Le projet GENERATE présente l’intérêt d’étudier de manière intégrée la problématique de transition énergétique au niveau international et repose sur le caractère pluridisciplinaire (économique, industriel, technologique, juridique et géopolitique) de son approche. Comprendre les ressorts géopolitique issue de la décarbonation des économies est essentielle pour le positionnement des acteurs et pour mener une politique scientifique efficiente dans le domaine des technologies de la décarbonation.
L’objectif du projet GENERATE (Géopolitique des ENErgies Renouvelables et Analyse prospective de la Transition Energétique) mené par IFPEN et l’IRIS est d’analyser les conséquences géopolitiques d’une diffusion des énergies renouvelables (ENR) au niveau international. Les défis engendrés par les politiques de transition énergétique pourraient ajouter une dimension supplémentaire à une géopolitique énergétique déjà bien complexe. Aux relations traditionnelles entre les acteurs (Etats, entreprises, etc.) risquent ainsi de s’ajouter de nouvelles dépendances issues des transformations techniques, économiques, géographiques et juridiques des technologies de la transition énergétique. Ce projet se focalise sur trois enjeux majeurs, susceptibles d’avoir un impact important sur les enjeux géopolitiques mondiaux, à savoir (1) la criticité des matériaux intégrant les technologies de la transition énergétique, (2) la nouvelle géographie de la propriété intellectuelle des ENR et (3) les interrogations relatives au modèle de développement des pays producteurs d’hydrocarbures, et l’évolution de leur place sur la scène internationale. Les 3 axes principaux du projet GENERATE présentent ainsi l’intérêt d’étudier de manière intégrée la problématique de transition énergétique au niveau international pour ainsi mettre en évidence des outils d’aide à la décision ou de politiques publiques pour diminuer les dépendances.
Le modèle TIAM-IFPEN (TIMES Integrated Assessment Model), un modèle de programmation linéaire de type « bottom-up », a été développé à IFP Energies Nouvelles (IFPEN). Il s'agit d'un modèle mondial et multirégional qui dispose d´une base technologique riche pour apprécier les dynamiques du système énergétique mondial, de l'extraction des ressources à l'utilisation finale de l'énergie, sur une période à long terme de plus de 100 ans. Ce modèle a été mis au point afin d’analyser et évaluer les possibles conséquences de différentes orientations énergétiques, environnementales ou législatives à l’aide d’une représentation explicite et détaillée des technologies et des types d’énergies. Dans le cadre du projet GENERATE, nous avons construit l’ensemble des chaines de valeur de différents matériaux (cobalt, cuivre, lithium, nickel et terres rares) pour évaluer leurs demandes sous différents scénarios (2°C et 4°C). En outre, nous avons évalué les niveaux de dépendances des différentes zones mondiales (niveaux d’importations) à ces matériaux. La deuxième partie du projet a nécessité de réaliser des études statistiques sur les bases internationales de brevets. Nous avons donc identifié les brevets déposés dans les énergies renouvelables et avons analysé différents indicateurs pertinents pour cartographier les pays leaders sur ces technologies. Enfin la troisième partie du projet s’est portée sur une analyse bibliographique et statistique d’indicateurs mesurant la vulnérabilité des pays producteurs d’hydrocarbures
Nos scénarios offrent des résultats différenciés de pressions sur les ressources selon les scénarios étudiés. Ainsi, le cuivre apparait comme le métal le plus contraint dans la dynamique de transition énergétique, suivi par le cobalt. Ces deux éléments possèderont une criticité élevée à l’horizon 2050. Pour chacun de ces deux éléments, plus de 90 % des ressources connues aujourd’hui seraient ainsi consommées. Ce chiffre devra évidemment être relativisé en fonction de l’évolution des réserves dans les années à venir et de leur niveau réel en 2050. Certains pays (Chili, Chine, Australie) pourraient ainsi détenir un pouvoir de marché important à l’horizon 2050 en tant que producteur ou dans le secteur du raffinage des métaux où les activités sont concentrées, notamment en Chine. En outre, pour l’ensemble des matériaux étudiés, nous avons mis en évidence l’importance du facteur eau pour la transition énergétique.
La Chine a opéré un rattrapage technologique important puisque près de 30 % des brevets des technologies nécessaires à la transition énergétique ont été déposés par ce pays. Si les Etats-Unis, l’Europe et le Japon conservent encore un avantage, ces pays risquent d’être largement concurrencés dans les décennies à venir. Les grands pays exportateurs comme les pays du Golfe et la Russie ne sont pas, malgré un certain nombre d’idées reçues, les plus vulnérables à la transition énergétique et pourraient en tirer certains bénéfices à condition de prendre certaines orientations stratégiques dès aujourd’hui. Les petits pays exportateurs, notamment en Afrique subsaharienne sont plus exposés, bien que les enjeux géopolitiques liés à leurs vulnérabilités soient moindres que ceux des pays du Golfe et de la Russie. Les prix du pétrole restent une variable fondamentale dans la transition énergétique puisque ces derniers sont les principaux déterminants du nombre de brevets déposés dans le secteur des énergies renouvelables.
Le déploiement des ENR au niveau mondial pose, d’un point de vue géopolitique, davantage de nouvelles questions qu’il n’en résout. La question de la propriété intellectuelle des technologies bas-carbone et la compétition que se livrent les Etats, les modèles de diversification des pays producteurs de pétrole et la question des matériaux propres aux technologies bas carbone constituent une partie de la problématique globale à appréhender. Plus globalement, ce travail doit nous inviter à réfléchir à la transition énergétique elle-même et à sortir du schéma d’addition énergétique actuellement observé. Ainsi, en parallèle des politiques publiques actuellement envisagées -mobilité soutenable et recyclage-, la question de la sobriété des systèmes énergétiques et économiques se pose. L’eau pourrait ainsi être l’élément limitant de la transition énergétique internationale. Ces enjeux seront notamment étudiés dans le cadre de futures réflexions sur l’architecture des négociations climatiques. La détention d’une ressource minière ou de brevets de technologies de décarbonation pourrait ainsi constituer des actifs intéressants et des clés de négociations pertinentes dans le cadre d’un accord climat post-COP21.
