DS10 - Défi des autres savoirs

Le spin électronique: un nouvel outil pour l'héritage culturel et la protection de la population – ESCULAPE

Percer les secrets des objets du patrimoine grâce au magnétisme électronique

Utiliser les ions métalliques, impuretés et défauts paramagnétiques pour révéler l'origine et l'évolution de matériaux composants les objets du patrimoine

Enjeux et objectifs

La caractérisation physico-chimique des œuvres et objets du patrimoine présente des contraintes très spécifiques. D’une part ces objets ont souvent une grande complexité chimique et structurale, qui s’est encore accrue en raison des phénomènes d’altération et de dégradation qu’ils ont subis au cours du temps. D’autre part ils sont souvent rares et précieux, voire uniques, de telle sorte que même les prélèvements à des fins analytiques doivent si possible être conservés intacts (citons par exemple un micro-prélèvement sur un tableau de Léonard de Vinci) et ne pas être modifiés au niveau atomique par les méthodes d’analyse. L’objectif du projet ESCULAPE est d’utiliser une technique parfaitement inoffensive pour les matériaux, la résonance paramagnétique électronique (RPE), afin de percer certains secrets des objets et œuvres du passé. L’énergie électromagnétique injectée dans les échantillons au cours de l’analyse RPE est tellement faible qu’elle n’induit aucune modification à l’échelle atomique. Un des challenges du projet est de rendre cette technique également non-invasive, de façon à permettre l’analyse et la cartographie d’espèces paramagnétiques dans des objets de grande taille et trop précieux pour être déplaçables. Ceci n’est pas possible avec les appareillages disponibles à l’heure actuelle, qui ne permettent d’analyser que des échantillons millimétriques.

La RPE permet de détecter certains électrons dits « célibataires » portés par de nombreuses espèces métalliques (Ti3+, V4+, Cr3+, Cr5+, Fe3+, Mn2+, par exemple), certaines molécules organiques ou inorganiques (les radicaux) ainsi que de nombreux défauts atomiques (lacunes, interstitiels, impuretés …) dans les matériaux solides. Les spectres RPE de ces espèces paramagnétiques sont très sensibles à la nature et la structure de leur environnement chimique. Ainsi ces espèces agissent comme des sondes pour « espionner de l’intérieur » les solides à l’échelle nanométrique. ESCULAPE présente trois volets distincts. Le premier consiste à développer des approches méthodologiques RPE utilisant les spectromètres « classiques » pour analyser des échantillons millimétriques (prélèvements, échantillons reconstitués), dans le but de fournir des informations nouvelles et complémentaires de celles apportées par d’autres techniques. Le deuxième volet, instrumental, est le développement d’un appareil transportable permettant d’analyser et de cartographier les espèces paramagnétiques d’objets entiers, de grande taille et non déplaçables (objets très précieux ou très fragiles…). Cet instrument totalement original est basé sur l’utilisation de résonateurs de type « micro-ruban » (utilisés classiquement en télécommunication) pour réaliser la résonance magnétique sur une très petite surface (300 ?m environ).

Un résultat majeur du projet est la réalisation d’un spectromètre RPE portable (environ 20 kg) fonctionnant à 5 GHz, permettant de détecter des signaux RPE à n’importe quel point de la surface d’un objet, avec une résolution spatiale inférieure à 500 ?m. Il reste encore à concevoir un système de déplacement permettant de réaliser la cartographie des espèces paramagnétiques de l’objet. Nos recherches en cours montrent dès à présent le grand intérêt de la RPE pour apporter des informations nouvelles sur des problématiques touchant au patrimoine. Citons par exemple le mécanisme du noircissement des pigments verts des peintures de la Renaissance, ou sur les baumes de momies Egyptiennes, qui nous a apporté des informations de premier ordre sur une momie humaine d’origine inconnue.

Les premiers résultats et les études en cours ont montré toutes les potentialités de la RPE pour répondre à des questions touchant l’origine, la structure et l’évolution des matériaux composants les objets du patrimoine, bien que les appareillages disponibles dans le commerce ne permettent d’analyser que des échantillons de petite taille (donc des prélèvements ou des fragments d’objets). L’appareillage RPE portable développé dans ce projet permet de lever la limitation sur la taille des objets étudiés, grâce à la technologie des résonateurs micro-rubans. La technologie a été démontrée et validée. Grâce à son faible encombrement, l’appareillage pourra à terme être déplacé sur site (musée, bâtiment …). En termes de TRL (Technical Readiness Level), nous en étions à TRL1 lors de la soumission du projet, et sommes actuellement à TRL5-6 (fin 2021). Cet aspect instrumental du projet est en cours de publication. Pour le futur, le passage à TRL8-9, correspondant au développement de l’imagerie paramagnétique sur des objets du patrimoine, nécessite de concevoir un système de positionnement-déplacement en x, y, z de grande précision. Une piste pour franchir cette dernière étape pourrait être de profiter de l’expérience acquise par l’équipe de l’accélérateur de particules du Louvre (AGLAE), qui a réalisé un positionneur avec des caractéristiques assez similaires à celles envisagées pour le spectromètre d’ESCULAPE.

