DS10 - Défi des autres savoirs

La naissance des institutions judiciaires: des tribunaux de pêche aux régulateurs transnationaux – WJIE

Résumé de soumission

Le point de départ du projet est un argument fondé sur la théorie des jeux qui a exercé une influence profonde sur l'analyse des "ordres privés." Selon cet argument, les communautés de taille réduite pourraient s'auto-réguler sans institution judiciaire. En effet, la dynamique des liens de réputation entre leurs membres suffirait à réguler ces communautés. Néanmoins, le développement de ces communautés au-delà d'une taille critique entraînerait l'apparition d'institutions judiciaires permettant de centraliser l'information relative à la réputation des membres de ces communautés. Or, si cette analyse explique l'émergence des institutions judiciaires, elle en limite le rôle à celui de "dépositaires" d'information.

Le présent projet vise à remettre en cause cet argument sur une base empirique. A cette fin, la communauté des pêcheurs de Marseille a été identifiée comme un groupe remplissant les conditions de la théorie des jeux (i.e., une communauté de taille réduite bénéficiant d'une information complète sur ses membres et d'un horizon infini d'interactions). La prédiction de la théorie des jeux, appliquée aux pêcheurs de Marseille, devrait donc être la suivante: ces pêcheurs devraient auto-réguler leur communauté sans avoir recours à une institution judiciaire. Mais l'étude des pêcheurs de Marseille contredit cette prédiction: une institution judiciaire -- la Prud'homie de pêche -- a réglé les litiges entre pêcheurs depuis le Moyen-Age (en matière de droits contractuels et de propriété).

L'exemple de la Prud'homie de pêche fournit donc le matériau empirique pour tester trois hypothèses: (i) contrairement à l'analyse présentée ci-dessus, les jeux de réputation ne suffisent pas toujours à organiser des communautés de taille réduite, même quand l'information y est facilement accessible, (ii) les institutions judiciaires peuvent émerger dans des communautés où l'information est accessible, indépendamment de la taille de ces dernières, et (iii) le rôle des institutions judiciaires dépasse celui de simples "dépositaires" d'information.

Le projet prêtera une attention particulière aux fondements de la théorie des jeux afin de tester ces hypothèses. La théorie des jeux présuppose la rationalité des individus. Or les individus -- quel que soit leur degré de rationalité -- se révèlent souvent incapables de surmonter leurs émotions et leurs préjugés. Cette observation s'applique particulièrement au cas des jeux répétés, au cours desquels la stratégie "coopération-réciprocité-pardon" ("tit for tat") est susceptible de dégénérer en jeux de représailles. Dans ce contexte, les institutions judiciaires peuvent servir à contrôler les cycles de représailles dans des communautés humaines de taille variable.

Sur la base de ces observations, une distinction pourra être opérée entre un modèle de gouvernance "relationnelle" et un modèle de gouvernance "normative". Le premier modèle (opérant sur la base de flux d'information) prévaudrait jusqu'à ce qu'une communauté atteigne une taille critique ou jusqu'à ce qu'une communauté stable (en terme de taille) soit confrontée à des chocs externes ou internes générant des cycles de vengeance. Le premier modèle céderait alors le pas au second modèle dans lequel les institutions fournissent une structure normative fondée sur des motifs et/ou des sanctions physiques (dont l'Etat est une expression aboutie) afin de mettre fin à ces cycles de vengeance.

Cette distinction sera appliquée au cas de la Prud'homie de pêche avant d'être transposée au niveau transnational, où des litiges comparables surgissent en matière de droits contractuels et de propriété. Certains réseaux transnationaux ont en effet développé leurs propres institutions judiciaires afin de résoudre ces litiges. La distinction entre ces deux modèles de gouvernance fournira donc un cadre analytique permettant d'identifier les circonstances dans lesquelles les institutions judiciaires sont nécessaires au règlement de ces litiges.

Coordination du projet

Florian Grisel (Centre de Théorie et Analyse du droit)

L'auteur de ce résumé est le coordinateur du projet, qui est responsable du contenu de ce résumé. L'ANR décline par conséquent toute responsabilité quant à son contenu.

Partenaire

CTAD Centre de Théorie et Analyse du droit

Aide de l'ANR 43 200 euros
Début et durée du projet scientifique : septembre 2016 - 48 Mois

Liens utiles

Explorez notre base de projets financés

 

 

L’ANR met à disposition ses jeux de données sur les projets, cliquez ici pour en savoir plus.

Inscrivez-vous à notre newsletter
pour recevoir nos actualités
S'inscrire à notre newsletter