Plusieurs suites sont envisagées dans le cadre du projet GENERATE. Les résultats sur la criticité des matériaux de la transition énergétique ont mis en exergue deux faits majeurs : l’importance de l’eau dans la transition énergétique et l’importance des politiques de recyclage. Sur le premier aspect, l’équipe de recherche envisage de déposer un projet ANR à la rentrée 2020 sur le couplage de notre modèle technico-économique avec un modèle représentant les capacités hydriques mondiales pour déterminer continent par continent le stress hydrique imposé par les nouvelles technologies bas-carbone. Sur le second aspect, un sujet de thèse va être déposé pour approfondir les aspects économiques du recyclage des matériaux stratégiques.
Le projet GENERATE a enregistré une production scientifique importante entre 2018 et 2020. Cinq articles ont été proposés à des revues économiques à comités de lecture internationaux et trois ont d’ores et déjà été acceptés, notamment dans les revues Applied Energy, International Economics et Oil & Gas Science and Technology. En parallèle, l’équipe projet a encadré un numéro spécial de la Revue Internationale et Stratégique (RIS) sur la « Géopolitique de la transition énergétique » et 4 articles ont été rédigés en français. Un cinquième article a été publié dans un autre numéro de la RIS. En outre, un article a été publié dans une revue italienne (Energia) et l’équipe a participé à un chapitre du rapport Global Vehicle Outlook de l’Agence internationale de l’énergie en 2019. L’équipe a également rédigé 4 articles pour le site The Conversation et 8 documents de travail (dont deux en finalisation).
L’objectif du projet GENERATE est d’analyser les conséquences économiques, géopolitiques et technologiques d’une diffusion des énergies renouvelables (ENR) au niveau mondial. Nous nous focaliserons sur trois enjeux majeurs pour traiter cette question à savoir la criticité des matériaux intégrant les technologies de la transition énergétique ; la nouvelle géographie de la propriété intellectuelle des ENR et les interrogations relatives au modèle de développement des pays producteurs d’hydrocarbures dans ce nouveau contexte mondial. Ces trois sous-problématiques distinctes et complémentaires feront l’objet d’un traitement méthodologique spécifique :
La notion de criticité des matières premières dans le développement des technologies de la transition énergétique : présents dans de nombreuses technologies de décarbonisation, les métaux non-ferreux, les matériaux stratégiques et certains métaux critiques sont essentiels à la transition énergétique de manière directe (intégration dans les technologies) ou indirecte (exemple des batteries pour les véhicules électriques). La diffusion à grande échelle des technologies de la transition énergétique pourrait exacerber les tensions sur ces marchés de matières premières en raison notamment de facteurs spécifiques : présence de substituts, taille des marchés, existence de marché à terme, organisation industrielle des filières, etc. GENERATE se propose d’analyser certains marchés clés (cuivre, ciment, cobalt, platine, certaines terres rares et l’eau) sous l’angle d’une matrice criticité-vulnérabilité. Cadré en amont par un travail de modélisation prospective (TIMES-Markal) ce travail fera en parallèle l’objet d’une approche qualitative d’études des différents marchés de matières premières dites critiques à l’horizon 2050, avec une double dimension technicoéconomique et géopolitique.
Les droits de propriété industrielle (brevets) : cette question est essentielle pour comprendre les évolutions de la géopolitique énergétique et plus particulièrement celle des ENR. En effet, la question de la propriété industrielle des technologies de décarbonation primordiale puisqu’elle influera forcément sur le coût de diffusion de ces dernières. Une lecture géopolitique invite à questionner la dimension industrielle, à travers notamment la recherche d’un pouvoir de marché économique et financier sur ces technologies de la part des principales zones : les États-Unis, l’Asie (Japon, Chine) et l’Europe (notamment l’Allemagne). Une revue détaillée des dépôts de brevets liés aux technologies de la transition énergétique, ainsi que les nouvelles formes de coopération à développer dans le cadre des grands défis environnementaux à venir seront étudiées dans notre étude de manière statistiques et qualitatives. Ils permettront de cartographier les futurs acteurs industriels de la transition énergétique, d’étudier les nouvelles formes d’interactions entre acteurs et de proposer un cadre normatif mondial d’architecture environnementale.
Le modèle de développement des pays producteurs d’hydrocarbures : la diffusion des ENR dans le mix-énergétique mondial affecterait également les pays producteurs d’énergies fossiles et ce, de plusieurs manières : les prix sur les marchés d’énergies fossiles, la sécurité de la demande des pays producteurs, les structures économiques des pays producteurs et, par effet de contagion, sur les circuits de financement économiques internationaux. Les équilibres régionaux et la puissance relative des Etats pourraient s’en trouver modifiés contribuant à une hausse marquée des risques dans certaines zones géographiques. Le projet se propose d’étudier cette composante en prenant notamment comme cadre d’étude les régions du Moyen-Orient et de la Caspienne afin de réaliser une typologie prospective de leurs trajectoires possibles d’évolution et des conséquences induites sur la dynamique de transition énergétique des pays consommateurs.
Monsieur Emmanuel HACHE (IFP Energies nouvelles)
L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.
IFPEN IFP Energies nouvelles
IRIS Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Aide de l'ANR 236 790 euros
Début et durée du projet scientifique :
septembre 2017
- 24 Mois