CE14 - Physiologie et physiopathologie

Le dialogue environnement-hormones dans le contrôle du cycle de vie du poisson clown Amphiprion ocellaris. – SENSO

Le dialogue entre l’environnement et le système neuroendocrine coordonne la métamorphose du poisson clown.

Le cycle de vie des poissons clowns est biphasique : après une phase larvaire de dispersion dans le plein océan, les larves se métamorphosent en juvéniles qui reviennent vers le récif pour s’établir dans une anémone de mer, leur habitat définitif dans le lagon. Comment retrouvent-elles le chemin du récif ? Notre hypothèse est que les larves intègrent des informations environnementales qui déclenchent une réponse physiologique appropriée, notamment hormonale, contrôlant la métamorphose, l’étape cruciale de leur cycle de vie, qui permet leur installation sur l’habitat définitif.

Caractérisation de la réponse hormonale qui contrôle la métamorphose du poisson clown en réponse à l’environnement.

La métamorphose est la transition entre la phase larvaire et juvénile d’un individu durant laquelle la larve acquiert progressivement les attributs morphologiques de l’adulte. Chez les amphibiens et les poissons plats, la métamorphose est une transformation morphologique spectaculaire correspondant à un remodelage complet de l’organisme, orchestrée par les hormones thyroïdiennes (HT). Les informations de l’environnement sont détectées par l’individu puis transmises et intégrées dans le cerveau qui stimule ensuite l’activation de deux axes neuroendocriniens : 1) l’axe hypothalamo-pituitaire thyroïdien (HPT) aboutissant à la production des HT et 2) l’axe hypothalamo-pituitaire interrénal (HPI) conduisant à la synthèse de glucocorticoïdes (GC). Lors de la métamorphose, HT et GC ont une action synergique dans le contrôle de la métamorphose.<br />Chez les poissons coralliens, la transformation de la larve en juvénile est aussi qualifiée de métamorphose mais les mécanismes neuroendocriniens sous-jacents mis en œuvre sont peu décrits. Comme de nombreuses espèces de poissons coralliens, le poisson clown Amphiprion ocellaris possède un cycle de vie en deux phases successives : les larves éclosent dans le lagon, se dispersent dans l’océan, puis s’orientent progressivement vers le lagon où elles retournent s’installer définitivement en symbiose avec une anémone. Comment retrouvent-elles le chemin du lagon ? Nous formulons l’hypothèse que ce retour de l’océan vers le lagon est motivé par la perception de différents paramètres environnementaux. Cependant, les récifs coralliens subissent actuellement diverses pressions anthropiques (changement climatique, pollutions physiques et chimiques) qui dégradent leur qualité. In fine, les récifs ne parviennent pas à attirer les juvéniles de poissons coralliens pour qu’ils intègrent les populations adultes préexistantes ; menaçant ainsi la survie de ces populations.<br />Dans le projet SENSO, l’objectif est d’analyser le rôle joué par les signaux chimiques émanant du lagon, dans le guidage des larves vers leur habitat et dans le déclenchement de la métamorphose. Notre capacité à conduire le cycle complet du poisson clown A. ocellaris en aquarium, fait de cette espèce un modèle biologique idéal pour : i) identifier certains facteurs environnementaux susceptibles de déclencher la métamorphose et ii) décrypter les modalités d’intégration dans le cerveau des signaux internes (physiologiques) et externes (paramètres environnementaux), afin de déclencher la métamorphose.

