d’une dislocation sociale et les conditions de survie face aux persécutions. Le premier objectif du projet prévoit de mieux saisir la chronologie et les étapes d’une persécution et d’établir une typologie des persécutions. Divers dispositifs sont étudiés tout particulièrement : les recensements ciblés et repérages nominatifs des personnes ; la privation de biens personnels ; les phases de harcèlements et de contrôles répétés ; l’assignation à résidence ; les rafles policières et arrestations ; toutes les formes de détention (prisons, camps d’internement, camp répressif, camps de concentration du système des KL) ; les déportations ciblées (en particulier dans le centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau) ; les épisodes d’exécutions sommaires. Le second objectif est de dresser un inventaire des parcours de persécution, individuels et collectifs, à travers une enquête à la fois historique et ethnographique. Le recueil des témoignages fait l’objet, pour la France, la Belgique et l’Italie, d’un recensement complet et d’un travail de collecte destiné à entraîner le dépôt des collections constituées auprès de centres de conservation et de valorisation.

Afin d’aboutir à une compréhension historique globale des persécutions des Roms, Sinti et Voyageurs en Europe de l’Ouest, un croisement des données collectées permet d’élaborer une chronologie comparée des politiques de contrôle et de répression. Partant d’une recension précise de l’ensemble des décisions actées et des étapes observées, les mises en application des politiques répressives spécifiques sont analysées à l’échelle locale, régionale et nationale, ainsi qu’à l’échelle de l’Europe occupée par les autorités nationales-socialistes. Un cadre synthétique des temporalités et des dynamiques globales et locales se dessine dès lors et permet de démultiplier les études de cas et les approches microhistoriques centrées sur les conditions de vie et les trajectoires des sujets cibles des politiques répressives. Les travaux sont organisés en fonction des territoires étudiés par zone géographique et un coordinateur référent centralise les données collectées, par zone. Une attention particulière est portée à l’état numérique des victimes concernées par tous les types de persécution. En France, les recherches ont permis d’étudier toutes les mesures de répression (assignation, internement, spoliation, incarcération, déportation) et de saisir les logiques globales de chaque domaine de la répression. En Belgique, la recherche se focalise sur les recensements préparatoires et les arrestations des déportés du “convoi Z”, dirigé vers Auschwitz-Birkenau en janvier 1944. Au Pays-Bas, l’organisation du convoi du 19 mai 1944 est le centre d’une étude qui aborde la planification en amont des arrestations et le parcours des victimes durant la guerre, jusqu’au printemps 1944. En Italie et Slovénie occupée, les traces de l’internement et de l’assignation à résidence permettent de repérer et d’analyse les différentes échelles et dimensions régionales de la répression. Les efforts de la recherche portent sur la conditions des Roms et Sinti en Slovénie occupée par l’Italie et sur le basculement de 1943 qui conduit à l’occupation allemande de l’Italie, produisant des cas de déportation de Roms et Sinti dans le système des KL. Les ressources archivistiques locales et nationales, combinées aux collections de l’International Tracing Service (Bad Arolsen), des archives allemandes du Bundesarchiv (Berlin), des collections de l’USHMM, de la collection Grattan Puxon (Wiener Library, Londres), des archives de la Gypsy Lore Society, permettent de définir les principes des persécutions à l’œuvre et alimentent des recherches sur les individus ou les collectifs ciblés : de multiples parcours de vie et des études de trajectoires sont aussi alimentés par une collecte élargie des témoignages écrits et audiovisuels réalisés depuis 1945. Les résultats produits par une collecte spécifique de témoignages dans l’espace italien, français et belge sont particulièrement utilisés dans les études sur ces territoires.

