Continua d'absorption infrarouge: Etudes de laboratoire, calculs et applications à la modélisation des atmosphères des planètes telluriques – COMPLEAT
Continua d'absorption infrarouge: études de laboratoire, calculs et applications à la modélisation des atmosphères des planètes telluriques
La mesure et la modélisation des spectres d'absorption IR de H2O, CH4 et H2 dans CO2 sont d'une grande importance pour les sciences planétaires. Ces spectres comprennent une contribution due à l'absorption locale par les raies rovibrationnelles de chaque espèce et une contribution large bande (continua) mal caractérisée mais cruciale pour comprendre le bilan radiatif, la composition des atmosphères planétaires et pour modéliser la formation, l'évolution et l'état actuel des planètes telluriques.
Caractérisation des continua d'absorption dans le mélange de CO2 et application à la modélisation des atmosphères des planètes telluriques
L'objectif de ce projet est d'abord de mieux caractériser les continua d'absorption de H2O, H2 et CH4 mélangés avec du CO2, grâce à des mesures de laboratoire de pointe à différentes températures et des calculs, et de fournir des ensembles de données de référence à la communauté qui étudie les atmosphères des planètes telluriques. Le deuxième objectif consiste à établir le rôle de ces continua pour l'atmosphère de l'ancien Mars et l'évolution et l'observabilité des planètes océan de magma. Ces continua seront également utilisés pour évaluer l'observabilité des planètes proches et tempérées de la taille de la Terre, avec un accent particulier sur celles du système TRAPPIST-1.
La mesure des faibles continua d'absorption est difficile car elle se présente comme une petite variation de la ligne de base des spectres. Bien que leur couverture spectrale soit limitée, les techniques de spectroscopie à absorption améliorée par cavité (CEAS) sont particulièrement bien adaptées. Les techniques CRDS (Cavity Ring Down Spectroscopy) et de rétroaction optique (OF-) CEAS seront utilisées pour mesurer avec précision les continua d'absorption de H2O-CO2 et H2-CO2 dans le moyen et le proche IR. Dans l'IR lointain, où les continua d'absorption sont plus forts, la technique FTS associée aux cellules d'absorption à long trajet sera utilisée.
En ce qui concerne la modélisation, des prédictions directes seront d'abord effectuées pour chaque absorption d'intérêt sur la base des valeurs de la littérature pour les paramètres d'entrée nécessaires. Leurs résultats seront comparés aux mesures disponibles. Nous ajusterons ensuite (dans des limites raisonnables) certains des paramètres d'entrée pour un meilleur accord avec les mesures. Des calculs seront ensuite effectués sur des plages de température et de longueur d'onde pertinentes pour les études planétaires et les résultats des différents modèles seront combinés, en conservant les résultats d'un modèle donné dans les régions où il fait «le meilleur travail». Des tables de correspondance des coefficients d'absorption et/ou des représentations empiriques analytiques simples seront ensuite créées et implémentées dans des simulations climatiques numériques en 3D réalisées avec le modèle générique du LMD, pour mener trois investigations principales:
- explorer comment la réduction des atmosphères a pu affecter l'environnement du début de Mars,
- améliorer notre compréhension du stade dit «océan magma» des planètes telluriques,
- explorer comment les continua affecteront l'état climatique et l'observabilité de l'atmosphère des exoplanètes terrestres à proximité en mettant l'accent sur le système TRAPPIST-1
Une cellule de haute finesse régulée en température a été développée. Cette cellule permet d’enregistrer des spectres par CRDS à des températures comprises entre 240K et 350K avec un niveau de bruit de ~10-10 cm-1 et une stabilité de la ligne de base de 5×10-10 cm-1.
Plusieurs campagnes de mesure de l’absorption induite par des mélanges CH4+CO2 dans l’infrarouge lointain (50-650 cm-1) ont été faites par spectromètrie à transformée de Fourier (FTS). Les résultats obtenus ont fournis des données disponibles dans [1,2]. Très récemment, de nouvelles mesures ont été effectuées entre 700 et 3500 cm-1 dont les résultats sont en cours d’analyse.
Des spectres de mélanges CO2+H2 ont été enregistrés à température ambiante par CRDS et OF-CEAS, entre 2.12-2.35 µm. Les coefficients binaires BCO2-H2+BH2-CO2 ont été extraits et comparés aux valeurs fournies par un modèle semi-empirique. Cette comparaison montre les limites du modèle, qui est le seul disponible [4].