L’ensemble des signaux chimiques émanant d’un récif forme un paysage olfactif comprenant les signaux chimiques émis par divers organismes (ou exométabolome), parmi lesquels ceux de l’anémone hôte d’A. ocellaris ; Heteractis magnifica, ainsi que ceux d’autres poissons clowns vivant dans le récif. Ces composés chimiques pourraient participer à l’attraction des larves vers le récif. Notre approche vise à caractériser les effets induits par les signaux chimiques émis par H. magnifica (eau AN) et ceux émis par des congénères de poisson clown (eau CG). Prenant en compte la durée de la phase de dispersion océanique des larves de poisson clown évaluée entre 10 et 15 jours, nous avons également voulu déterminer dans quelle fenêtre physiologique les signaux chimiques pouvaient être intégrés dans le cerveau des larves et provoquer la métamorphose. Nous avons donc déployé un design expérimental permettant de d’appréhender 1) l’effet de ces eaux sur la cinétique de la métamorphose, 2) l’effet de ces eaux sur l’expression des gènes appartenant aux cascades neuroendocrines HPT et HPI et 3) de préciser s’il existe une fenêtre physiologique dans laquelle les signaux chimiques sont intégrés dans le cerveau des larves. Des larves d’A. ocellaris fraîchement écloses sont élevées dans une eau contrôle (CTRL : eau de mer artificielle ne contenant ni les signaux chimiques de l’anémone ni ceux des poissons clowns). Ces larves sont ensuite transférées 2, 5 ou 8 jours après l’éclosion (DPH), dans des aquariums contenant soit l’eau contrôle, soit de l’eau de mer artificielle contenant les signaux chimiques de l’anémone (eau AN) ou de l’eau de mer artificielle contenant les signaux chimiques des congénères (eau CG). Pour tester l’effet des exométabolomes sur la cinétique de la métamorphose, les larves sont élevées dans ces eaux jusqu’à 13DPH, puis prises en photo pour réaliser une étude morphologique et déterminer leur stade de développement. Une analyse comparative des niveaux d’expression de gènes des voies endocrines HPT et HPI est menée, par qPCR, sur des larves prélevées quotidiennement dans les différents aquariums.

1) Analyse morphologique
Pour l’ensemble des expériences menées (lots de larves exposées aux eaux à 2, 5 ou 8 DPH), les individus exposés aux eaux AN et CG montrent un taux de survie plus élevé que les individus élevés dans l’eau contrôle. De façon très claire, ces individus élevés dans les eaux contenant les signaux chimiques d’une anémone H. magnifica ou de leurs congénères ont un taux de croissance supérieur, ainsi qu’une accélération de la cinétique de métamorphose. En d’autres termes, les larves exposées à ces signaux chimiques se métamorphosent plus rapidement que les individus exposés à de l’eau contrôle.
2) Analyse comparative de l’’expression des gènes des axes neuroendocriniens HPT / HPI
Les larves ont été exposées aux différents types d’eau à partir de 2, 5 ou 8 DPH puis prélevées de façon quotidienne jusqu’à épuisement du stock. De façon générale, nous avons pu remarquer que l’expression des gènes codant pour la TSH (Thyroid Stimulating Hormone, HPT) et pour l’un des récepteurs aux HT étaient stimulée chez les individus élevés dans les eaux AN et CG, comparativement à ceux placés dans l’eau contrôle..
Ces résultats démontrent, pour la première fois, l’effet stimulant des signaux chimiques produits par des organismes marins tels que l’anémone de mer, H. magnifica ou ceux émis par les congénères de poisson clown, sur la cinétique de la métamorphose d’A. ocellaris ainsi que sur la dynamique d’expression de gènes des axes HPT et HPI induite dans le cerveau.

Nos résultats nous ont permis d’établir un protocole expérimental adapté pour envisager à présent l’analyse transcriptomique de cerveaux de larves exposées aux signaux chimiques de l’anémone et des congénères d’A. ocellaris. L’analyse de ces échantillons nous permettra 1) d’appréhender les modalités de la transduction des signaux environnementaux, depuis les récepteurs olfactifs et/ou gustatifs jusqu’à la stimulation cérébrale hypothalamique et 2) de de détecter un ensemble de gènes dont l’expression diffère entre des différentes conditions environnementales.
Dans cadre du projet, nous allons également investiguer l’effet sur les axes neuroendocriniens des larves de poissons clown soumis à des signaux chimiques émanant d’autres espèces d’anémones (considérées comme des hôtes non naturels d’A. ocellaris) ainsi qu’à l’exométabolome provenant d’anémones H. magnifica blanchies.

1. Roux, N., Miura, S., Dussenne, M., Tara, Y., Lee, F., de Bernard, S., Reynaud, M., Salis, P., Barua, A., Boulahtouf, A., Balaguer, P., Gauthier, K., Lecchini, D., Gibert, Y., Besseau, L., Laudet, V. 2022. The multi-level regulation of clownfish metamorphosis by thyroid hormone. Cell reports, submitted.
2. Gairin, E.*, Dussenne, M.*, Mercader, M.*, Berthe, C., Reynaud, M., Metian, M., Mills, S.C., Lenfant, P., Besseau, L., Bertucci, F., Lecchini, D., 2022. Harbours as unique environmental sites of multiple anthropogenic stresses on fish hormonal systems. Molecular and Cellular Endocrinology, accepted.
3. Dussenne, M.*, Goikoetxea, A.*, Geffroy, B., Besseau, L., 2022. Neuroendocrinology of life history and stress in anemonefishes. In: Laudet, V., Ravasi, T., 2022. Evolution, development and ecology of anemonefishes: model organisms for marine science. CRC Press. Accepted.
4. Dussenne, M., Besseau, L., 2022. Orchestration of metamorphosis in the clownfish Amphiprion ocellaris: deciphering the dialog between the environment and the brain. Journées André Picard, mars 2022.
*Equal first co-authors