Les résultats intermédiaires du programme ont permis d’approfondir l’études des dimensions nationales et régionales, à partir d’études monographiques mais aussi transversales. Un ouvrage présente les diverses modalités de résistance et d’opposition ainsi que les tentatives faites pour échapper aux persécutions à l’œuvre dans l’espace français (Foisneau, 2021). Un autre ouvrage aborde les conditions générales des persécutions en Italie, entre 1940 et 1945 (Trevisan, à paraître en 2022). Cette étude confronte les dispositifs à l’œuvre : un internement ciblé, un système d’assignation à résidence, des logiques de harcèlement à l’échelle régionale, des phases particulières de transport et de déplacement, notamment de collectifs issus de la Slovénie occupée. Une synthèse, fondée sur l’analyse comparée des dispositifs à l’échelle européenne, souligne les décalages observés entre les différents plans d’extermination et de persécution en Europe et contextualise les conditions d’une persécution à l’Ouest (About, 2021). Les actes publiés de rencontres coordonnées par les Universités de Liverpool et Cambridge ont permis de mettre en valeur le travail des équipes de RomaResist et de prolonger des travaux constitués en début de programme : une étude sur les mémoires heurtées et l’analyse des témoignages (About, 2019, 2022) ; une étude approfondie des formes répressives en France à la fin de la guerre (Foisneau, 2020, 2022) ; l’étude des persécutions subies par une famille entre Croatie, Slovénie et Italie, impliquée à la fois par une définition heurtée de la citoyenneté des Roms et Sinti et par l’inscription des persécutions dans le contexte d’une pression policière exercée depuis le début du 20e siècle (Trevisan 2019, 2020, 2022). Une étude de cas approfondie a concerné l’administration des populations roms et sinti dans le nord de la France et la Belgique occupée : une analyse reprend ainsi l’état des lieux des autorités en présence et l’équilibre des pouvoirs qui rendent possible les arrestations (Heddebaut, 2020) ; un autre travail se penche plus spécifiquement sur les conditions de déportation de Malines vers le camp d’Auschwitz-Birkenau en l’inscrivant dans l’ensemble des déportations raciales de Belgique (Schram, 2020). Les persécutions opérées en Alsace-Moselle annexée ont été étudiées à partir des mesures de recensement, de ciblage policier et d’identification, préludes à des déportations planifiées en 1943 (Leroy, 2021, à paraître) ; une autre étude de ce même territoire considère la persécution des Roms et Sinti dans l’ensemble des répressions pratiquées contre un ensemble de populations dites « indésirables » (Leroy, Stroh, 2022, à paraître). L’ensemble de ces travaux ont aussi conduit à la préparation d’un numéro spécial de la Revue d’histoire de la Shoah, dont l’appel à communication a été clôturé début octobre 2021 : la planification de ce numéro a permis de tracer les perspectives qui seront conduites jusqu’à la fin du programme en cours.

Les perspectives d’études, engagées par l’équipe élargie du programme RomaResist, permettent de définir clairement les perspectives à venir et d’envisager la rédaction d’un article de synthèse qui présentera les différents aspects d’une persécution, appréhendée à l’échelle globale des territoires de l’ouest européen. Une série de travaux monographiques permettra par ailleurs d’approfondir des dimensions originales des persécutions et d’expérimenter des nouvelles méthodes d’écriture à la fois historique et ethnographique. Les travaux sur la Belgique et les Pays-Bas permettront par exemple de saisir les conditions d’arrestation et de détention des Roms et Sinti dans les camp de transit de Malines et Westerbork, en janvier et mai 1944, et aborderont les dimensions régionales des phases de recensement et de rafles. Une recherche portera particulièrement sur les effets sociaux de l’internement en Italie, entre 1940 et 1943. Des approches nouvelles et originales permettront de renouveler entièrement les connaissances sur le cas de la France : l’étude des transferts à l’intérieur du réseau des camps d’internement, l’étude des déportations spécifiques du camp de Poitiers au début de 1943, l’examen de l’assignation à résidence sous ses formes rurales et urbaines, permettront de mieux saisir la persécution au quotidien, le harcèlement continu des autorités sur des collectifs isolés, privés de ressources et parfois contraints à la clandestinité. Plusieurs études aborderont les déflagrations subies par les collectifs romani en France à la fin de la guerre, sous le coup des exactions commises par les soldats de la Division SS “Das Reich” ou à la suite des mesures arbitraires et parfois meurtrières décidées au cours des premières phases de l’épuration. La recherche sur les persécutions spécifiques subies par les Roms et Sinti d’Alsace et Moselle annexées permettra de mieux saisir les effets des évacuations en masse entre 1940 et 1941 et l’administration de déportations spécifiques, depuis Sarrebruck et Strasbourg, en mars 1943, vers Auschwitz. Ces travaux seront complétés par des perspectives fondées sur des dossiers inédits d’archives, qu’il s’agisse de l’étude de la perception des persécutions par la société française, l’analyse des sources photographiques relatives à l’internement des nomades, l’analyse biographique et trajectorielle des acteurs, victimes des persécutions, l’étude de champs professionnels particuliers, comme celle des forains et circassiens en France entre 1940 et 1946. Un autre volet se dessine aussi à partir de l’étude des phénomènes mémoriaux, entre élaborations narratives en tension, processus heurté de reconnaissance des lieux de mémoire et connaissance des dimensions matérielles de la persécution, impliquant l’analyse des spoliations, des préjudices matériels et de mécanismes imparfaits de compensation mis en place dans l’après-guerre.