Pour l’instant ce travail a fait l’objet de 3 publications dans les revues à comité de lecture (Anal. Chem. 2020, J. Phys.Chem.C 2021 et Inorg. Chem. 2019). Une publication est soumise et est disponible sous forme de preprint (DOI : 10.21203/rs.3.rs-960462/v1). Une autre publication est en cours de préparation, sur la détermination de la distribution d’orientations de grains de pigments « Bleu Egyptien » dans les couches picturales. Un article est également en préparation sur la partie instrumentale du projet.

L’analyse et l’imagerie chimiques non invasives est un défi scientifique pour l’étude in situ des objets et des œuvres du patrimoine culturel. Un premier enjeu des sciences du patrimoine est de comprendre leur histoire, la composition et la provenance des matériaux constitutifs, mais aussi de comprendre leurs processus d’altération afin de les stopper. Un deuxième enjeu dans ce domaine est d’authentifier les objets et les œuvres par une analyse chimique fine, car de plus en plus de fausses pièces archéologiques et de fausses œuvres circulent sur les marchés de l’art, dont certaines acquisitions anciennes sont probablement encore présentes dans les musées comme le montrent des exemples récents. Les sciences du patrimoine développent et perfectionnent des techniques analytiques lourdes, comme celles basées sur le rayonnement synchrotron et les faisceaux d’ions. Cependant la taille, la rareté, la fragilité ou le besoin d’analyse in situ nécessitent le développement de techniques spectroscopiques non invasives et transportables sur sites (musées, sites archéologiques) permettant l’identification et la cartographie in situ d’espèces chimiques (fluorescence X portable, Raman portable etc…). L’enjeu du projet ESCULAPE est le développement d’un spectromètre de Résonance Paramagnétique Electronique (RPE) portable doté d’ un résonateur de surface « microstrip » permettant d’analyser et d’imager in situ les espèces paramagnétiques: ions de métaux de transition (TiIII, VIV, CrIII, CrV, MnII, FeIII, CoII, CuII), radicaux organiques et inorganiques, défauts atomiques et moléculaires, dans les pièces archéologiques de grande taille et les œuvres d’art (peintures par exemple).
La deuxième application envisagée pour cet appareillage mobile et non invasif se situe dans le contexte, malheureusement très actuel, de l’éventualité d'actes terroristes radiologiques (substances radioactives, par exemple dans les cinémas ou les transports en commun). Il s'agira d'effectuer le dosage non destructif des défauts créés par irradiation dans les écrans de téléphones portables, avec un objectif de tri rapide de population afin de déterminer la nécessité ou non de prise en charge des personnes et fournir une aide à la décision du traitement à appliquer en fonction de la dose reçue
Les appareillages RPE de laboratoire sont très massifs (environ 1 tonne), et ne permettent d’analyser que des échantillons de petites tailles car ils utilisent des résonateurs fermés (cavités résonnantes). Les trois défis relevés dans le projet ESCULAPE sont 1) La mobilité, 2) la possibilité d’analyser des objets de grandes taille et 3) la possibilité de réaliser une cartographie sélective des espèces paramagnétiques sur ces objets. L’appareil fonctionnera à une fréquence entre 1 et 5 GHz, ce qui permettra de diminuer le champ magnétique et donc la masse (5 à 10 kg maximum). L’idée phare du projet est d'utiliser des résonateurs de surface de type « microstrip » issus des technologies des télécommunications, permettant ainsi d’analyser de manière totalement non invasive, avec une grande sensibilité et sur de très petites surfaces (environ 0.2x0.2 mm2) les espèces chimiques paramagnétiques dans des objets de grande taille ou trop précieux. En déplaçant le résonateur et l’aimant sur la surface de l’objet à l’aide d’un moteur pas à pas, il sera également possible de construire une cartographie des espèces chimiques détectées. L’analyse et la déconvolution des spectres, ainsi que la reconstruction des images chimiques seront effectués numériquement en utilisant le paradigme « Chebfun ». Le projet associe quatre partenaires I) Chimie-ParisTech, associée institutionnellement au Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France ; II) le Laboratoire de Spectrochimie Infrarouge et Raman de Lille ; III) l’Institut des Matériaux, de Microélectronique et des Nanosciences de Provence de l'Université Aîx-Marseille) et IV) l’Institut de Radioprotection et Sureté Nucléaire.

Coordination du projet

Didier Gourier (Institut de Recherche de Chimie-Paris)

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

IRCP Institut de Recherche de Chimie-Paris
UMR 8516 Laboratoire de Spectrochimie Infrarouge et Raman
IM2NP Institut des Matériaux, de Microélectronique et des Nanosciences de Provence
IRSN Institut de Radioprotection et de Sureté Nucléaire

Aide de l'ANR 405 973 euros
Début et durée du projet scientifique : décembre 2017 - 42 Mois

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