Les réformes fiscales et les résistances à l’impôt en démocraties – TAXREV
Réformes fiscales: trouver l’équilibre entre efficacité et acceptabilité sociale
Les questions concernant le développement et la mise en oeuvre de politiques fiscales occupent une place de plus en plus importante dans les débats publics. La pression sur les finances publiques suite à la crise sanitaire renforce l’idée que ces questions joueront un rôle crucial dans le débat politique dans les années à venir.
Nouveau design des politiques fiscales
La conception des politiques fiscales redistributives est un sujet qui revient sans cesse dans le discours public. Qui taxer, qui soutenir ? Des théories économiques sur la taxation optimale/efficace ont pu être établies, notamment grâce à la contribution du prix Nobel d’économie 1996 James Mirrlees. Cependant, ces théories ne prennent pas en compte l’acceptabilité par la société de ces barèmes fiscaux, et ainsi leur faisabilité politique. C’est une lacune que Pierre Boyer, Professeur l’École polytechnique au sein du Centre de recherche en économie et statistique (CREST*), ambitionne de combler à travers son projet «Réformes fiscales et révoltes dans les démocraties« (TAXREV).<br />Les ménages à hauts revenus devraient-ils être plus lourdement taxés ? Les ménages à faibles revenus devraient-ils être soutenus par des complément de revenus comme la Prime d'activité en France ou le Earned Income Tax Credit aux États-Unis ? À quel taux d'imposition la classe moyenne doit-elle faire face ?<br /><br />Alors que les analyses normatives sur ces questions ont conduit à une «théorie de la taxation optimale« bien développée à la suite de la contribution fondamentale du prix Nobel James Mirrlees, la contrepartie en économie politique n’est pas encore établie. En conséquence, nous ne comprenons pas de manière systématique la tension entre les systèmes fiscaux optimaux et ceux qui sont politiquement réalisables.<br /><br />Les recherches menées grâce à cette bourse de recherche ANR ont pour objectif de développer un cadre conceptuel pour analyser les «réformes fiscales et les révoltes dans les démocraties«. Elles proposent une théorie qui prend en compte une condition essentielle qui émerge dans une démocratie : les politiques fiscales doivent trouver un soutien politique suffisant et cela a des implications sur la conception des systèmes fiscaux. Les manifestations de gilets jaunes rappellent en effet que des mobilisations importantes peuvent conduire à l'annulation de réformes fiscales annoncées.<br /><br />La crise actuelle du coronavirus va exercer une pression sans précédent sur les finances publiques. L'augmentation des recettes sera une priorité une fois que le virus aura reculé et les questions de faisabilité politique et d'équité seront cruciales.<br /><br />En effet, les systèmes fiscaux ont été remaniés après des événements majeurs tels que les guerres mondiales et notre capacité à prendre en compte ces conditions sera sévèrement mise à l'épreuve. Des révoltes pourraient se produire si les réformes fiscales ne sont pas perçues comme soutenables politiquement et satisfaisant des critères d'équité.<br /><br />L'approche adoptée dans «Réformes fiscales et révoltes dans les démocraties« ouvrira de nouvelles voies aux praticiens et aux chercheurs en sciences sociales, tant sur le plan théorique qu'empirique. Elle permet d'identifier les réformes qui sont attrayantes du point de vue de la protection sociale et, de plus, qui sont politiquement réalisables.
Les principales contributions de ce projet de recherche comprennent :
1. Une notion d'efficacité selon laquelle un système fiscal est efficace toutes les améliorations de bien-être politiquement réalisables ont été réalisées.
2. Une méthode pour vérifier si les politiques fiscales observées sont réellement efficaces sous cette condition.
3. Une méthode d'identification des gagnants et des perdants des réformes fiscales qui n'implique pas une comparaison interpersonnelle des utilités.
4. Des analyses empiriques des réformes fiscales qui ont eu lieu dans le passé et qui pourraient être proposées pour voir si ces réformes ont conduit à la réalisation d'améliorations du bien-être politiquement réalisables.
Notre approche montre que les réformes fiscales entraînant une modification plus importante de la charge fiscale – à la hausse ou à la baisse – pour les contribuables ayant des revenus plus élevés présentent un intérêt particulier. Nous qualifions ces réformes de « monotones » et montrons qu’à cette condition, il est possible de déterminer les « gagnants » et les « perdants » d’une réforme fiscale donnée. De plus, lorsque l’individu avec revenu médian est en faveur d’une réforme « monotone », on peut conclure qu’elle est politiquement faisable : au moins une majorité d’individus bénéficiera financièrement de celle-ci. Une analyse empirique des réformes fiscales ayant eu lieu aux États-Unis et en France révèle que dans l’ensemble, les réformes passées ont été « monotones ». Notre approche nous permet donc de tester si un système fiscal donné admet une réforme considérée comme « politiquement faisable » dans notre analyse.
La crise actuelle du coronavirus exerce une pression très
forte sur les finances publiques. L’évaluation des mesures
de soutien aux revenus et d’augmentation des taxes sera
une priorité une fois que le virus disparaîtra, et les questions de faisabilité politique et d’équité seront cruciales pour éviter toute révolte fiscale. Les systèmes fiscaux ont souvent été repensés après des événements historiques majeurs et notre capacité à prendre en compte ces exigences sera mise à rude épreuve. Les recherches décrites dans ce projet identifient une capacité sans ambiguïté d’expansions politiquement faisables des mesures de soutiens aux revenus aux
États-Unis et en France, avec une portée moins claire pour
les changements des taux marginaux d’imposition portant
sur les revenus les plus élevés dans ces pays.
“Politically feasible reforms of non-linear tax systems” (Felix Bierbrauer, Pierre Boyer and Andreas Peichl), 2021. American Economic Review, 111 (1): 153-91.
«Réformes fiscales et résistances à l’impôt en démocraties» propose un nouveau cadre conceptuel pour l'analyse des réformes fiscales. Nous développons une notion d'efficacité qui prend en compte les contraintes liées à l'économie politique des réformes. Un système fiscal est efficace s'il n'y a pas de réforme faisable politiquement et qui améliore le bien-être. Cette faisabilité prendra en comptes plusieurs formes de participation politique (e.g. contrainte que la majorité de la population soutienne la réforme ou qu’aucune révolte fiscale se produise une fois la réforme promulguée). Nos résultats théoriques permettront de vérifier empiriquement (avec des statistiques suffisantes telles que la distribution des revenus ou estimations des réponses comportementales à la fiscalité) si un schéma de taxation admet des réformes qui améliorent le bien-être et/ou sont politiquement faisables. Notre analyse élargira ainsi notre compréhension des réformes fiscales dans nos démocraties modernes.
Coordination du projet
Pierre Boyer (Centre de Recherche en Economie et Stastistique - CREST)
L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.
Partenaire
CREST Centre de Recherche en Economie et Stastistique - CREST
Aide de l'ANR 299 160 euros
Début et durée du projet scientifique :
- 48 Mois