L’absorption induite par des mélanges H2+CO2 a également été étudiée par FTS. Les résultats obtenus ont été publiés dans [1,2]. Très récemment, de nouvelles mesures ont été effectuées entre 700 et 1400 cm-1 dont les résultats sont en cours d’analyse.
Des spectres de CO2 humidifié ont été enregistrés à température ambiante par CRDS et OF-CEAS entre 2.20-2.35 µm, vers 3.50 µm et entre 1.68-1.75 µm. Les coefficients binaires BCO2-H2O+BH2O-CO2 ont été extraient et comparés aux seuls modèles disponibles basés sur des profils de raie sous-lorentzien. Les coefficients binaires calculés sont sous-estimés par des facteurs compris entre 2 et 5 par rapport à nos données expérimentales.
L’absorption par des mélanges H2O+CO2 a également été étudiée par FTS entre 50 et 650 cm-1, dont nous avons pu extraire les toutes première valeurs du continuum de H2O élargit par CO2 dans l’infrarouge lointain [3]. Très récemment, de nouvelles mesures ont été effectuées entre 700 et 3500 cm-1 dont les résultats sont en cours d’analyse.
Concernant les approches théoriques et les modèles de calcul des continua, plusieurs bénéfices sont attendus de ce projet. Pour ceux qui ont été développés dans le passé, les tester plus avant pour les systèmes moléculaires (encore non étudiés) est évidemment intéressant afin d'évaluer davantage leurs forces et leurs faiblesses. Pour les calculs très récents des ailes lointaines utilisant des simulations de dynamique moléculaire, les appliquer à des systèmes complexes tels que H2O et CH4 dans le CO2 est un défi. Il est probable que nous apprendrons beaucoup de cet exercice avec des avancées probables (mais encore imprévisibles) dans ce domaine.
Les résultats liés à l'étude de l'effet des continua sur les atmosphères planétaires sont susceptibles d'apporter des contributions importantes à notre compréhension des atmosphères planétaires et de l'habitabilité dans le système solaire et au-delà: tout d'abord, nous apprendrons si oui ou non Mars jeune a pu être réchauffé ce qui aura une implication importante pour la compréhension de l'histoire de Mars et de l'habitabilité passée et présente de Mars. Deuxièmement, nous améliorerons nos connaissances sur la durée, l'évolution et les indices observationnels des planètes à océan de magma. Cela fournira des informations très importantes sur l'évolution très précoce de toutes les planètes telluriques du système solaire et nous aidera à évaluer la possibilité de détecter de telles planètes autour d'autres étoiles. Enfin, nous contraindrons mieux la possibilité de caractériser et même les stratégies pour caractériser l'atmosphère des planètes proches et tempérées de la taille de la Terre avec les prochains télescopes tels que JWST. Cette caractérisation est d'une importance capitale car elle a le potentiel de révolutionner tout ce que nous savons sur l'évolution, l'atmosphère et l'habitabilité des mondes terrestres.
[1] M. Turbet, H. Tran, O. Pirali, F. Forget, C. Boulet, J.-M. Hartmann, Far infrared measurements of absorptions by CH4?+?CO2 and H2?+?CO2 mixtures and implications for greenhouse warming on early Mars, Icarus 321, 189-199 (2019).
[2] M. Turbet, C. Boulet, T. Karman, Measurements and semi-empirical calculations of CO2?+?CH4 and CO2?+?H2 collision-induced absorption across a wide range of wavelengths and temperatures. Application for the prediction of early Mars surface temperature, Icarus 346, 113762 (2020).
[3] H. Tran, M. Turbet, S. Hanoufa, X. Landsheere, P. Chelin, Q. Ma, J.-M. Hartmann, The CO2–broadened H2O continuum in the 100–1500?cm-1 region: Measurements, predictions and empirical model, Journal of Quantitative Spectroscopy and Radiative Transfer 230, 75-80 (2019).
[4] H. Tran, P.-M. Flaud, T. Gabard, F. Hase, T. von Clarmann, C. Camy-Peyret, S. Payan, J.-M. Hartmann, Model, software and database for line-mixing effects in the ?3 and ?4 bands of CH4 and tests using laboratory and planetary measurements—I: N2 (and air) broadenings and the earth atmosphere, Journal of Quantitative Spectroscopy and Radiative Transfer 101, 284-305 (2006).