Comment les interactions entre l'environnement et le génome contrôlent-elles les phases successives du cycle de vie d’un organisme? Nous sommes encore loin de répondre pleinement à cette question. Les transitions ponctuant les cycles de vie sont sous le contrôle de signaux hormonaux qui intègrent l'information environnementale et de ceux fournis par des horloges biologiques internes, conduisant à la synchronisation des fonctions physiologiques avec l’environnement. Analyser comment cette intégration se produit est crucial pour mieux comprendre comment les décisions développementales sont prises par les organismes et pour mieux cerner les mécanismes de l'adaptation biologique.
Dans ce contexte, la métamorphose constitue une transition majeure du cycle de vie de nombreux animaux. Chez les vertébrés, ce processus est bien illustré par la transformation du têtard en grenouille. Chez les amphibiens, la métamorphose est contrôlée par les hormones thyroïdiennes (TH) qui orchestrent des changements complexes observés au niveau cellulaire et tissulaire. Les poissons téléostéens subissent également une métamorphose, couplée à des changements morphologiques spectaculaires, de profondes modifications physiologiques et une transition écologique, comme en témoigne le cycle de vie des poissons plats. Cependant, en dehors des modèles de laboratoire (poisson-zèbre, médaka) ou des espèces aquacoles (poissons plats, saumons), la métamorphose est peu caractérisée chez les poissons Téléostéens.
Pourtant, dans ce groupe de vertébrés diversifié, il existe de nombreux exemples de transitions morphologiques, physiologiques et comportementales au cours du cycle de vie. Ainsi, les poissons des récifs coralliens possèdent un cycle de vie caractérisé par une phase larvaire pélagique et une phase adulte benthique. Au terme de leur phase larvaire pélagique dans l'océan, les larves entrent dans les récifs où elles s’installent, désormais juvéniles. Cette étape appelée recrutement larvaire, implique la perception de signaux environnementaux divers, permettant aux larves de localiser le récif et de s’y installer. Elle s'accompagne de changements morphologiques majeurs et constitue d’une période critique dans le cycle de vie de ces organismes. Cette transition, souvent décrite comme une métamorphose, est essentielle pour la survie des jeunes stades au cours de leur recrutement dans leur habitat, et par conséquent pour le maintien des populations de poissons de récifs. Cependant son contrôle reste largement inconnu, en particulier les modalités de ce contrôle au sein des larves en haute mer lorsque la décision de déclencher le recrutement est prise.
Pour aborder cette question, SENSO décrira le lien entre les signaux hormonaux et l'environnement dans le contexte de la métamorphose du poisson clown Amphiprion ocellaris. En particulier, nous étudierons les mécanismes par lesquels la larve de ce poisson intègre les informations provenant de l'environnement avec son état métabolique, pour prendre la décision de se métamorphoser. Dans SENSO nous allons donc 1/ identifier les paramètres environnementaux impliqués dans l'activation précoce de l'axe hypothalamo-hypophysaire, susceptible de déclencher la métamorphose, 2/ décrypter les réseaux de gènes activés, grâce à l’analyse de signatures transcriptomiques de larves au cours de leur transformation et 3/ analyser comment ces voies hormonales interagissent face aux informations environnementales pour déclencher la réponse physiologique appropriée au cours du cycle de vie du poisson-clown. Apporter des informations sur la façon dont cette intégration se produit est crucial non seulement pour comprendre le lien entre le génotype et le phénotype chez les animaux, mais aussi pour détecter des perturbations dans la progression de leur cycle de vie, dans le contexte du changement global.

Coordination du projet

Laurence Besseau (Biologie intégrative des organismes marins)

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

IGFL INSTITUT DE GENOMIQUE FONCTIONNELLE DE LYON
CRIOBE Centre de recherche insulaire et observatoire de l'environnement
BIOM Biologie intégrative des organismes marins

Aide de l'ANR 520 726 euros
Début et durée du projet scientifique : septembre 2019 - 36 Mois

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