Productions des membres de l’équipe, 2019-2021 (sélection)
Ouvrages
1. L. Foisneau, V. Merlin, Les Nomades face à la guerre (1939-1946), Klincksieck, 2021. [à paraître]
2. P. Trevisan, Gli “Zingari” e il regime fascista. Storia delle persecuzioni contro Rom e Sinti in Italia, 2022. [à paraître]
Numéros spéciaux de revues
1. I. About (dir.), « Violences génocidaires et persécutions des Roms et Sinti en Europe de l’Ouest, 1939-1946 », Revue d’histoire de la Shoah, 217, 2023 [à paraître]
Articles de revues à comité de lecture
1. I. About, « Des témoins face à l’indifférence. Histoire des témoignages de la déportation et de l’internement des Nomades en France, 1940-1946 », En Jeu. Histoire et mémoires vivantes, 13, 2019, 67-82.
2. P. Trevisan, « Diventare italiani dove finisce la nazione. Il difficile riconoscimento della cittadinanza italiana ai Rom e ai Sinti della Venezia Giulia dopo il primo conflitto mondiale », La Ricerca Folklorica, 74, 2019, 89-104.
3. M. Heddebaut, « La spécificité de la Zone dite “rattachée à Bruxelles” », Tsafon, 79, 2020, p. 17-38
4. L. Schram, « De Malines à Auschwitz. Déportation des Juifs et des Tsiganes du Nord de la France », Tsafon, 79, 2020, 75-96.
5. P. Trevisan, « Austrian “Gypsies” in the Italian archives. Historical ethnography on multiple border crossings at the beginning of the twentieth century », Focaal, 86, 2020, 1-14.
Chapitres d’ouvrage
1. I. About, « Traces of Testimonies. Unfinished Narratives and Fragmented Memories of the Genocide of the Roma and Sinti », in C. Donert, E. Rosenhaft (dir.), The Legacies of the Romani Genocide in Europe since 1945, Routledge, 2022, 242-258.
2. P. Trevisan, « Under an assumed name. A Croatian Roma family network between Fascism and the post-war order in Italy », in C. Donert, E. Rosenhaft (dir.), The Legacies of the Romani Genocide in Europe since 1945, London, Routledge, 2022, p. 21-37.
3. L. Foisneau, « Mass arrests and persecution of “Nomads” in France, 1944-1946: Post-Liberation purges or evidence of Anti-“Gypsyism”? », in C. Donert, E. Rosenhaft (dir.), The Legacies of the Romani Genocide in Europe since 1945, Routledge, 2022, 21-37.
4. L. Foisneau, 2020, « French Roma and Travellers’ Resistance: a long struggle », in A. Mirga-Kruszelnicka, J. Dunajeva (dir.), Re-thinking Roma Resistance Throughout History : Recounting Stories of Strength and Bravery, ERIAC, 2020, 233-245.
5. I. About, « Génocide et persécutions des Roms et Sinti en Europe 1933-1946 », in A. Bande, et alii (dir.), Nouvelle histoire de la Shoah, Passés composés, 2021, 123-138.
6. T. Leroy, « “Gypsies” in the police eye. Identification, census and deportation of Sinti and Roma from annexed Alsace, 1940-1944 », in H. Borggräfe, A. Jah (dir.), Deportations in the Nazi Era: Sources and Research, De Gruyter, 2021. [à paraître]
7. T. Leroy, F. stroh, « Les “indésirables” en alsace annexée », in C. Maurer, J. Schweitzer (dir.), L’Alsace face au nazisme, Éd. Bib. univ. de Strasbourg, 2022. [à paraître]

Dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, Roms, Sinti et Voyageurs furent la cible de persécutions multiples et de violences génocidaires dont la chronologie et l’intensité ont profondément varié selon les parties de l’Europe. L’occultation souvent délibérée et la reconnaissance tardive des persécutions contribuèrent à la marginalisation, dans les historiographies et les mémoires nationales, de faits qui entraînèrent l’élimination physique de plus de 200.000 personnes à l’échelle de l’Europe et la dislocation irréversible des société romani d’avant-guerre. À l’Ouest de l’Europe, dans l’arc comprenant Pays-Bas, Belgique, France et Italie, le caractère composite des outils répressifs semble défier toute interprétation globale : assignation à résidence, détention, internement, concentration, déportation vers les centres de mise à mort ou le réseau concentrationnaire. Ce projet souhaite poser les bases d’une étude comparative et transnationale des modalités et des effets d’une persécution multiforme et pose l’hypothèse de variations d’intensité du génocide à l’Ouest. À partir d’une étude croisée des actions répressives menées dans les territoires ouest-européens et du cadre européen du génocide des Roms, Sinti et Voyageurs, les recherches conduites s’appuient sur une collecte inédite de témoignages des victimes, directs et indirects. Il s’agira d’élaborer une histoire inédite, fondée sur les destins singuliers et parcours familiaux, focalisée tout particulièrement sur les modalités de survie et de résistances individuelles et collectives. La démarche de ce projet se veut résolument interdisciplinaire, sur un plan à la fois historique et anthropologique. Le déroulement du projet combine des missions de recherche dans les centres d’archives ouest-européens afin de dégager les formes de répression, la nature d’une dislocation sociale, les conditions de survie face aux persécutions et les mémoires individuelles et collectives d’après-guerre. Ce projet associe trois partenaires européens : le Centre Georg Simmel, CNRS-EHESS (Paris, France), la Libera Università di Bolzano-Freie Universität Bozen (Bolzano, Italie) et la Kazerne Dossin-Mémorial, Musée et Centre de Documentation sur l’Holocauste et les Droits de l'Homme (Malines, Belgique). L’enjeu principal de cette recherche est d’aboutir à une meilleure définition des faits de persécution à l’encontre des Roms, Sinti et Voyageurs en Europe de l’Ouest en associant les descendants des familles persécutées à l’élaboration des connaissances historiques pour construire une histoire inclusive des violences génocidaires en Europe de l’Ouest. Ce projet a pour ambition de contribuer à la reconnaissance officielle des persécutions et du génocide par les États ouest-européens en diffusant et documentant une histoire absente des mémoires collectives des pays étudiés.

Coordination du projet

Ilsen About (Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux Sciences sociales, Politique, Santé)

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

IRIS Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux Sciences sociales, Politique, Santé
Université de Bolzano
KAZERNE DOSSIN-MEMORIAL, MUSEE ET CENTRE DE DOCUMENTATION SUR L’HOLOCAUSTE ET LES DROITS DE L'HOMME

Aide de l'ANR 154 947 euros
Début et durée du projet scientifique : September 2019 - 30 Mois

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