[5] D. Mondelain, C. Boulet, J.-M. Hartmann, The binary absorption coefficients for H2 + CO2 mixtures in the 2.12–2.35 µm spectral region determined by CRDS and by semi-empirical calculations, Journal of Quantitative Spectroscopy and Radiative Transfer 260, 107454 (2021).
Notre but est de caractériser par l’expérience et la théorie les continua d’absorption dans les mélanges gazeux H2O-CO2, CH4-CO2 et H2-CO2 pour des simulations du climat des atmosphères planétaires enrichies en CO2. Actuellement ces continua sont largement inconnus. Des mesures à l’état de l’art seront réalisées à différentes températures par technique FTS, CRDS et OF-CEAS dans les ailes des bandes du CO2 de l’infrarouge lointain à l’infrarouge courte longueur d’onde (SWIR). Les techniques CRDS et OF-CEAS ont prouvé leur capacité à mesurer des continua faibles de la vapeur d’eau dans les fenêtres de transparence avec des incertitudes très réduites grâce à leur grande sensibilité et à la grande stabilité de la ligne de base des spectres enregistrés. Dans le cadre de ce projet, nous développerons une cellule de haute finesse régulée en température qui sera installée dans les spectromètres CRDS disponibles permettant ainsi d’étudier les continua de H2-CO2 et H2O-CO2 dans l’infrarouge courte longueur d’onde (SWIR) entre 250 K et 350 K. Une nouvelle source laser, émettant vers 2853 cm-1, sera installée dans un instrument OF-CEAS permettant des études de H2O-CO2 autour de ce nombre d’onde entre la température ambiante et 325 K. En parallèle des spectres seront enregistrés dans l’infrarouge moyen et lointain en utilisant la cellule multi-passages de 150 m associée au spectromètre à transformée de Fourier de la ligne de lumière AILES du synchrotron SOLEIL. Cette cellule offre la possibilité d’être chauffée jusqu’à 330 K. Dans le projet, nous remplacerons les fenêtres actuelles de la cellule qui sont en film de polypropyl par des fenêtres en diamants afin d’améliorer significativement la stabilité de la ligne de base lorsque l’on travaille à des pressions proches de la pression atmosphérique. Ce montage permettra d’effectuer des enregistrements à la pointe de spectres de H2-CO2, CH4-CO2 et H2O-CO2 dans l’infrarouge lointain et moyen à température ambiante et à 330 K. A la fin de l’action de recherche expérimentale, des jeux de données de grande exactitude seront disponibles pour des tests de validation des modèles théoriques développés au LMD, les spectres calculés ayant l’avantage de couvrir une grande variété de gammes spectrales et de températures. Pour cela différentes approches théoriques, précédemment développées et testées pour des systèmes moléculaire proches de ceux étudiés ici (par exemple CH4-N2), seront utilisées. Les paramètres d’entrée de ces modèles seront ajustés pour obtenir le meilleur accord avec les mesures disponibles. Ensuite, les outils de prédiction seront construits et utilisés pour générer les coefficients d’absorption dans les différentes gammes spectrales et conditions de température adaptées aux applications planétaires ciblées. Les continua de H2O-CO2, CH4-CO2 et H2-CO2 seront implémentés dans un modèle climatique global 3D pour trois applications distinctes : premièrement pour modéliser le paléoclimat de Mars afin de comprendre les conditions dans lesquelles les réseaux de rivières et de lacs ont été façonnés, ensuite pour simuler les planètes avec des océans de magma ce qui est une étape cruciale pour comprendre pourquoi la Terre et Vénus ont évolué si différemment, enfin pour produire des observables synthétiques pour des exoplanètes d’une taille proche de celle de la Terre – à toutes les étapes de leur évolution – pour investiguer la possibilité de caractériser l’atmosphère de ces mondes avec les observatoires astronomiques de prochaine génération.
Coordination du projet
Didier Mondelain (Laboratoire Interdisciplinaire de Physique)
L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.
Partenaire
LIPHY Laboratoire Interdisciplinaire de Physique
LMD Laboratoire de Météorologie Dynamique
ISMO Institut des Sciences Moléculaires d'Orsay
Aide de l'ANR 327 876 euros
Début et durée du projet scientifique :
janvier 2020
- 48 Mois
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